Dr Philippe Eggimann: « Il n’y a aucune urgence à restreindre le libre choix du médecin »
Alors que le débat sur l’obligation de contracter refait surface, le Dr Philippe Eggimann, vice-président de la FMH, alerte sur les dangers d’une réforme précipitée.
Propos recueillis par la rédaction
Est-ce que la fin du libre choix du médecin est déjà programmée ?
Absolument pas. Le Parlement a chargé le Conseil fédéral d’élaborer un projet de loi dans ce sens, mais le processus, soumis à consultation puis au débat parlementaire, est long. S’il devait aboutir, un référendum est probable car ce projet remet en cause un pilier du système de santé : le droit fondamental pour chaque assuré·e de choisir librement son médecin et son hôpital. Une telle restriction ouvrirait la porte à une médecine à deux vitesses, dictée par des critères économiques plutôt que médicaux : un changement de paradigme toujours refusé par la population jusqu’à présent [1]. Les conseillers nationaux vaudois s’y sont d’ailleurs opposés avec 11 voix contre 6 pour et 2 abstentions.
Pourquoi la FMH s’oppose-t-elle si fermement à cette réforme ?
Parce que l’obligation de contracter est le seul rempart contre la sélection des patient·es par les assureurs. Nul doute que les caisses favoriseront les affilié·es leur coûtant le moins cher. Cela exclurait des professionnel·les prenant en charge des patient·es onéreux/onéreuses : les personnes âgées ou atteintes de maladies chroniques ou complexes. Outre la question de l’équité, c’est aussi une question de sécurité des soins. Limiter l’obligation de contracter pousserait les médecins à rationner les prestations par crainte d’un non-remboursement. Or, cela péjore la qualité des soins et l’espérance de vie [2]. Cette réforme risquerait aussi de dissuader la relève : si le remboursement n’est plus garanti, comment espérer que les jeunes médecins s’installent ou reprennent un cabinet ?
Que peuvent faire les médecins et les citoyens dans ce contexte ?
Informer la population suisse : c’est ce qui lui permettra de défendre ses droits en cas de référendum. Beaucoup ignorent les conséquences d’un assouplissement de l’obligation de contracter. Il existe déjà des modèles d’assurance alternatifs que chacun·e peut choisir librement. Or, un tel assouplissement reviendrait à imposer un système restrictif par défaut. Nul doute que les assurances complémentaires ambulatoires (les fameuses mutuelles en France) se développeraient rapidement. Il n’y a aucune urgence à limiter le libre choix : deux objets votés en 2024 vont influencer les coûts de la santé et les primes ces prochaines années. Attendons déjà d’observer leurs effets.