Si les services d’urgence et le secteur psychiatrique sont les plus touchés par ce fléau, qu’en est-il des établissements médico-sociaux (EMS), où les patient·es sont souvent fragiles et dépendant·es ?
Une réalité sous-estimée
Une étude publiée en 2018 par l’Université de Lausanne (UNIL) et le CHUV (1) révèle que 57,6 % des collaborateurs et collaboratrices interrogé·es dans les EMS ont été victimes, au cours des douze mois ayant précédé l’enquête, d’insultes (53,3%), de menaces (23,9%) ou d’agressions physiques (36,7 %) perpétrées par des résident·es ou leurs proches. Contrairement au milieu pédiatrique, où les violences sont majoritairement le fait de proches, dans les EMS, elles proviennent essentiellement des résident·es (seulement 1,4 % des agressions sont commises par des proches).
Cette étude met en évidence une prévalence accrue de la violence dans les EMS à mission PAA (Psychiatrie de l’âge avancée), où les résident·es, souvent atteint·es de démence et de troubles de la compréhension y associés, ne possèdent plus leur pleine capacité de discernement. Ces chiffres corroborent un principe fondamental: la violence de la part d’une personne atteinte de troubles neurocognitifs majeurs n’est jamais gratuite ni préméditée et exprime une incompréhension ou un mal-être physique ou psychologique. Une douleur, un besoin non satisfait, un effet secondaire médicamenteux, une surstimulation, un changement d’environnement ou des hallucinations peuvent en être les déclencheurs. Le défi pour le personnel soignant consiste à identifier ces facteurs pour prévenir les réactions agressives.
Face à la progression de la maladie, la capacité d’autocontrôle diminue, menant à des excès d’humeur et une résistance active, verbale ou physique, constituant un mécanisme de défense face à une situation perçue comme menaçante (2). C’est pourquoi les équipes préfèrent parler d’attitude défensive plutôt que d’agressivité lorsqu’un·e résident·e manifeste de tels comportements.
Quelles solutions pour protéger les soignant·es ?
Face à ces situations, l’administration de psychotropes (neuroleptiques ou benzodiazépines) reste une solution courante, mais controversée en raison de son efficacité limitée, de ses effets secondaires et du risque de dépendance.
En revanche, l’aménagement de l’environnement du/de la résident·e (effet apaisant d’un environnement calme et rassurant, voire hypo-stimulant) et le recours à des approches non médicamenteuses peuvent contribuer de façon significative à la réduction des comportements d’agressivité, d’agitation et d’anxiété. Pour qu’elles soient efficaces, ces stratégies nécessitent une formation adéquate et une disponibilité suffisante du personnel, deux défis majeurs dans le contexte actuel de pénurie et de rotation du personnel soignant.
La première étape pour prévenir les situations de violence et accompagner le personnel repose sur la prise en compte de ces actes agressifs par l’employeur. La clé réside donc dans un engagement fort des directions d’EMS, avec des mesures concrètes qui peuvent reposer sur trois axes proposés par le Prof. Dirk Richter en 2013 (3) :
- Élaborer des normes de soin pour prévenir les comportements agressifs, en formant le personnel à des techniques d’approche adaptées aux résident·es atteint·es de troubles neurocognitifs majeurs (méthodes « Humanitude » ou « Montessori », par exemple).
- Former les collaborateurs et collaboratrices à la gestion des comportements agressifs (techniques de désescalade, attitude à tenir face aux résident·es agressifs et agressives).
- Mettre en place de la supervision et un soutien professionnel pour les collaborateurs et collaboratrices victimes d’actes agressifs.
Enfin, sensibiliser les résident·es et leurs proches, via la promotion du respect mutuel, reste un levier essentiel pour prévenir les actes agressifs et restaurer un climat de confiance.