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Dre Yvonne Gilli

« Améliorer la prise en charge de chaque patient-e est aussi un gage d’économicité »

Première femme présidente de la FMH (depuis 2020), la médecin généraliste Yvonne Gilli fait part de ses préoccupations par rapport aux nombreux défis auxquels est confronté notre système de santé et à l’écartement des médecins des décisions politiques. Doit-on craindre une médecine à deux vitesses ? La profession va-t-elle perdre en attractivité ? Il est plus que jamais nécessaire de garantir la qualité des soins qui a fait la réputation de notre pays tout en s’adaptant aux nouvelles donnes en matière de féminisation de la profession ou de protection de l’environnement.

© Laurent Kaczor

Quel est, de votre point de vue, le dossier prioritaire du domaine de la santé pour la fin de la législature 2019-2023 ?

La nouvelle structure tarifaire TARDOC constitue la priorité absolue, afin de remplacer un TARMED totalement obsolète. Mais le chemin pour y arriver s’apparente à une véritable course d’obstacles. Le fait que le Conseil fédéral ait décidé le 3 juin dernier de ne pas approuver la dernière version s’avère très dangereux pour le système de santé suisse basé sur deux principes inscrits dans notre constitution : l’assurance obligatoire donnant à chaque citoyen-ne l’accès aux soins médicaux de bas, quels qu’en soient les coûts ; le partenariat tarifaire entre assureurs et fournisseurs de prestations qui garantit l’équilibre entre économie et qualité des soins.

Or les réformes actuelles du conseiller fédéral Alain Berset mettent ce système en péril, notamment en renforçant les interventions étatiques. Se baser sur des critères purement quantitatifs est une grave erreur, sachant que 80% des coûts de la santé sont générés par les traitements de maladies chroniques. Or ces derniers vont probablement augmenter suite aux conséquences de la pandémie de Covid-19 et, plus généralement, avec le vieillissement de la population. Dans ce contexte, il est absurde de vouloir forcer les professionnel-les de la santé à diminuer les coûts, avec par exemple des tarifs dégressifs, sur une base théorique déconnectée de la réalité du terrain. Cela pourrait favoriser les assurances privées débouchant au final sur une médecine à deux vitesses. Cette gestion quantitative a déjà montré ses limites voire sa contre-productivité dans d’autres pays européens.

Quelles avancées peut espérer le corps médical sur ce dossier ?

Les débats se déroulent encore au Parlement, donc il n’est pas trop tard. Nous espérons que les parlementaires prendront conscience que ces réformes visant essentiellement à diminuer les prestations sont dangereuses pour la qualité de notre système de santé. Si ce n’est pas le cas, les sociétés médicales sont prêtes à lancer un référendum. La population doit aussi pouvoir s’exprimer car, en fin de compte, c’est elle qui est la plus concernée. Il est ainsi nécessaire de créer des alliances avec les représentant-es des patient-es mais aussi d’autres prestataires de soins (physiothérapeutes, corps infirmier…), afin de défendre notre système de santé reconnu comme l’un des meilleurs au monde. Des solutions existent pour contenir les coûts mais surtout pour améliorer la prise en charge de chaque patient-e, ce qui est aussi un gage d’économicité. Les sociétés médicales ont déjà fait une série de propositions dans ce sens, telles que la mise sur pied d’indicateurs fiables, le renforcement des compétences des patient-es, l’interprofessionnalité, la prévention, la smarter medicine ou encore la numérisation.

Durant la crise sanitaire, vous avez regretté qu’on n’implique pas plus les médecins dans les stratégies nationales. Faites-vous le même constat pour d’autres domaines de la santé ?

Il est intéressant de constater que les médecins ne jouent aucun rôle dans la Loi sur les épidémies, alors que dans la pratique ce sont les professions médicales de manière générale qui ont permis de maîtriser la pandémie de Covid-19. On observe cette tendance à réduire la représentation de celles et ceux qui ont l’expertise médicale dans de nombreuses décisions politiques liées à la santé. Ainsi, pour la question de la neutralité des coûts dans le cadre de TARDOC, la FMH n’a même pas été consultée. Or, la meilleure solution réside dans l’établissement de partenariats publics-privés à l’instar de ce qui existe dans le canton de Vaud entre le DSAS et la SVM. Il faudrait même élargir ces partenariats à d’autres professions médicales.

© Laurent Kaczor

Comment assurer une meilleure représentativité des femmes dans les fonctions dirigeantes du corps médical suisse, vous qui êtes la première présidente de la Fédération des médecins suisses ?

Il est essentiel d’avoir des modèles pour montrer que cela est possible et pour encourager les carrières féminines. Et cela implique notamment de faire connaître plus largement au public et aux médias les femmes avec une position de cadre.

Deux conditions de base sont également nécessaires : faire bénéficier aux médecins cadres de bonnes conditions professionnelles, ce que nous sommes paradoxalement en train de perdre avec la féminisation de la profession ; et améliorer la conciliation entre vie privée et vie professionnelle, ce qui concerne d’ailleurs l’ensemble de la nouvelle génération. Actuellement, lors du départ à la retraite d’un médecin installé, il faut souvent 2-3 médecins pour le remplacer, ce qui implique une baisse de revenu individuelle. Le système doit donc s’adapter à cette nouvelle donne afin que la profession ne perde pas en attractivité.

En tant qu’ancienne conseillère nationale verte, quel lien faites-vous entre santé et environnement, et quelles sont les perspectives pour la pratique médicale de demain ?

Les jeunes médecins de l’ASMAC ont pris l’initiative de transmettre la problématique à la FMH, ce que je salue mais qu’il était difficile pour moi d’imposer de l’intérieur. La FMH a ainsi décidé d’une stratégie zéro émission d’ici 2030. Il est important que nous nous profilions comme un modèle à suivre pour l’ensemble de la profession.

Les enjeux sont immenses en termes de santé planétaire, qu’il s’agisse de pandémie, de zoonose ou encore de pollution de l’air. Les changements de pratique impliquent des conditions-cadres adéquates mais également plus de budget pour permettre les investissements nécessaires au sein des hôpitaux et des cabinets privés.

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«Le TARDOC bénéficie aux ­patients et aux payeurs de primes», Bulletin des médecins suisses, 2022;103(2930):929-931, bullmed.ch/article/doi/bms.2022.20943

«Combien pèsent en moyenne les primes dans le budget des ménages?», Bulletin des médecins suisses, 2022;103(2930):929-931, bullmed.ch/article/doi/bms.2022.20922

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