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Dr Bertrand Piccard

“Les médecins doivent soutenir plus activement la protection de l’environnement”

Il est médecin psychiatre spécialiste de l’hypnose ericksonienne, explorateur des temps modernes ayant effectué deux fois le tour du monde, en ballon puis en avion solaire, et président de la Fondation Solar Impulse. Porte-drapeau d’une croissance qualitative, le Dr Bertrand Piccard nous livre sa vision d’une troisième voie qui vise à stimuler la création de richesses grâce à des mesures permettant de diminuer gaspillage et pollution. Entretien inspirant.

© Régis Colombo

Psychiatre, explorateur, ambassadeur des technologies propres et efficientes… comment chacune de ces facettes a-t-elle enrichi les autres ?

A 16 ans, je rêvais d’exploration mais, paradoxalement, j’avais peur de grimper aux arbres. La vue d’une aile-delta dans le ciel des Diablerets a été un déclic. J’ai alors appris à voler et ai remporté par la suite les championnats d’Europe de vol acrobatique. En me connectant à moi-même, en me sentant vivant dans l’instant présent, je me suis non seulement soigné de mon vertige et de ma timidité, mais je suis aussi devenu plus performant dans toute ma manière de fonctionner. Ce fut une expérience philosophique, presque spirituelle. J’ai alors choisi de devenir psychiatre pour aider les gens en souffrance à se reconnecter avec eux-mêmes et à regagner en performance, en conscience et en introspection. J’ai ensuite suivi une formation en hypnothérapie, à l’origine pour me préparer psychologiquement et physiquement à traverser l’Atlantique en Montgolfière, puis en hypnose ericksonnienne qui est devenue l’essentiel de mon activité thérapeutique. Après avoir réalisé le tour du monde en ballon avec Breitling Orbiter, j’ai lancé le projet de Solar Impulse. En tant que médecin, je désirais travailler sur la qualité de vie – et pas seulement de mes patient-es – qui est par beaucoup d’aspects liée à l’environnement au sens large (pollution, énergies, biodiversité, développement durable…). Le tour du monde en avion solaire a été la démonstration symbolique que l’on pouvait accomplir des exploits considérés comme impossibles grâce aux énergies renouvelables et aux technologies propres. Mais l’aventure la plus concrète a commencé après l’atterrissage en cherchant des solutions pour protéger l’environnement dans le cadre de la Fondation Solar Impulse. Nous avons à ce jour identifié et labellisé plus de 1400 solutions écologiques et économiquement rentables. On peut croire que j’ai bifurqué car je n’ai plus de pratique médicale alors que c’est le même esprit qui m’anime : soigner une dépendance aux énergies fossiles avec des produits de substitution – soit des technologies propres, efficientes et créatrices d’emploi – sans que le « patient » n’ait à faire de sacrifices.

A votre avis, la technologie a-t-elle plus de chances de détruire ou de sauver l’être humain et la planète ?

La technologie en elle-même ne fait rien, c’est l’être humain qui décide de son usage. L’erreur serait de prendre comme alibi le fait qu’une technologie future nous sauvera du désastre pour ne rien changer aujourd’hui, alors qu’il existe déjà bien assez de technologies pour fonctionner correctement. Je suis optimiste quand je vois la quantité de solutions qui existent pour remplacer les énergies fossiles et économiser nos ressources. Mais je suis très pessimiste lorsque je constate la lenteur avec laquelle ces solutions sont mises en œuvre. Avec des courbes de hausse des températures et d’émissions de CO2 exponentielles,

l’écart entre ce qu’on fait et ce qu’on devrait faire augmente chaque jour.

Quels sont les principaux freins pour emprunter cette troisième voie que vous qualifiez de croissance qualitative conciliant écologie et économie ?

Il y a d’abord le laxisme du monde politique qui n’ose pas assumer son rôle de leader. Autre frein : le cadre réglementaire qui devrait être beaucoup plus strict sur le plan environnemental en décourageant les technologies polluantes pour favoriser la mise sur le marché des technologies propres et rentables. Pour la première fois, le rapport du GIEC de février 2022 consacre tout un chapitre aux obstacles à la protection de l’environnement et parle de manière très claire d’absence de leadership, d’erreur de gouvernance, de laxisme et de manque de responsabilités. J’ajouterais encore les idéologies. Le réalisme pour moi, c’est quand on essaie d’obtenir un résultat au-delà de son idéologie personnelle. Malheureusement, les partis politiques veulent généralement développer leur propre valeur, au détriment des autres, que cela soit l’écologie, l’économie, la sécurité ou la solidarité. Pourquoi ne pas plutôt travailler sur l’intersection entre ces valeurs afin de sortir des clivages ? Aujourd’hui les énergies renouvelables, c’est aussi la sécurité car on diminue notre dépendance aux pays peu fiables ; écologiquement, leurs atouts sont évidents ; économiquement, ces énergies sont devenues moins coûteuses que le gaz, le pétrole ou le charbon, d’autant plus si on intègre les externalités ; et comme les technologies propres et efficientes créent des emplois et du pouvoir d’achat, on répond aussi aux valeurs sociales.

Et en Suisse, le cadre réglementaire est-il adapté aux nouvelles technologies ? Ses autorités ont-elles l’audace de suivre cette troisième voie ?

Le cadre réglementaire en Suisse ne permet pas d’avancer plus vite. Le droit de recours – qui est heureusement en train de changer – freine de nombreuses installations renouvelables. Par exemple, un projet hydroélectrique fondamental est bloqué car on a trouvé un insecte menacé dans cette région. Nous avons aussi en Suisse le parc automobile le plus polluant d’Europe car les gens ont plus de moyens de s’acheter de grosses cylindrées, sans parler des résultats de vote concernant la loi sur le CO2. Paradoxalement, notre pays est très bien armé pour devenir neutre sur le plan carbone avec ses écoles polytechniques, ses start-ups et sa culture de l’innovation. A présent, il faut que tous les partis s’accordent sur un certain nombre de préoccupations communes. Car si le dérèglement climatique continue, l’insecte en question va de toute façon disparaître !

Comment résoudre le paradoxe du domaine de la santé qui sert à soigner mais est en même temps un gros émetteur de C02 ?

Le secteur de la santé, comme tous les autres d’ailleurs, doit passer aux énergies renouvelables, devenir plus efficient dans les processus industriels, l’isolation des bâtiments, le traitement des déchets. Dans le monde médical, il y a aussi quelques limites avec, par exemple, le matériel à usage unique, mais de plus en plus de solutions existent pour limiter le gaspillage et recycler les déchets.

Des conseils pour les médecins en hôpital ou en cabinet pour limiter leur empreinte carbone ?

Les médecins ont un rôle fondamental de communication car ils et elles sont crédibles auprès de la population, des médias et du monde politique. Hormis leur propre responsabilité individuelle qui ne les concerne pas plus que le reste de la population, ceux/celles-ci devraient soutenir beaucoup plus activement la protection de l’environnement, notamment auprès des autorités, car les atteintes à l’environnement impliquent des atteintes à la santé. Or l’action principale du/de la médecin reste la prévention. Rappelons que plus de 8 millions de personnes par an meurent à cause de la pollution de l’air1.

A lire

Bertrand Piccard, Réaliste – Soyons logiques autant qu’écologiques, Editions Stock, 2021.

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