Ce matin-là, Madame K., 85 ans, vient pour la première fois à la consultation de gériatrie ambulatoire. Nous la recevons avec ma collègue infirmière. Elle se présente seule, apprêtée, très élégante dans son fauteuil roulant. Elle a récemment subi un AVC. Son fils, occupé, n’a pas pu l’accompagner ce jour-là.
L’équilibre fragile du quotidien
La patiente revient d’une longue hospitalisation avec mise en place d’aide à domicile de la part du CMS (Centre médico-social), notamment pour la toilette et les transferts. D’emblée, elle précise ne pas souhaiter voir les médecins trop souvent. Les soignant·es à domicile l’agacent : ils et elles parlent trop vite et pas assez fort pour elle. Elle souhaite réduire leur passage, mais faire plus de physiothérapie pour « aller mieux ». Nous ajoutons une séance hebdomadaire. Elle refuse les autres prestations. Sa vivacité nous impressionne.
Six mois plus tard, le CMS trouvant la situation fragile et complexe, la patiente revient, cette fois-ci avec son fils qui est aussi son proche aidant. Il vit avec elle depuis qu’il a perdu son emploi. Il répond souvent à sa place. Plus simple, certes. Mais la patiente, c’est elle. On sent une affection mutuelle, mais aussi de l’épuisement et des tensions anciennes. Madame K. parle même de relation toxique.
Quand il n’est pas présent, tout devient compliqué: oubli des rendez-vous, confusion des messages, erreurs dans la médication. Elle reconnaît donc sa chance : sans lui sans lui, elle serait peut-être déjà en EMS. Il est le chef d’orchestre de ses semaines.
Un espace-temps pour ajuster les soins
Ma collègue infirmière l’invite à s’exprimer seul. Il évoque la charge qu’il porte, les aides nécessaires pour assurer la sécurité de sa mère. Il accepte un rendez-vous à la consultation proche aidant. Pendant ce temps, j’aborde avec Madame K. la relation avec son fils, ce qu’a changé l’AVC, ses pertes de mémoire, sa fatigue, ses émotions. Ensemble, nous redéfinissons les prestations nécessaires et en discutons avec son fils.
Cette double écoute, ensemble puis séparément, mais en toute transparence, a permis de faire émerger une nouvelle dynamique. En binôme médecin- infirmière, ces consultations créent un espace pour chacun·e : le ou la patient·e gériatrique – qui peut très vite se sentir peu entendu·e et mis·e à part du fait de difficultés sensorielles, motrices ou cognitives – et son·sa proche. Elles allient des compétences purement médicales (diagnostic des comorbidités gériatriques, évaluation de la médication, etc.) et infirmières (par exemple discussion des prestations à domicile, thématiques sociales), en consacrant le temps nécessaire, afin d’assurer l’accessibilité à des soins adaptés à chaque situation.
En gériatrie, le suivi annuel ou bimensuel permet aussi de refaire le tour de la question régulièrement. Ce jour-là, mère et fils sont repartis tout sourire. Leur réalité reste difficile, mais quelques interventions et ajustements concrets leur ont permis d’espérer une amélioration de la situation.
Merci pour ce beau témoigange d’une pratique que nousréalisons également à notre consultation dans le Nord-Broye et qui est je pense, est des plus pertinente dans l’approche multidimentionnelle d’une évaluation/suivi gériatrique.