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Interview croisée

DEP: le point de vue de professionnel-les de santé

Depuis 2020, le dossier électronique du patient (DEP) est introduit progressivement en Suisse. Le DEP actuel, dont les données sont gérées par différentes communautés de référence, répond-il aux exigences d’interopérabilité et d’interprofessionnalité attendues ? Comment en améliorer l’utilisation pour les soignant-es et les patient-es ? La Dre Séverine Oppliger, médecin généraliste à Lausanne, et le Dr Christian Repond, pharmacien à Bulle, nous donnent leur avis.

Dr Christian Repond, pharmacien à Bulle, et Dre Séverine Oppliger, médecin généraliste à Lausanne et membre du comité de la SVM. © DR / Philippe Pache

Le DEP actuel répond-il aux besoins des professionnel-les de santé et de leurs patient-es?

Dr Christian Repond: Le DEP, bien que perfectible, a le mérite d’exister. Les objectifs définis par la Confédération lors de sa création sont légitimes. Jusqu’ici, les solutions à disposition des professionnel- les de santé pour optimiser la coordination des soins autour d’un-e patient- e sont insuffisantes et il y a encore du chemin à parcourir pour rendre le DEP totalement efficace. Mais le processus itératif engagé devrait permettre d’améliorer rapidement l’expérience des utilisateurs/ trices (professionnel-les de soins et patient-es). DRE

Dre Séverine Oppliger: Le DEP actuel est incomplet et ne répond que partiellement aux besoins des professionnel-les de santé. Aucun module d’interactivité, qui permettrait d’échanger entre professionnel- les dans le but de collaborer, n’est disponible à ce jour. Le DEP ne répond aussi que partiellement aux attentes des patient-es. Les procédures d’accès et d’enregistrement sont complexes et laborieuses, et certaines données ne peuvent pas encore y figurer, comme par exemple un plan des traitements actualisé. L’ajout des documents médicaux n’est à ce jour pas automatisé et doit être fait un par un manuellement par les soignant-es ayant accès au DEP ou par le/la patient-e.

« Le DEP devrait représenter une base de travail interopérable pour les professionnel-les de santé, tout en assurant la sécurité et la fiabilité des données qu’il contient. »

Dre Séverine Oppliger

Quels avantages a un-e patient-e à demander un DEP ?

Dre Séverine Oppliger: L’avantage principal serait de faciliter le regroupement et la consultation des documents du dossier médical par les professionnel-les de santé autorisé-es par le/la patient-e. La protection des données médicales serait optimisée par rapport aux méthodes actuelles d’échanges de documents entre professionnel-les.

Dr Christian Repond: En ouvrant un DEP, le/la patient-e s’assure un accès aux informations médicales le concernant. Dans la communauté Abilis lancée par les pharmacien-nes, il dispose même d’une app mobile qui lui permet d’accéder à ses documents depuis son smartphone en utilisant un seul identifiant électronique. Les infos contenues dans le DEP y ont été déposées par les professionnel-les de soins eux/elles-mêmes et sont donc réputées fiables. Leur partage à d’autres professionnel-les de soins, toujours moyennant le consentement du/de la patient-e, permet de rendre les traitements plus efficaces et plus sûrs. Le/la patient-e peut également télédéposer lui/elle-même des documents dans son DEP. Contrairement à d’autres initiatives qu’on trouve sur le marché, le DEP bénéficie d’une certification très difficile à atteindre et très rigoureuse de la part de la Confédération dans le cadre de la Loi fédérale sur le dossier électronique du patient. Le/la patient-e peut donc être rassuré-e sur les aspects de sécurité informatique et de protection des données sensibles.

La médication, l’un des points centraux du DEP, n’est pas interopérable aujourd’hui entre les différents systèmes. Comment y remédier ?

Dr Christian Repond: C’est effectivement le cas de la médication, mais aussi d’autres applications comme la vaccination. Des mesures importantes sont en cours du côté de l’OFSP, notamment à l’instigation d’Abilis, pour obtenir que cette interopérabilité, voulue et exigée par le législateur, soit rapidement disponible.

Dre Séverine Oppliger: La configuration actuelle du DEP ne permet pas d’interagir entre professionnel-les, que ce soit concernant la médication ou d’autres points, comme le plan de soins d’un-e patient-e par exemple. L’introduction ou la modification de documents n’est pas automatisée ni liée aux outils informatiques existants. Cette automatisation devrait être implémentée en priorité.

La Confédération pourrait prochainement mettre en place un modèle opt-out pour les patient-es et le rendre obligatoire pour les professionnel-les de santé. Quelle est votre position ?

Dre Séverine Oppliger: Je suis favorable à ce modèle. Il permettrait une uniformisation du déploiement du DEP, le rendant accessible par défaut, et favorisant l’adhésion au DEP du plus grand nombre de patient-es comme de professionnel- les de santé.

Dr Christian Repond: Pourquoi pas ? Je suis conscient que cela contribuerait à atteindre une masse critique permettant de lancer véritablement le DEP au niveau de la population. Cependant, cela soulève un certain nombre de questions pratiques, notamment au niveau des processus à mettre en place et de son financement.

La Confédération a-t-elle mis les moyens nécessaires pour garantir le bon fonctionnement et le succès du DEP ?

Dr Christian Repond: Non. Bien qu’un financement ait été intégré à la base du projet, il s’est avéré très tôt largement insuffisant. Il a surtout favorisé les plateformes techniques, mais pas assez les professionnel-les de santé qui doivent financer par leurs propres moyens le raccordement technique au DEP. De plus, il n’existe aujourd’hui aucune position tarifaire qui pourrait encourager les professionnel-les de santé à mettre en place les procédures internes nécessaires et à promouvoir le concept auprès de la population. Un dédommagement pour le travail supplémentaire demandé en quelque sorte.

Dre Séverine Oppliger: De notre position d’acteurs, utilisant cet outil sur le terrain, on remarque que, malgré l’intégration de professionnel-les de santé dans les réflexions sur sa mise en œuvre, il est essentiellement constitué sur des bases théoriques qui ne privilégient pas son utilisation pratique. A l’heure actuelle, l’essentiel fait défaut pour que le DEP puisse améliorer la prise en charge de nos patient-es.

Ne va-t-on pas être dépassé par d’autres gestionnaires de nos données de santé plus gros et plus puissants tels que Google ou Apple ?

Dr Christian Repond: Pas vraiment. Le DEP présente deux caractéristiques qui lui donnent une longueur d’avance : le fait qu’il s’inscrit dans le cadre d’une loi fédérale garante de la sécurité informatique et de la protection des données des patient-es, mais aussi le fait qu’il contient des informations médicales fiables fournies par les professionnel-les de santé eux/elles-mêmes.

Dre Séverine Oppliger: La force des géants de la technologie provient principalement du grand nombre de leurs adhérent-es, et ce grâce à la grande facilité d’accès à leurs produits. Ces produits sont en général interactifs, renseignant les utilisateurs/trices sur les données qui peuvent les intéresser ou les pousser à agir pour s’intéresser à leur santé. La faiblesse de ces produits pourrait se situer au niveau des failles dans la protection des données. Un outil tel que le DEP est moins ludique mais plus sûr, et devrait représenter une base de travail interopérable pour les professionnel- les, tout en assurant la sécurité et la fiabilité des données qu’il contient.

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