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Dr Michel Matter

« Le maître-mot, c’est la transversalité »

Médecin spécialiste en ophtalmologie, président de l’Association des médecins du canton de Genève (AMGe) depuis neuf ans, Conseiller national et vice-président du parti vert’libéral suisse, mais aussi chef d’entreprise et cycliste chevronné, le Dr Michel Matter est une personnalité engagée et engageante. Tour d’horizon des nombreux défis qui l’occupent dans la Cité de Calvin et sous la Coupole.

DR

Après bientôt une dizaine d’années à la présidence de l’AMGe, quel bilan tirez-vous de l’évolution des conditions d’exercice de la médecine genevoise ?

Que les dossiers sont de plus en plus complexes et importants. Nous les traitons toujours avec la même volonté de défendre tant les médecins que les patient-es, tributaires des conditions de pratique. La notion d’indépendance thérapeutique est aussi primordiale. Au cours de toutes ces années, j’ai eu l’occasion de constater que les attaques envers la profession reviennent en boucle. Je me souviens que mon père, opticien, m’avait un jour placé devant son présentoir de Ray-Ban et dit « ces lunettes-là, tu les reverras régulièrement au cours de ta vie, c’est cyclique ». En médecine, c’est pareil. Des sujets tels que le libre choix du médecin, son revenu ou le secret médical sont remis sur le devant de la scène à intervalles réguliers. Cela implique de toujours rester attentif, échanger entre consœurs et confrères tant au niveau cantonal que fédéral, et s’informer sur le cadre légal et autres règlementations qui évoluent constamment. Les contraintes administratives devenant de plus en plus importantes, une réflexion doit aussi être menée à ce niveau.

Comment percevez-vous le projet Réformer dont il est question dans ce numéro ?

Le premier critère de réussite est d’assurer une concertation systématique de toutes les personnes impliquées à chaque étape. En l’occurrence, cela suppose de remonter jusqu’aux étudiant-es en médecine, médecins assistant-es et chef-fes de clinique qui seront impacté-es en première ligne. Au niveau médical, une pluralité de représentant-es doit être conviée autour de la table. A la dernière séance à laquelle j’ai assisté, une jeune interne vaudoise a déclaré « cela fait trois heures que vous parlez de mon futur, mais moi je n’en connais encore rien ». J’en tire pour conclusion que nous devons stimuler le « faire avec » et éviter à tout prix le « faire subir ».

Sur le fond, il est essentiel que des mesures fortes soient prises pour lutter contre la pénurie qui s’installe dans certaines régions et spécialités. Nous devons néanmoins veiller à ne pas enfermer la relève dans un carcan idéologique : la liberté de choix est fondamentale et la possibilité de transiter d’une spécialité à l’autre doit être maintenue d’une manière ou d’une autre. Les convictions et vocations profondes doivent être respectées. Et gardons à l’esprit qu’il est inutile de créer des filières si on ne rend pas les spécialités attractives. L’ensemble du parcours doit être pris en considération et optimisé. Pour ce faire, une vision macro est nécessaire.

Le Conseil d’Etat genevois semble opter pour une application stricte de la clause du besoin. Quel regard portez-vous sur cette situation ?

Pour réguler les installations, il est nécessaire de s’appuyer sur des données solides, à analyser finement. D’autant plus qu’une vague de départs en retraite de médecins s’annonce. Les enjeux d’une telle décision ne sont pas négligeables, en termes d’accès aux soins par la population comme d’impact professionnel pour le corps médical. Les jeunes en fin de formation se voient soudain injustement pénalisé-es : les règles changeant en cours de partie, certain-es ne pourront pas atteindre l’objectif de carrière qu’ils et elles s’étaient fixé en se lançant dans des études si exigeantes. Les surspécialisations doivent également être prises en compte. Il serait faux de croire que tous les médecins actifs dans une spécialité donnée effectuent exactement la même pratique et sont interchangeables. Les champs d’expertise étant multiples, le risque est d’appauvrir la qualité globale des soins proposés. Par ailleurs, les règles doivent être équitables entre toutes et tous, en institution comme en pratique privée. Les critères d’exception devraient être parfaitement définis.

Concernant la planification hospitalière, le risque de centralisation des opérations à l’hôpital universitaire et la volonté qu’elles soient effectuées par un médecin salarié cristallisent les tensions. Qu’en pensez-vous ?

Notre système de santé repose sur deux piliers fondamentaux à préserver : la qualité et l’accessibilité des soins. Tout le monde, quelle que soit sa condition, doit pouvoir consulter le médecin dont il/elle a besoin. Cela doit être une préoccupation au cœur de toute réforme. Une telle centralisation impliquerait inévitablement un prolongement inacceptable des délais de prise en charge. D’autant que les pôles de compétences ne doivent pas être exclusivement universitaires. Une capacité de mouvement des médecins mérite également d’être préservée, aussi pour la richesse du panel de compétences disponibles au sein de l’institution. Restreindre l’accès aux opérations aux seul-es salarié-es représenterait du reste un obstacle supplémentaire à la pratique libérale.

Sur le plan fédéral, quels sont les principaux dossiers que vous aimeriez voir avancer durant cette année électorale ?

Tout d’abord la participation à parts égales au financement des prestations ambulatoires et hospitalières par les cantons (financement moniste ou uniforme), mais aussi les questions apparentées à un concept de budget global qu’il faut absolument éviter, et tout ce qui peut avoir un impact sur les primes. J’avais notamment déposé un postulat, travaillé avec le Dr Philippe Eggimann, accepté par le Conseil fédéral, qui propose de changer le mode de calcul des primes en instaurant un système d’acomptes comme pour les impôts, sur la base de chiffres fiables et transparents. Cela éviterait aux assureurs et à l’OFSP de devoir sortir leur boule de cristal chaque année. Citons par ailleurs la mise en œuvre de l’initiative sur les soins infirmiers, la coordination entre psychiatres et psychologues, ou encore la loi sur la santé et son financement qui sont à repenser.

Quelle serait la clé pour sortir de l’impasse sur tous ces dossiers ?

La fragmentation du système de santé est un problème de fond qui nous handicape grandement. Tous les acteurs devraient œuvrer en tant que véritables partenaires, avec humilité et ouverture. L’ensemble des soignant-es doit tirer à la même corde et stimuler l’interprofessionnalité. Car le maître-mot, c’est la transversalité. C’est sans doute l’ophtalmologue qui parle, mais seule une vision globale nous permettra de trouver des solutions ciblées, efficaces et satisfaisantes pour toutes les parties concernées, dans l’intérêt de nos patient-es.

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