Mes études de médecine terminées en 1998, j’ai commencé par effectuer des stages courts dans différents services hospitaliers pour me préparer à un séjour en Côte d’Ivoire. Lorsque je suis revenu en Suisse, je me suis lancé dans un rythme effréné: 80 heures par semaine comme médecin assistant, parfois 110 heures avec les week-ends de garde. À l’époque, je militais au sein de l’AMINE –la section neuchâteloise de l’ASMAC– pour limiter ces horaires à 60 heures par semaine. C’est dans ce contexte que j’ai rencontré ma femme et que nous avons décidé de fonder une famille.
Sa spécialisation en gynécologie étant en cours, nous avons ensemble pris une décision inhabituelle à l’époque: je réduirais mon temps de travail pour m’occuper des enfants afin qu’elle puisse terminer sa formation opératoire très exigeante. En 2006, après l’obtention de mon FMH et de nombreux échanges, j’ai obtenu un 50% en tant que chef de clinique – une première pour un homme au sein de la PMU lausannoise! Cette décision n’a pas toujours été simple. Je me souviens d’une réunion où, faute de solution de garde, j’étais venu avec mes deux filles, alors âgées de 18 mois et 3 ans. Face à leur impatience, le professeur Jacques Cornuz s’est tourné vers elles: «Les filles, vous voulez un verre de Coca?». Ce moment reste gravé en moi, un geste empreint de tendresse dans un univers aussi académique et hiérarchisé.
Avec ce temps partiel, je tenais à démontrer que réduire son taux d’activité ne signifie pas réduire la qualité du travail. J’ai appris à optimiser chaque minute et à livrer un travail irréprochable. En 2010, j’ai pris un poste de 50% comme coordinateur des urgences au sein des Etablissements hospitaliers du Nord vaudois (eHnv) avec en plus un 30% à la PMU pour continuer mon travail d’enseignant à la faculté de médecine. Deux ans plus tard, je suis devenu chef de service et j’ai dû revenir à un 100%, soit 80 heures par semaine, laissant à ma femme, qui s’était installée dans le privé, le soin de réduire son activité pour nos enfants.
J’ai voulu que mes collaboratrices et collaborateurs aient également cette possibilité de temps partiel. Lorsque je suis devenu directeur médical aux eHnv en 2017, ces postes sont devenus une réalité pour le personnel médical à tous les échelons, d’autant plus depuis que nous avons opté pour une gouvernance plane avec des décisions collégiales. Cela reste encore un défi concernant les médecins assistant·es, leur formation exigeant un volume horaire important et la paperasse administrative ayant fortement augmenté. Mais, en tant que cadre, je suis convaincu qu’il est de notre devoir de répondre aux attentes des nouvelles générations: elles cherchent un équilibre, veulent travailler moins, peut-être assumer moins de responsabilités, mais vivre correctement.
Ce changement, bien qu’essentiel, met du temps à se concrétiser. Les hôpitaux doivent s’adapter, repenser leur attractivité en tant qu’employeurs car il ne faut pas se couper de toutes ces compétences affûtées. Aux eHnv, les résultats, qui sont toutefois multifactoriels, sont favorables: un taux de rotation plus bas, moins d’absentéisme et une satisfaction générale visible. Mais cela ne suffit pas. Les conventions collectives doivent aussi évoluer pour soutenir ces nouveaux équilibres, pour les médecins en formation comme pour les médecins cadres.
Ces transformations ne sont pas qu’une réponse aux besoins individuels: elles sont cruciales face à la pénurie de médecins et à l’augmentation du nombre de patient·es. S’adapter aux générations futures, c’est aussi inventer un système de santé qui se laisse emporter par les changements sociétaux, et surtout plus centré sur la prévention et les collaborations.