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Pierre-Yves Maillard

“L’idée d’une caisse unique me paraît évidente”

Pilier de la politique vaudoise et nationale, Pierre-Yves Maillard a longtemps fréquenté les médecins vaudois du temps de son mandat au Département de la santé publique et de l’action sociale (DSAS). Quel avenir voit-il pour le système de santé ? Comment continuer à garantir la qualité des soins tout en maîtrisant les coûts ? L’actuel président de l’Union syndicale suisse (USS) et conseiller aux Etats réaffirme sa défense du service public et d’un Etat fort, en particulier dans le domaine de la santé.

M. le conseiller aux Etats, comment allez-vous ?
Je vais plutôt bien, mais je n’ai pas encore fait de check-up complet jusqu’à présent, ce qui est un tort. J’en profiterai pour ouvrir un dossier électronique du patient (DEP). J’ai une assurance de base avec une franchise élevée, pas d’assurance privée ou semi-privée et j’ai quelques complémentaires que je compte résilier.

Pourriez-vous nous faire un rapide bilan de vos 15 ans en tant que ministre de la santé dans ce canton ?
Je citerai pour commencer tous les investissements que l’on a faits, au CHUV, d’abord avec un nouveau bloc opératoire, mais aussi l’hôpital des patients, l’hôpital des enfants qui est bientôt terminé, ou encore la rénovation des sites de Cery et Prangins. Sans parler des hôpitaux régionaux avec la construction de l’hôpital de Rennaz et des rénovations à Morges, Nyon et Payerne. Une trentaine d’EMS ont été construits. Nous avons relativement bien réussi le nouveau financement hospitalier, qui était à la base une mauvaise réforme, en préservant des subventions (les prestations d’intérêt général ou PIG) pour les hôpitaux ouverts à tout le monde 24h/24, au lieu de dilapider cet argent notamment dans les cliniques à but lucratif dont les prestations étaient largement couvertes par les complémentaires. Nos coûts pour les soins stationnaires sont ainsi les plus bas de Suisse et ont permis de contenir les tarifs. Nous avons lancé plusieurs programmes de prévention, notamment pour le diabète et le soutien aux soins palliatifs. Concernant l’évolution globale des coûts, nous avons réussi à rapprocher le canton de Vaud de la moyenne suisse en divisant par deux notre écart, passant ainsi de 20 à 10% de surcoût.

Avez-vous encore une influence sur la politique sanitaire du canton de Vaud ?
J’ai l’influence qu’un parlementaire fédéral peut avoir. Par exemple, j’ai fait passer un amendement qui permettrait aux Cantons de proposer des tarifs ambulatoires différenciés et qui serait à mon avis aussi dans l’intérêt du canton de Vaud. Je reste un acteur politique dans le canton et n’hésiterai pas à m’impliquer dans le débat si par exemple il y avait des velléités de privatiser le CHUV ou d’attaquer les subsides pour l’assurance-maladie. Mais la cheffe, c’est Rebecca Ruiz qui s’est pleinement imposée dans la fonction.

Pierre-Yves Maillard © Marino Trevisani

Pourriez-vous nous expliquer pourquoi l’USS soutient l’initiative du PS qui vise à plafonner les primes maladie à 10% maximum du revenu ?
Cette réforme a déjà fait ses preuves dans le canton de Vaud en soulageant de nombreuses personnes. Pour un couple de retraité·es, la limite de revenu pour obtenir des aides est ainsi passée de 3500 à près de 9000 CHF. Rappelons que la prime maladie est un prélèvement obligatoire, et donc un impôt. Or notre Constitution fédérale plafonne tous les impôts sauf celui-ci. C’est la variable d’ajustement des financements publics sans aucun débat démocratique pour savoir où et comment est utilisé cet argent. Nous avons aussi le recul pour dire que l’augmentation des primes n’a pas d’effet sur la consommation médicale et donc sur les coûts. C’est même l’inverse vu qu’on les paie à l’avance.

L’initiative de plafonnement des primes protège d’abord les ménages les plus démunis pour lesquels la prime représente jusqu’à 20% du revenu et le dépassement restera à la charge de l’Etat (deux tiers pour la Confédération et un tiers pour les cantons). Les Cantons et la Confédération pourront prendre des mesures dans leur champ de compétences s’ils veulent faire baisser la facture. De toute manière, on ne peut plus continuer ainsi et il faut trouver une solution dès à présent. Si l’initiative passe en juin, il faudra attendre encore deux à trois ans avant qu’elle soit mise en œuvre.

Serait-ce un pas en direction d’une caisse publique unique ou cantonale ?
Cette idée, que nous avons déjà lancée deux fois, me paraît nécessaire et évidente, probablement sur un modèle régional ou cantonal, et de plus en plus de personnes y adhèrent. Le système est pervers car les assureurs annoncent 9% de hausse de primes en 2024 pour essayer d’en obtenir 6% car ils savent que les gens vont changer pour une caisse moins chère dès l’annonce de la douloureuse et que l’encaissement des primes ne va pas correspondre à celui attendu. Et au passage, cela génère des coûts administratifs monstrueux, sans parler du problème des réserves qui ne suivent pas l’assuré·e.

Cela ne va pas empêcher les primes d’augmenter de manière globale… Plusieurs sociétés médicales dont la SVM ont proposé que le calcul des primes AOS repose sur les coûts réels de la santé et non plus sur les prévisions des assureurs. Qu’en pensez-vous ?
C’est une excellente idée mais ce n’est pas possible de la mettre en œuvre avec un système de caisses en concurrence car elles ne savent pas à l’avance combien elles auront d’assuré·es, avec quel profil de risque et quels seront les tarifs de l’année suivante. Les assureurs doivent inévitablement prendre des marges de sécurité. Il faudrait mettre en place une mutualisation de tous les risques dans une région donnée pour que cela fonctionne. Je pense que les médecins et les soignant·es de manière générale vont de plus en plus être les victimes du chaos qui s’installe dans le système de l’assurance-maladie. Une vraie alliance entre les représentants des assuré·es/patient·es et les fournisseurs de prestations est urgente pour s’imposer face à celles et ceux qui veulent surtout faire des profits dans un système où les potentiels de gains sont quasiment illimités.
Une convention DSAS/SVM avait été mise en place pour réguler nos désaccords et avancer sur les dossiers, mais je regrette que de mon temps, nous n’ayons pas été plus efficaces. Je constatais que l’activité ambulatoire était toujours plus captée par l’hôpital qui était engorgé et je voulais proposer des alternatives. Mais la SVM ne voulait pas entrer en matière, en refusant toute ingérence de l’Etat.

Pierre-Yves Maillard © Marino Trevisani

Revenons aux coûts de la santé. Sont-ils maîtrisables à votre avis, et quelles seraient les mesures phares dans ce domaine ?
Il faut qu’ils soient maîtrisés car ce sont essentiellement des dépenses publiques ! Et il est anormal que ce secteur n’ait pas de comptes à rendre sur l’utilisation de ces ressources. La hausse de primes de 2024 représente plus de 3 milliards de francs. Mais où va aller cet argent ? Ira-t-il là où les besoins sont les plus urgents ou là où les rémunérations sont déjà excessives. Personne ne peut en débattre et décider démocratiquement.

Dans l’immédiat, il faut que les propriétaires de la structure tarifaire (les sociétés médicales et les assureurs) surveillent l’usage du tarif avec plus de sévérité. La plupart des médecins l’utilisent avec éthique et rigueur professionnelle, mais certains profitent indûment de ce système tarifaire dépassé, avec ensuite des conséquences pour tout le monde. Si on avait adapté TARMED à la baisse des prix des appareils et à la diminution de la durée de certains actes médicaux, cela aurait permis d’augmenter ainsi la valeur du point, avec une répartition équitable entre généralistes et spécialistes. Vu que ces adaptations n’ont pas été prises en compte par TARMED, la valeur du point a été ajustée presque partout à la baisse depuis 30 ans. Les assureurs ne doivent pas être les seuls à procéder au contrôle de l’économicité, alors que ce sont pratiquement les moins intéressés à ce que le système soit maîtrisé. Il faut que les sociétés médicales s’impliquent aussi, sinon elles risquent d’être un jour confrontés à des mesures brutales de la part du politique.

Le nouveau système tarifaire TARDOC permettra-t-il de mieux contrôler les coûts ?
On peut espérer que techniquement, les positions tarifaires surannées ou excessives aient été corrigées. Le problème de ces structures figées, c’est le manque de réactivité. Dans presque toutes les industries, le progrès technologique fait baisser les coûts et améliore les prestations, comme par exemple dans la téléphonie mobile. Dans la médecine, on entend le discours inverse car le système tarifaire ne prend pas en compte cette diminution des coûts ni le fait qu’il permette de faire plus d’actes par heure qu’avant, d’où le fait que certains médecins arrivent à facturer 26 heures par jour. Pour qu’on ne se retrouve pas dans la même situation dans 10 ans avec TARDOC, il faudrait que l’Etat introduise comme mesure complémentaire une surveillance de l’évolution des facturations ou des chiffres d’affaires par catégorie de prestataire, avec la possibilité d’intervenir soit avec par exemple un plafonnement du nombre de points par jour.

L’écart qui se creuse entre la rémunération des spécialistes et des généralistes est un vrai problème. Il est indispensable de revaloriser et de rendre attractive la médecine de premier recours face au vieillissement de la population et à la pénurie qui guette. Le pire, c’est que l’on paie de plus en plus pour un système qui s’affaiblit… Au final, si on compare le nombre de médecins par rapport au nombre d’habitant·es en Suisse, on est plutôt bien lotis. On a même doublé le nombre de diplômes vaudois de médecine pendant que j’étais en fonction, mais le problème, c’est la répartition des ressources qui n’est pas optimale.

Ne faudrait-il pas avoir une politique de santé publique plus axée sur les 3e et 4e âges qui génèrent le plus de coûts ?
Dans beaucoup de domaines, on devrait se concentrer sur les patient·es qui génèrent la majorité des coûts pour les intégrer dans des réseaux de soins coordonnés. Le paradoxe, c’est que ce sont souvent celles et ceux qui consomment le moins qui choisissent ce type de modèles (managed care), avec un mauvais incitatif qui est la prime. Il faudrait que l’incitatif soit plutôt un rabais de quote-part ou de franchise pour attirer les patient·es qui consomment le plus. Avec des projets comme le Réseau de l’Arc, on redécouvre en fait un type de financement à l’ancienne. Mais je doute que le modèle de M. Antoine Hubert puisse fonctionner dans un système de caisses concurrentes.

Pierre-Yves Maillard © Marino Trevisani

L’USS que vous présidez soutient-elle le référendum du Syndicat des services publics contre le financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires (EFAS) ?
Oui mais c’est le syndicat concerné qui s’engage. Cette réforme est très technique mais au fond c’est la répétition du financement hospitalier de 2012 appliqué aux soins. L’idée est de passer à un système tarifaire qui couvre tous les coûts, ambulatoires et stationnaires. Le grand danger est que les Cantons se désengagent de leur responsabilité d’assurer le financement des soins de longue durée en dernier recours, ce qui partout ailleurs ne fonctionne pas. Ce système tarifaire favorise la sélection des cas et engendre des déficits dans tous les hôpitaux qui doivent accueillir tout le monde 24h/24 7j/7, comme c’est par exemple le cas à Saint-Gall. Selon les promoteurs de cette réforme EFAS, le pronostic à 10 ans serait une augmentation des primes de 42% contre 45% sans réforme, soit une amélioration marginale ! Si les Cantons n’avaient pas demandé que les soins de longue durée soient intégrés dans ce système, il aurait pu y avoir un transfert de charge de la prime vers les Cantons et je pense que cela aurait été juste et qu’il n’y aurait probablement pas eu de référendum. Cela ne veut pas dire que j’aurais voté pour l’EFAS, car je ne pense pas que cela soit une bonne idée que les Cantons donnent aux assureurs plutôt qu’aux prestataires les 11 milliards qu’ils paient au système de santé, en plus de nos 35 milliards de primes.

Y a-t-il un domaine de la santé pour lequel vous considérez que le privé est performant ?
Je n’oppose pas le privé au public. Dans le canton de Vaud, du point de vue hospitalier, la moitié de l’offre du service public est assurée par des hôpitaux privés, c’est-à-dire nos hôpitaux régionaux qui sont des structures de droit privé mais à but non lucratif, et qu’il faut distinguer des établissements à but lucratif dont les actionnaires attendent des dividendes plutôt élevés. Ceux qui m’ont fait le procès d’être contre les cliniques privées oublient que lorsque le CHUV débordait en hiver, j’ai fait passer le message qu’une personne avec une assurance privée ou semi-privée arrivant aux urgences et sans besoin du plateau technique du CHUV soit redirigée vers les cliniques. Et il y en a eu des centaines alors que cela aurait pu rapporter gros à l’hôpital. Autre exemple : quand on a débarrassé le 19e étage du CHUV des équipements de laboratoires, il y avait deux projets possibles : faire un centre de profit axé sur les lits privés ou alors profiter d’y installer des patient·es immunodéprimé·es. On a choisi la deuxième option car c’est la tâche du CHUV, alors que les cliniques se concentrent sur les patient·es avec des complémentaires mais sans compter sur des subventions publiques. Cela n’empêche pas qu’on peut mettre sur pied des coopérations entre public et privé comme dans les tests du robot de chirurgie viscérale, ou durant les crises à l’instar de celle du Covid-19.

En matière de santé, vous prônez généralement plus d’Etat, mais n’y a-t-il pas conflit d’intérêt quand les mêmes autorités cantonales sont propriétaires des infrastructures qu’elles ont préalablement planifiées, et qu’elles les subventionnent, tout en validant leurs tarifs ?

Jusqu’où faut-il aller dans le découplage sous prétexte que l’Etat est régulateur et fournisseur ? Sous prétexte qu’il existe Securitas on ne pourrait plus avoir des compagnies de gendarmerie qui sont fonctionnaires d’Etat ? Parce qu’il y a des écoles privées, on privatise tout le système scolaire ? La Constitution fédérale donne la tâche aux Cantons de garantir des prestations de santé à leur population dans le cadre de lois qui les définissent. Le Canton organise sa propre offre mais il en répond devant les électrices et électeurs. Même Thatcher n’avait pas osé privatiser le système de santé. Le modèle du CHUV ne doit pas trop mal fonctionner, sachant qu’il s’est placé dans le top 10 mondial des hôpitaux et qu’il réussit à attirer des sommités, et pas pour des raisons salariales. Malgré tout, il faut se battre auprès des partis majoritaires pour défendre constamment cette institution qui fonctionne et qui est aimée des Vaudois.

Avez-vous un avis sur le rapport de la Cour des Comptes sur les PIG ?
C’est une attaque bien coordonnée, mais les critiques de manque de transparence et de non-respect de la LAMal sont infondées. Dans le canton, les PIG reposent sur deux bases légales votées par le Grand Conseil : la loi sur le CHUV et la loi sur la planification et le financement des établissements sanitaires. L’Etat peut ainsi donner des subventions – qui font partie de son budget – à ces établissements autant pour les investissements que pour leur fonctionnement. La Cour des Comptes a reproché qu’il n’y ait pas d’objectif précis et de contrôle pour ces PIG, mais le CHUV a un plan stratégique, il est audité et ensuite des personnes sont payées pour en soigner d’autres. Et au final, est-ce que le CHUV coûte plus cher que les autres hôpitaux du même type ? Non.

Il faut aussi mentionner les conditions de travail en créant une convention collective appliquée autant par les hôpitaux que les EMS et les soins à domicile. Il y a aussi plein d’autres choses que j’aurais aimé faire et qui n’ont pas abouti, mais cela ne dépendait que partiellement de l’Etat : renforcer la médecine de première ligne avec, par exemple, des tarifs différenciés. Nous avons néanmoins pu mettre en place une subvention pour la formation postgraduée des médecins en cabinet afin d’assurer la relève dans ce domaine.

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Malheureusement, il ne comprend plus rien au système de santé! Il faut se référer aux femmes et aux hommes de terrain!!!