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Politique

Le 9 juin, ne freinons pas l’accès de la population aux soins!

Le peuple suisse devra se prononcer le 9 juin prochain sur l’initiative « pour un frein aux coûts ». De multiples actrices et acteurs de la santé s’insurgent contre ce projet visant à plafonner la prise en charge des coûts dans l’assurance de base selon la conjoncture, sans tenir compte des besoins réels. DOC fait le point avec le Dr Sébastien Jotterand, co-président de Médecins de famille et de l’enfance Suisse (mfe).

L’initiative « pour un frein aux coûts » demande de lier les dépenses de santé à la conjoncture. Que pensez-vous de cette approche ?

Elle est absurde et ce pour une raison très simple : ce n’est pas la conjoncture de l’année d’avant, mais bien les besoins réels des patient·es à un moment donné qui doivent influencer les dépenses de santé ! Si cette initiative avait été introduite en l’an 2000, plus d’un tiers des prestations de l’assurance de base ne serait plus remboursé aujourd’hui. Imaginez les conséquences sur la qualité et l’espérance de vie des personnes à revenu modeste ! Et que ferions-nous si une nouvelle pandémie survenait après une année de récession ? On limiterait encore plus strictement l’accès aux prestations en vertu de ce mécanisme ? C’est une vision cynique à laquelle personne ne peut sérieusement se rallier.

C’est déjà assez absurde que ce soit l’évolution défavorable de la bourse en 2001 (11 septembre), en 2008 (crise des subprimes) ou encore depuis 2022 (guerre en Ukraine), qui ait entraîné à chaque fois une augmentation massive des primes l’année suivante pour reconstituer les réserves vilipendées ! L’IPAM (Indice des primes d’assurances maladies) calculé depuis peu par l’Office fédéral de la statistique (OFS) démontre d’ailleurs clairement que l’impact des primes sur le revenu disponible des ménages avait été très stable entre 2018 et 2022.

Sur le fond, il ne fait surtout pas sens de laisser le système de santé manquer d’efficience pendant des années si la conjoncture est bonne et la situation sanitaire stable, puis de soumettre la population à un rationnement sévère en cas de dégradation de la situation sanitaire ou économique. C’est tout le contraire qu’il faut faire, mais ce n’est pas ce que l’initiative prévoit !

Si cette initiative était acceptée, quelles en seraient les conséquences pour la population ?

Comme les actrices et acteurs de la santé continueront de toute façon à faire des efforts pour maîtriser les coûts dans la durée, tout dépendra de la conjoncture. Le risque existera donc que l’on demande aux assuré·es de payer de leur poche ou de leur santé le prix des mauvaises performances économiques de l’année écoulée (voire même de l’année précédente, le temps de disposer de chiffres consolidés). Car en cas d’acceptation de l’initiative, ce ne sont pas les coûts immédiats de la santé qui seraient freinés, mais bien leur remboursement ! Les personnes ne pouvant pas ou plus les prendre en charge elles-mêmes devraient donc y renoncer, au moins temporairement.

C’est en complète contradiction avec l’article 117a de notre Constitution qui prévoit que « la Confédération et les cantons veillent à ce que chacun ait accès à des soins médicaux de base suffisants et de qualité ». Avec cette initiative, ce principe serait enterré. Et la médecine à deux vitesses deviendrait plus que jamais une réalité !

Et quel en serait l’impact sur le corps médical et les professionnel·les de la santé ?

En 2027, ce sont d’abord 1 à 2 milliards de coupes « pour l’exemple » répartis sur les fournisseurs de prestations, en vertu de la disposition transitoire brutale prévue dans l’initiative. A plus long terme, c’est difficile de le savoir, tant la mise en œuvre définitive de cette initiative dépendrait des travaux du Parlement, via une loi d’application. Théoriquement, les prestataires concernés devraient se mettre autour d’une table pour décider comment limiter de la manière la moins mortifère l’accès de la population aux soins si les coûts de l’assurance de base augmentent plus vite que les salaires. Mais au final, après des heures de palabres, les actrices et acteurs les plus influent·es du système (pharmas, assureurs) risquent bien de conserver leurs prérogatives au détriment de toutes et tous les autres. Et et de transformer les professionnel·les de terrain en agent·es du rationnement, sous une surveillance bureaucratique forcément encore accrue. Pour mfe, cette perspective doit être combattue avec la dernière énergie. Enfin, sachant que notre priorité en 2024 est la relève, comment voulez-vous attirer des nouvelles vocations dans notre métier si on menace de nous rationner ?

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