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Anne-Geneviève Bütikofer

Hôpitaux suisses : le statu quo n’est plus une option

Sous-financement chronique, pénurie de personnel, digitalisation à la traîne : les hôpitaux suisses font face à des défis majeurs. Dans cet entretien, Anne-Geneviève Bütikofer, directrice de H+ (organisation nationale des hôpitaux, cliniques et institutions de soins publics et privés), appelle à une réforme profonde du système, à la collaboration entre toutes les actrices et acteurs et à une meilleure adaptation des financements pour construire un modèle de santé durable, innovant et centré sur le ou la patient·e.

 

Une grande partie des hôpitaux suisses rencontre des difficultés financières malgré des mesures d’économie. Quelles en sont les raisons principales ?

La principale raison est un financement hospitalier inadéquat, en particulier dans le secteur ambulatoire qui souffre d’un sous-financement estimé à 25 %. Les tarifs, qu’ils soient ambulatoires ou stationnaires, ne sont pas indexés à l’inflation, rendant impossible tout investissement nécessaire au maintien d’un hôpital et d’une prestation de qualité. Malheureusement, le système légal actuel ne permet guère de poser les bases d’une réforme en profondeur de notre système, conçu avant tout pour financer la maladie plutôt que la promotion de la santé — un modèle qui ne peut plus reposer uniquement sur les primes d’assurance.

Quel impact auront le financement uniforme des prestations (EFAS) et le nouveau système tarifaire (TARDOC et forfaits ambulatoires) sur les finances des hôpitaux ?

Le nouveau système tarifaire, qui entrera en vigueur dès 2026 et que H+ soutient, devrait permettre de contenir la hausse des coûts de la santé, notamment grâce au développement des forfaits ambulatoires. Cependant, la limite fixée par le Conseil fédéral à 4 % d’augmentation annuelle des coûts jusqu’à fin 2028 pénalise fortement les hôpitaux, dont la croissance moyenne des coûts atteint 7 %. Quant au financement uniforme (EFAS), effectif dès 2028, il n’apporter pas de solution immédiate. Pour en tirer pleinement parti, il faudrait que les hôpitaux transfèrent davantage de prestations vers l’ambulatoire, ce qui nécessite des investissements qu’ils ne sont actuellement pas en mesure de réaliser. De plus, il est essentiel que ces prestations ambulatoires ne soient pas réalisées à perte.

Quelles stratégies H+ met-elle en place pour préparer ses membres au changement de système tarifaire dès 2026?

H+ a sensibilisé très tôt ses membres à cette transition. Nous avons anticipé avec des séances d’information, proposées sur site ou en ligne, ainsi que des formations dans nos deux centres – H+ Bildung à Aarau et Espace Compétences à Cully (VD). Certains membres sont déjà prêts, l’enjeu principal étant de disposer à temps des logiciels adéquats. Chaque établissement doit en effet adapter son propre outil informatique à cette nouvelle réalité, ce qui représente un défi complexe.

Pour répondre aux inquiétudes de certaines sociétés de discipline concernant l’impact des nouveaux tarifs, les partenaires tarifaires ont mis sur pied un groupe de travail afin de prendre en compte leurs demandes et d’adapter ce qui pouvait encore l’être.

Quels sont les défis pour passer des soins stationnaires aux soins ambulatoires, et quelles solutions innovantes sont envisagées ?

Tout repose à nouveau sur un financement adéquat. Les hôpitaux et cliniques doivent disposer des moyens financiers nécessaires à cette transition. Ils se sont déjà orientés de manière prospective vers ce modèle du futur. Les établissements sont conscients de la nécessité d’une transformation à la fois verticale – l’hôpital intervenant au-delà de ses murs – et horizontale en collaborant avec d’autres prestataires pour construire une prise en charge intégrée autour du/de la patient·e .

Comment H+ aborde-t-elle la tension croissante entre les hôpitaux publics et privés générée par les nouvelles planifications hospitalières ?

C’est un enjeu majeur, car H+ représente la quasi-totalité des hôpitaux et cliniques suisses, qui partagent les mêmes préoccupations en matière de financement, de tarification, de qualité ou de digitalisation. Toutefois, H+ n’intervient pas au niveau cantonal et ne se mêle pas des spécificités structurelles locales. On observe d’ailleurs une tendance vers la planification régionale, bénéfique en termes de pôles de prestations et de flux de patient·es.

La pénurie de personnel médical et soignant devient critique, notamment dans les régions périphériques. Quelles solutions concrètes H+ propose-t-elle ?

La pénurie de personnel médical est généralisée, bien qu’elle soit plus aiguë dans les régions périphériques. L’initiative sur les soins infirmiers permet d’investir dans la formation. Cependant, il est illusoire d’espérer améliorer les conditions de travail sans financement adéquat. Réduire le temps de travail hebdomadaire, par exemple, nécessite plus de personnel formé et donc davantage d’établissements qui forment, alors même que l’on évoque la suppression de lits, voire d’hôpitaux. Il est notable que, sur les dix dernières années, le nombre de soignant·es formé·es travaillant dans nos hôpitaux a augmenté de 24 % pour répondre à la demande croissante de soins. La question du financement reste centrale : tant qu’elle ne sera pas résolue, toute amélioration des conditions de travail sera difficile à mettre en oeuvre. Pour sa part, H+ est très impliquée dans la formation, notamment via ses deux centres spécialisés.

Comment renforcer la collaboration entre hôpitaux, médecins de ville et autres acteur·trices du système de santé pour garantir la continuité des soins ?

H+ représente les hôpitaux mais aussi les 212’000 collaborateur·trices qui y travaillent. Il est indispensable de cesser de travailler en silo et de penser en termes de réseaux et de régions de soins. Dans notre stratégie 2030+, qui sera soumise à l’Assemblée générale en novembre, nous souhaitons développer ces partenariats. Cette stratégie est le fruit d’une analyse menée avec des acteur·trices externes, des politiques, des membres H+ et des personnes internes à l’association. Il est temps de chercher ensemble des solutions et, surtout, de se coordonner pour les mettre en oeuvre.

Quel regard portez-vous sur le bras de fer entre assureurs et hôpitaux à propose des prestations supplémentaires (voir DOC n°14)?

Le débat a été compliqué par la difficulté à distinguer, au sein des hôpitaux, les prestations de base (AOS), de plus en plus étendues, des prestations supplémentaires (LCA). L’enjeu est de taille, car ces dernières, relevant de l’assurance privée, peuvent représenter une part importante du chiffre d’affaires des établissements. Il a fallu trouver une solution “gagnant-gagnant” avec les assureurs, conforme aux exigences légales.

Quelles relations H+ entretient-elle d’ailleurs avec les assureurs ?

Nous sommes des partenaires tarifaires poursuivant le même objectif, mais par des voies différentes : les hôpitaux en fournissant les meilleurs soins, les assureurs en les finançant. Nous avons développé des collaborations fructueuses, comme la convention de qualité ou le développement conjoint des forfaits ambulatoires. Mais il arrive aussi que nous soyons en total désaccord, par exemple sur la question de l’assouplissement de l’obligation de contracter : pourquoi donner aux assureurs le pouvoir de planifier l’offre, alors qu’on ne donne pas le choix aux hôpitaux de travailler avec certains assureurs. Cela crée un déséquilibre flagrant.

L’intelligence artificielle et la digitalisation sont présentées comme des leviers d’efficacité et de durabilité pour le système de santé. Quels freins et opportunités identifiez-vous pour leur déploiement à grande échelle dans les hôpitaux suisses ?

Les hôpitaux détiennent une immense quantité de données, mais la Suisse accuse un retard important en termes de digitalisation, probablement en raison de sa structure fédérale qui n’a pas permis une approche centralisée. Il est urgent de remédier à cette situation, comme le vise le programme Digisanté de la Confédération qui cherche à établir un langage commun. De nombreux outils efficaces ont été développés dans les hôpitaux ; il s’agit maintenant de les coordonner et de mettre en place des interfaces communes.

Au sein d’H+, j’ai créé un domaine dédié à la digitalisation, qui vise à réunir les expert·es du secteur hospitalier pour favoriser l’échange de bonnes pratiques et optimiser ensemble le système.

Quel est aujourd’hui le message principal de H+ à l’attention des élus politiques pour garantir l’avenir des hôpitaux ?

Il faut déréguler un système de santé devenu excessivement réglementé, dont le coût ne cesse d’augmenter sans réelle plus-value pour son développement. Pour planifier ensemble le système du futur, il est impératif de réunir les différent·es acteur·trices autour de la même table.

À quoi devra ressembler, selon vous, l’hôpital suisse en 2035 ?

L’hôpital devra être beaucoup plus agile, fonctionner en réseau avec d’autres acteurs·trices, garder le/la patient·e le moins longtemps possible dans ses murs et proposer des modèles de prise en charge innovants et digitaux, pour une qualité de soins optimisée.

À quand remonte votre dernier check-up ?
Mars 2025, par hasard, après avoir retrouvé un médecin de famille extraordinaire

Avez-vous un DEP ?
Non

Votre remède anti-stress ?
Ecouter de la bossa nova ou du jazz

Quelle spécialité, si vous aviez été médecin ?
Neurochirurgie pour explorer la complexité du cerveau humain

Si vous pouviez changer une chose dans le système de santé suisse, ce serait quoi ?
Je standardiserais et digitaliserais pour améliorer les diagnostics et optimiser la prise en charge des patient·es

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