Urgences : BabelDr brise la barrière de la langue aux HUG
Pour améliorer l’accès aux soins des patient·es allophones, la Faculté de traduction et d’interprétation de l’Université de Genève et les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) ont développé BabelDr, un outil de traduction médicale innovant. Focus sur ce logiciel avec le Dr Hervé Spechbach, médecin adjoint aux HUG.
Dre Hervé Spechbach
Spécialiste en médecine interne, Médecin adjoint, HUG
L’idée est née il y a plus de dix ans sous l’impulsion de la professeure Pierrette Bouillon, de la Faculté de traduction et d’interprétation de l’Université de Genève. Elle travaillait alors sur un logiciel de traduction aux États-Unis. Face à l’arrivée de migrant·es syrien·nes, érythréen·nes et plus tard ukrainien·nes, nous ne disposions d’aucun moyen technologique fiable et validé pour communiquer avec elles et eux dans le cadre médical. Nous avons donc collaboré pour développer un logiciel de traduction du langage médical sur mesure, dans une dizaine de langues, sous la forme d’une application open source soutenue par la Fondation privée des HUG.
En quoi BabelDr se distingue-t-il des outils de traduction classiques ?
Contrairement aux solutions existantes, comme Google Translate, qui posent des problèmes de confidentialité et de fiabilité, ou Medibabble, qui ne fait que rechercher des phrases déjà traduites, BabelDr se situe entre les deux. Il permet aux médecins de poser des questions fermées et de trouver la traduction la plus proche grâce à un répertoire de 12’000 questions préalablement conçues et traduites.
Pour les patient·es sourd·es et malentendant·es, nous avons réalisé plus de 1000 vidéos en langue des signes avec une infirmière sachant signer. Nous continuons à développer cette technologie, notamment grâce à un avatar qui traduit de façon semi-automatique en langue des signes les questions du personnel soignant. Ce projet d’extension à BabelDr est encore en phase de test et de développement.
Comment fonctionne-t-il concrètement ?
Le médecin pose sa question oralement à l’ordinateur, qui la compare à sa base de données et fournit une traduction la plus proche possible sur la base de mots-clés. Le ou la patient·e peut répondre uniquement par oui ou non, désigner le problème sur lui-même ou interagir avec des pictogrammes. L’outil est utilisé plusieurs dizaines de fois par semaine aux urgences adultes que je dirige. Il facilite le tri des patient·es, permet d’exclure rapidement des pathologies graves et de les rassurer. Il ne remplace ni le rôle des médecins, ni celui des interprètes, mais constitue un complément précieux. BabelDr est disponible dans toute la francophonie, bien qu’il reste malheureusement peu utilisé en dehors de notre institution.
Quelles sont les perspectives d’évolution du projet ?
Nous travaillons actuellement sur PictoDr, une version de BabelDr basée sur des pictogrammes provenant de bases de données telles qu’Arasaac (Centre Aragonais de Communication Augmentative et Alternative). L’objectif est de traduire les questions médicales sous forme d’images compréhensibles pour les patient·es.
Grâce à la reconnaissance vocale, la plateforme associe chaque question posée par le médecin à un pictogramme unique ou à une séquence de pictogrammes, facilitant ainsi la communication avec les patient·es illettré·es ou en situation de handicap cognitif. Cette approche novatrice complète également le travail sur la langue des signes, car certaines notions médicales ne possèdent pas d’équivalent signé. En parallèle, nous intégrons ces outils aux formations universitaires lors de chaque rentrée pour aider les futur·es professionnel·les de santé à mieux les utiliser. À terme, notre objectif est de constituer une banque de pictogrammes universels, adaptés à toutes les cultures et les générations, afin de permettre notamment aux services d’urgences d’effectuer un tri fiable et rapide.