« Grâce à mon parcours, j’ai une vision à 360° du système de santé»
Le rendez-vous est fixé au Palais fédéral, aile ouest. Nous avons 30 minutes pour interviewer le Conseiller fédéral Ignazio Cassis et le photographier, nous informe le responsable médias du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).
Propos recueillis par Aurélie Michielin
Photos et captation vidéo: KEYSTONE/Peter Klaunzer
Durant l’entretien, Ignazio Cassis fait régulièrement référence – parfois avec une pointe de nostalgie – à son passé de médecin omniprésent dans son parcours professionnel. Soigner son prochain ou la collectivité, faut-il vraiment choisir ? À la fin de nos douze questions, la « garde » du Conseiller fédéral le presse de reprendre ses obligations. Après quelques échanges en italien devant la salle des ministres, nous quittons un politicien calme et affable. Prendre le temps pour discuter… serait-ce un héritage de son passé médical ?
Monsieur le Conseiller fédéral, quel est le meilleur souvenir de votre carrière médicale ?
Sans aucun doute, l’ouverture du service ambulatoire à l’hôpital de Lugano pour les personnes atteintes du VIH, dans les années 1980. À cette époque, nous étions en pleine épidémie et peu de médecins voulaient s’occuper de ces patient·es. Par curiosité et malgré un manque de compétences spécifiques, je me suis proposé. Le médecin chef m’a envoyé me former à Zurich, et j’ai ensuite pris la responsabilité de ce service ambulatoire, qui existe encore aujourd’hui sous le nom de service des maladies transmissibles.
Est-ce la médecine, ou plus largement le domaine de la santé, qui vous a conduit vers la politique ?
Tout à fait. Après mes études de médecine et quelques années de pratique clinique, je me suis orienté vers la santé publique. Travailler avec des patient·es atteint·es du VIH m’a fait prendre conscience que leur souffrance sociale – licenciement ou exclusion due à leur maladie et aussi parfois à leur orientation sexuelle – pouvait surpasser leur douleur physique. Mon intérêt s’est étendu au-delà de la relation entre médecin et patient·e pour englober la compréhension des dynamiques humaines face à la maladie, ainsi que les stratégies pour protéger la santé publique. À 35 ans, j’ai ainsi été nommé au poste de médecin cantonal pour le Tessin. Cela m’a permis de découvrir la politique et ses capacités à « soigner » le système de santé. J’ai ensuite pris différentes fonctions qui m’ont conduit jusqu’au Conseil fédéral. C’est un parcours très linéaire qui n’aurait probablement pas eu lieu sans cette première expérience aux côtés des patient·es atteint·es du VIH.
Parmi vos nombreux rôles dans le système de santé suisse, lequel vous a le mieux préparé à vos responsabilités actuelles ?
Aucun en particulier, mais l’ensemble de ces expériences m’a bien préparé. Le système de santé est central pour la population, c’est aussi le plus grand employeur en Suisse. Mon parcours – médecin, médecin cantonal, vice-président FMH, président de CURAVIVA Suisse (EMS) et également de curafutura – m’a permis de développer une vision à 360 degrés du système. J’ai pu comprendre à la fois l’impact de la maladie sur l’individu, les dispositifs collectifs de réponse à la souffrance et les défis du financement solidaire. Ces différentes expériences m’ont permis de développer une méthode de travail qui, une fois élu au Conseil national, m’a aidé à aborder divers autres domaines comme les assurances sociales.
(KEYSTONE/Peter Klaunzer)
Est-ce que vous n’auriez pas rêvé de diriger le Département fédéral de l’intérieur quand vous avez été élu au Conseil fédéral, ou plus récemment quand M. Berset l’a quitté ?
En arrivant au Conseil fédéral, je n’ai pas eu le temps de rêver. Étant le dernier arrivé, je n’ai pas eu le choix et je suis devenu du jour au lendemain le chef du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), alors que je n’avais été ni diplomate ni parlementaire actif dans la politique extérieure. C’était une nouvelle aventure, aussi bien politiquement qu’intellectuellement. J’ai dû adapter ma méthode de travail qui s’est parfois révélée inadéquate et que j’ai dû reconsidérer. Même si la santé et la médecine restent centrales dans ma manière d’analyser le monde, je suis aujourd’hui dans une phase différente de ma vie et souhaite venir à bout des projets dans lesquels j’ai investi tant d’énergie ces dernières années.
Lorsque vous prenez des décisions politiques qui touchent à la santé, le responsable politique que vous êtes l’emporte-t-il sur le médecin ?
C’est une balance des intérêts. Je distingue les besoins des souhaits. Dans notre système de santé, on ne peut pas satisfaire toutes les demandes individuelles aux frais de la collectivité. Le domaine de la santé s’est tellement étendu qu’il est nécessaire de prioriser l’utilisation des ressources. Et à un niveau plus global, il y a aussi un arbitrage entre les investissements dans la santé, l’éducation, la sécurité intérieure, et bien d’autres secteurs.
(KEYSTONE/Peter Klaunzer)
Lors des votations de juin 2024 sur deux sujets liés à la santé (frein aux coûts et allégement des primes), le Tessin a voté deux fois « oui », allant à l’encontre des recommandations du Conseil fédéral. Comment l’expliquez-vous ?
Au Tessin également, les primes d’assurance-maladie pèsent sur le budget des assuré·es, surtout de la classe moyenne. Depuis 30 ans, entre assuré·es, payeurs/euses et régulateurs/trices, on se renvoie la balle de la responsabilité de l’augmentation des coûts et – au vu de leur mutualisation – des primes. Entretemps, le système de santé est devenu un grand « supermarché » dont le chiffre d’affaires annuel dépasse les 90 milliards de francs (env. 10’000 francs par habitant·e), et chacun·e y défend ses avantages. Lorsque la médecine fonctionnait comme une « épicerie de quartier », le libre choix des prestations se justifiait, car l’offre était limitée à quelques centaines de produits. Mais un changement de paradigme a eu lieu : l’assurance-maladie est devenue la source de financement de la santé, avec tous nos besoins (ou désirs) face à une industrie virtuellement illimitée. Ce thème nous accompagnera encore un bon bout de temps.
Dans ce contexte, que pensez-vous du développement des réseaux de soins, notamment en Suisse romande, vous qui les défendiez déjà il y a plus de 10 ans ?
Il y a quinze ans déjà, je défendais l’idée que les réseaux de soins intégrés représentaient la meilleure solution pour contenir l’industrie de la santé et répondre aux véritables besoins de la population. Le rôle du médecin de famille est central dans ce système, à condition que les bons incitatifs soient en place. Le temps consacré à la parole et à l’échange doit être valorisé et rémunéré, car c’est ce qui permet de décider des examens nécessaires. Les réseaux de soins favorisent cette approche. Si nous rémunérons uniquement l’acte médical, cela n’encourage pas les médecins à prendre le temps d’échanger avec leurs patient·es. Aujourd’hui, la majorité des assuré·es opte pour des franchises liées à certaines restrictions, et les réseaux de soins s’adaptent parfaitement à cette réalité. L’histoire m’a donné raison. J’en suis satisfait mais on peut faire encore mieux.
Comment voyez-vous l’évolution du système de santé en Suisse et qu’est-ce qui vous préoccupe le plus pour les années à venir ?
Ce qui m’inquiète le plus, c’est la durabilité du financement. Nous avons à disposition un arsenal thérapeutique considérable. Nous devons toutefois apprendre à l’utiliser uniquement lorsque cela est médicalement indiqué et lorsque les bénéfices pour l’individu, mais aussi pour la collectivité, sont supérieurs aux inconvénients. Il est également urgent de cesser de sur-réglementer le système de santé, ce qui entraîne notamment une augmentation des coûts. Les dernières initiatives populaires sur la santé reflètent une exaspération face à une situation devenue insoutenable. Voter en faveur de ces initiatives, c’est avant tout espérer un changement.
Pensez-vous que davantage de médecins devraient s’engager en politique ?
Je trouve regrettable qu’en 176 ans, seuls deux médecins aient siégé au Conseil fédéral : Adolf Deucher entre 1883 et 1912 et moi-même depuis 2017. C’est surprenant, compte tenu de l’importance de ce domaine pour la population. Les médecins sont probablement satisfait·es de leur travail, ils et elles gagnent plutôt bien leur vie et estiment que leur impact est plus direct qu’en se lançant en politique. C’est aussi une profession gratifiante. Lorsque je pratiquais la médecine, je pouvais aider immédiatement quelqu’un et obtenir sa reconnaissance en retour.
On ne vous dit pas merci en politique ?
Jamais (rires). Non, en vérité il n’est pas rare de recevoir des remerciements écrits par les citoyen·nes, ce qui met du baume au coeur.
Votre femme Paola étant médecin radiologue, est-ce que vous parlez encore beaucoup médecine à la maison ?
Oui, bien sûr. Nous discutons beaucoup des transformations profondes que traverse la profession. Ma femme m’explique que cette vocation, qui nous faisait travailler jusqu’à 70 heures par semaine, est en train de s’essouffler. Avec la féminisation de la profession et l’évolution du rapport au travail des nouvelles générations, les temps partiels sont devenus courants. Les patient·es sont pour leur part souvent pris·es en charge par de multiples intervenant·es au fil de leur parcours de soin, ce qui dépersonnalise la relation médicale. On parle beaucoup de médecine personnalisée, mais on oublie l’importance de la continuité dans la relation entre médecin et patient·e. Pour ma part, j’ai adoré mes études de médecine et la pratique à l’hôpital aux côtés des malades. Je ressens une certaine nostalgie face à cette évolution.
Bio express
1961 : Naissance à Sessa (TI)
1987 : Diplôme de médecine de l’Université de Zurich
1996 : Doctorat à l’Université de Lausanne et Master en santé publique à l’Université de Genève. Responsable de la consultation VIH à l’Hôpital de Lugano.
1996-2008 : Médecin cantonal (TI)
1998 : Spécialiste FMH en médecine interne et en prévention et santé publique
2004-2014 : Membre du Conseil communal de Collina d’Oro
2007-2017 : Conseiller national PLR, membre de la Commission sécurité sociale et santé publique
2008-2012 : Vice-président FMH
2012-2017 : Président de CURAVIVA Suisse
2013-2017 : Président de curafutura
Depuis 2017 : Conseiller fédéral (DFAE)
2022 : Président de la Confédération
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