La situation en Suisse
Le travail à temps partiel est bien établi en Suisse avec 38% des personnes actives en 2024. Si le taux féminin stagne à 58%, sa progression globale est portée par les hommes: 20% d’entre eux étaient à temps partiel en 2023 contre 15% en 2013 [1]. Le changement sociétal porté par les générations Y et Z augmente l’attractivité du temps partiel mais questionne les inégalités de genre qui le caractérisent actuellement. Plus globalement, une quête accrue de flexibilité, d’équité dans les charges familiales et de nouveaux formats de travail, comme le job sharing ou le job splitting, redéfinissent actuellement le monde de l’emploi. Ces thèmes sont particulièrement sensibles face à une pénurie croissante de professionnel·les qualifié·es, notamment dans la santé [2] [3].
Enjeux pour les médecins
Le temps partiel progresse chez les médecins, mais soulève des défis spécifiques: féminisation croissante, formation exigeante, horaires irréguliers et historiquement prolongés (à 56 h/semaine en moyenne en 2022 [4]), continuité des soins 24/7 et complexité croissante des patient·es. À cela s’ajoute une culture de performance et d’endurance, compliquant la conciliation vie privée/professionnelle. Les médecins se trouvent donc souvent face à des choix de carrière au détriment de leur vie familiale, pouvant entraîner perte de satisfaction professionnelle et risque accru d’abandon de la profession, ou du moins de l’activité hospitalière.
Face à ces enjeux, une demande croissante émerge pour intégrer plus de flexibilité dans les carrières hospitalières, comme le témoigne le Guide pour la promotion du travail à temps partiel pour les médecins de l’Association Suisse des médecins assistant.e.s et chef·fes de clinique (asmac) [5]. La formation postgraduée [6] peut être effectuée à temps partiel (minimum 50%) avec un taux d’activité de 20 à 50% possible pendant un an maximum. Cependant, cela prolonge la durée de la formation et en complexifie l’organisation. En revanche, pour les médecins déjà formé·es, cette option présente moins de contraintes de ce point de vue et serait un bon moyen d’attirer et de retenir les talents en médecine hospitalière. Il est à noter que toutes et tous les spécialistes doivent accomplir leur formation continue selon la Réglementation [7], indépendamment de leur taux d’occupation.
Chiffres actuels et évolution du temps partiel à l’hôpital
Au CHUV en 2024, 24% des médecins travaillaient à temps partiel, plus fréquent chez les chefs et cheffes de clinique (39%) que les cadres (27%) ou médecins assistant·es (11%). En 2022, 30% des médecins de l’Hôpital universitaire de Zurich travaillaient à temps partiel et un sondage de l’asmac indiquait que, en Suisse, seuls 47% des chefs et cheffes de clinique et 80% des médecins assistant·es, 59% des femmes et 79% des hommes médecins, travaillaient à plus de 94% [4] [8]. Au CHUV aussi les femmes sont plus nombreuses à temps partiel: 31% contre 16% des hommes (2024). Toutefois, cet écart tend à se réduire et reste moins marqué que dans la population générale.
Pourtant, malgré des campagnes institutionnelles de promotion du temps partiel, le taux de médecins à temps partiel au CHUV reste stable depuis 10 ans. Cela contraste avec la tendance nationale globale et celle de la profession: selon les statistiques de la FMH, entre 2013 et 2023, l’activité hebdomadaire moyenne des médecins suisses est passée de 9 à 8,6 demi-journées. Cependant, cette baisse concerne surtout l’activité ambulatoire, le temps de travail hospitalier ayant peu diminué (9,5 à 9,4 demi-journées). En revanche, l’enquête 2022 de l’asmac indique que la proportion de médecins travaillant à temps plein (95-100%) a diminué de 75% à 66% entre 2013 et 2022, et que 86% des répondant·es souhaiteraient travailler au maximum 42h/semaine.
Des solutions concrètes
Certaines institutions offrent déjà des solutions telles que: taux d’activité entre 50 et 100% à tous les échelons; horaires réduits avec jours fixes, flexibles ou récupérations groupées; soutien financier pour le job sharing, retour progressif après un congé maternité; crèches à horaires étendus; télétravail pour les tâches administratives; et répartition ajustable du temps de travail.
Des défis multiples pour un enjeu sociétal urgent
Bien que le travail à temps partiel puisse rendre les carrières hospitalières plus inclusives et durables, tout en répondant aux défis de rétention des talents, des obstacles à son plein déploiement persistent et ne sont pas à négliger (voir tableau « Les plus et les moins du temps partiel en milieu hospitalier » ci-dessous ou en PDF). En effet, des défis demeurent, tant sur le plan pratique (administration, formation), inhérents à la cyclicité hebdomadaire 24/7, que culturel (valorisation de la disponibilité totale, féminisation d’un milieu historiquement masculin) et surtout financier (recouvrements nécessaires pour les transmissions, augmentation conséquente des coûts de formation vu le nombre de personnes à former pour un même rendement, charge reportée chez les médecins qui supervisent). Néanmoins, au vu de la pénurie majeure de médecins, ces défis deviennent des enjeux sociétaux à confronter dès maintenant afin de pallier la pénurie médicale déjà existante.
Références
[1] OFS, «Enquête suisse sur la population active (ESPA),» 05 Juillet 2024. [En ligne]. Available: https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/situation-economique-sociale-population/egalite-femmes-hommes/activite-professionnelle/travail-temps-partiel.html.
[2] S. Hostettler, «Statistique médicale 2023 : 40% de médecins étrangers,» Bulletin des médecins suisses, vol. 12, n° %1105, pp. 30-36, 2024.
[3] «Sondage – Densité médicale vaudoise. Des médecins au bord de la saturation,» DOC Le rendez-vous des médecins vaudois, p. 16, Août 2022.
[4] DEMOSCOPE, «Situation de travail des médecins assistant.e.s et che-fe-s de clinique – Sondage auprès des membres vaso asmac 2023,» 2023. [En ligne]. Available: https://vsao.ch/fr/medias-et-publications/etudes-et-sondages/. [Accès le 07 Janvier 2025].
[5] asmac, «Guide pour la promotion du travail à temps partiel pour les médecins,» [En ligne]. Available: https://vsao.ch/wp-content/uploads/2021/06/AU_Hauptrubrik-Arztberuf-und-Familie_Unterrubrik-Foerderung-Teilzeit_Leitfaden_FR_20210624_V01.00.pdf. [Accès le 07 01 2025].
[6] ISFM, «Interprétation de l’art. 32 RFP (temps partiel) et de l’art. 30 RFP (durée minimale des périodes de formation postgraduée),» 24 Mars 2021. [En ligne]. Available: https://www.siwf.ch/files/pdf27/wbo_ausl_art_30_32_f.pdf. [Accès le 07 01 2025].
[7] ISMF, «Réglementation pour la formation conti,» 25 avril 2002. [En ligne]. Available: https://www.siwf.ch/files/pdf26/fbo_f.pdf. [Accès le 07 janvier 2025].
[8] M. Ganzfried et G. Mäder, «Le travail à temps partiel en Suisse : importance croissante, défis et opportunités,» Août 2022.