Le terme psychosomatique est souvent mal perçu, sous-entendant en quelque sorte que « c’est dans votre tête… ». Or il permet justement de parler des liens entre corps et psychisme, déjà mis en avant dans les différentes médecines antiques et dans la sagesse populaire, avec des expressions comme «en avoir plein le dos» ou «avoir de la peine à digérer quelque chose». Comment réhabiliter ce terme en terres romandes ?
Dre Myriam Birchmeier
Médecin généraliste FMH, spécialiste en médecine psychosomatique et en hypnose médicale
Suisse romande à la traîne
La vision dualiste de la médecine allopathique, séparant corps et psychisme, amène une grande frustration et un sentiment d’être incompris·es chez les patient·es qui ont tendance à se tourner vers des approches alternatives permettant une prise en charge plus globale. Les termes comme médecine fonctionnelle, holistique ou intégrative font référence à des méthodes complémentaires, et ne peuvent donc pas être utilisés comme synonyme de psychosomatique.
En Allemagne, la psychosomatique est une spécialisation à part entière au même titre que la médecine interne ou la psychiatrie. En Suisse alémanique, des consultations spécialisées en médecine psychosomatique sont proposées dans les hôpitaux universitaires de Berne, Zurich et Bâle. À l’Inselspital, elle est associée à un service hospitalier de vingt lits traitant des personnes de toute la Suisse. Comment expliquer qu’il n’y ait aucune prise en charge spécifique dans les grands centres médicaux romands ?
Sensibilisation centrale et périphérique
Quand le corps souffre à la suite d’une douleur aiguë qui se chronicise, d’un stress physique (par ex. covid long) ou d’un stress psychique (par ex. burnout professionnel ou dépression), notre corps réagit avec différentes cascades métaboliques et inflammatoires se répercutant sur notre système immunitaire, endocrinien, métabolique, neurologique, digestif et cardiovasculaire. Dans le cas de la douleur chronique, on peut constater des modifications au niveau périphérique (sensibilisation périphérique, douleur nociplastique, par ex. algoneurodystrophie) et/ou au niveau central avec la sensibilisation centrale qui peut se manifester de différentes manières : hyperalgésie (mesurable avec Algopeg®), phonophobie, photophobie, agoraphobie, irritabilité, labilité émotionnelle, troubles du sommeil, diverses intolérances (notamment au stress) et une dysrégulation neurovégétative (palpitations, vertiges-étourdissements, nausées, troubles digestifs, thermolabilité avec bouffées de chaleur, frissons, sueurs). L’apparition d’une sensibilisation centrale est favorisée par:
la tendance à l’hyperactivité («Action proneness»), à en faire trop, à ne pas s’écouter, chez des personnalités perfectionnistes, workaholiques, incapables de décrocher ;
la tendance à souffrir («Pain proneness») depuis l’enfance avec des traumas ou difficultés passés ou des comorbidités psychiatriques.
Mieux s’écouter
La prise en charge des troubles psychosomatiques passe d’abord par une anamnèse globale et détaillée, une discussion des liens entre psychisme et somatique, une psychoéducation et une rééducation douce et lente avec du pacing. Souvent la prise en charge de ces affections chroniques implique des coûts importants, car la plupart des cas ont un long parcours médical avec de multiples investigations, une polymédication souvent peu efficace et parfois même des gestes interventionnels. Or, dans bien des cas, une approche multimodale intégrant les différents aspects psychosomatiques permet d’améliorer le bien-être des malades, en réduisant les investigations et les traitements inutiles.
Mieux vaut prévenir que guérir
L’être humain est confronté à de nombreux facteurs de stress individuels (conditions professionnelles, difficultés familiales et économiques, etc.) et sociaux (guerres, changements climatiques), engendrant différents états de stress en fonction de la situation et de la sensibilité de chacun·e. Les affections psychosomatiques ne font qu’augmenter en fréquence, et les répercussions sociales, professionnelles et économiques sont importantes.
Au-delà des liens entre corps et esprit, il est donc important d’intégrer les influences extérieures, autant comme source de stress à réguler que comme ressources. En effet, l’être humain a besoin d’être connecté à son environnement social et naturel pour trouver son équilibre personnel. Par exemple, les études scientifiques s’intéressant à l’effet de la nature sur la rééducation face au stress (Shinrin Yoku) démontrent que des conseils simples, favorisant un meilleur équilibre et une reconnexion à la nature, permettent d’aider les patient·es à mieux prendre soin d’eux. Le terme psychosomatique devrait donc aller au-delà d’une prise en charge des interactions entre psychisme et corps, mais intégrer aussi l’environnement professionnel, familial, social et écologique.
Pour en savoir plus sur la formation approfondie interdisciplinaire en psychosomatique, rendez-vous sur l’onglet Formation continue du site de l’Académie suisse pour la médecine psychosomatique et psychosociale www.sappm.ch
Partagez votre opinion sur cet article !
0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Dre Myriam Birchmeier
Médecin généraliste FMH, spécialiste en médecine psychosomatique et en hypnose médicale