Publicité

Entretien

« Repenser la santé avec les personnes en situation de handicap »

Conseiller communal socialiste à Lausanne puis député au Grand Conseil vaudois en 2023, Sébastien Kessler est une personne profondément engagée. En situation de handicap depuis la naissance, il a fondé son propre bureau de conseil id-Geo, s’implique dans la faîtière suisse Inclusion Handicap et forme des professionnel·les. À l’occasion de notre dossier sur l’accessibilité aux soins, il partage sa vision du système de santé et les pistes concrètes d’amélioration qui bénéficieraient d’ailleurs à toutes et tous.

Quel est votre rapport avec le système de santé ?

Les personnes en situation de handicap représentent près d’un quart de la population suisse, soit l’une de nos plus grandes minorités ! Ce chiffre, souvent ignoré, montre que cela nous concerne toutes et tous à un moment de notre vie. Ce groupe hétérogène – avec des handicaps visibles et le plus souvent invisibles – entretient souvent un rapport ambigu avec notre système de soins qui est pensé pour la maladie, pas pour une approche globale de la santé. Chaque jour, je « coûte » à la LAMal, même sans être malade. Il faudrait d’abord redéfinir ce qu’on entend par « être en bonne santé ».

Quels sont les principaux obstacles à l’accès aux soins ?

Ils sont nombreux. D’abord, la formation du personnel de santé est souvent insuffisante ou inadaptée. Le corps infirmier avance, mais les médecins restent en retard. Ensuite, la sidération face au handicap : certain·es professionnel·les ne voient rien d’autre que le fauteuil roulant. S’y ajoute le manque de temps, aggravé par des financements mal répartis. L’accessibilité physique et sensorielle des lieux (infrastructures, signalétique, bruit, lumière) est encore insuffisante. Enfin, il y a un manque de protocoles pour des soins adaptés, que ce soit par exemple aux urgences, chez le dentiste ou pour les soins à domicile qui sont essentiels. En corollaire, la communication – avant, pendant et après le moment de soin – freine souvent l’accès aux soins. La plupart de ces obstacles concernent finalement l’ensemble de la population, mais se révèlent particulièrement aigus pour les personnes en situation de handicap.

© Julie Masson

Quelle est votre vision de notre système de soins ?

Il n’est pas aussi solidaire qu’il le prétend. Il y a des refus de soins et une forme de maltraitance à traiter différemment des individus. On oublie de poser la question essentielle : qu’est-ce que la bonne santé ? Autrement dit, de quoi avez-vous besoin pour bien vivre, « fonctionner » ? Adapter les horaires des soins à domicile à une personne qui travaille, ce n’est pas du luxe. Minimiser la santé sexuelle auprès de résident·es d’une institution, c’est atténuer une thématique de santé publique. Ignorer un possible lien entre un décès évitable et une déficience, c’est une horrible injustice. On doit passer d’un système de soins à un véritable système de santé, équitable.

Le système suisse n’est donc pas assez inclusif ?

Non, clairement pas. La Suisse est plus conservatrice qu’on veut le croire. Le retard est flagrant dans de nombreux secteurs, dont la santé, et notre vision du handicap est surannée malgré nos moyens et nos structures. Il existe peu de statistiques fiables en Suisse, et les personnes en institution sont notamment exclues des données. Les patient·es handicapé·es sont parfois perçu·es comme des patient·es de seconde zone, comme si c’était moins grave de moins bien les soigner. Certaines problématiques sont pensées au rabais : santé mentale, soins dentaires, examens gynécologiques, etc. En 2014 déjà, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a demandé une étude exploratoire (1) qui conclut que « les besoins en soins des personnes socialement défavorisées – incluant le handicap – ne sont que partiellement couverts par le système actuel.” Selon un rapport des Nations Unies (2), les personnes en situation de handicap – tous handicaps confondus – ont trois fois plus de risques de se voir refuser des soins de santé et ont quatre fois plus de risques de recevoir des traitements inadéquats. Une étude australienne montre, quant à elle, que 38 % des décès de personnes avec une déficience intellectuelle auraient pu être évités, contre 17 % dans la population générale (3). Cela prouve bien les inégalités de traitement.

© Julie Masson

Existe-t-il des cantons plus avancés ?

Oui, Genève est cité en modèle. Le programme handicap des HUG intègre une admission facilitée, des formations, des référent·es, des protocoles en ambulatoire et à l’hôpital. La consultation Handiconsult offre des soins adaptés, notamment dentaires. Proche de nous, en Valais, un guide d’accessibilité universelle a été élaboré avec l’appui d’id-Geo en 2016 déjà. Ces deux cantons ont une volonté politique plus affirmée.

Et dans le canton de Vaud ?

Le CHUV a mis en place un dispositif pour les personnes avec un trouble du spectre autistique (DAC-TSA), soutenu par des fonds privés et un effort associatif. On assiste déjà à des retombées positives, mais cela a trop tardé! Il y a aussi l’Hôpital adapté aux aîné·es, mais pourquoi ne pas l’élargir aux personnes handicapées ? Le programme ici-TSA de l’Institut et Haute Ecole de la Santé de la Source, aussi soutenu par des fonds privés et auquel je collabore comme formateur, a notamment édité des pocket cards que les médecins utilisent lors de leurs consultations avec des patient·es dans le spectre autistique. Enfin, je salue un mandat en cours issu du DSAS – Accessibilité aux soins: démarche participative – et mené avec les associations qui vise à recueillir les besoins les plus urgents. Les initiatives existent, mais manquent de coordination et de financements.

Quelles mesures prioritaires recommanderiez-vous ?

Je vois trois pistes: premièrement, renforcer le lien avec les médecins de premier recours, également dans les institutions pour personnes handicapées qui peinent à les recruter ; deuxièmement, former les professionnel·les à améliorer la communication et à considérer les patient·es comme acteur et actrices de leur santé; et troisièmement, développer les consultations pluridisciplinaires et mettre en place des protocoles ambulatoires et hospitaliers co-construits.

Quels leviers politiques et financiers mobiliser pour accélérer l’inclusion dans le système de soins ?

La loi sur l’égalité pour les personnes handicapées (LHand) en révision n’aborde pas la santé. Pourtant, l’article 25 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées ainsi que les conventions internationales de l’ONU exigent un accès équitable aux soins.

En Suisse, les assurances perte de gain, accidents, vie et les complémentaires restent souvent inaccessibles : on peut me refuser une couverture sous prétexte que je suis en fauteuil, alors que je n’ai pas plus de risques qu’un·e autre. À l’échelle cantonale, depuis 2020, nous attendons une réponse aux motions de Cuérel et à celle de Bouverat qui demandent une révision de la loi sur les mesures d’aide et d’intégration pour les personnes handicapées (LAIH) pour en faire une vraie loi sur l’inclusion. Une évolution qui serait bienvenue, comme le demande, au niveau fédéral, l’initiative pour l’inclusion déposée fin 2024.

Certain·es patient·es ont l’impression que leur condition prend le pas sur leur identité en tant qu’individu dans le regard du corps médical…

C’est fréquent. Lorsque j’ai eu ma pneumonie cet hiver, j’ai réussi à éviter une hospitalisation qui représente un danger pour moi à cause des risques d’infections nosocomiales, d’escarres et de problèmes digestifs. Mes médecins, à domicile, ont été exemplaires, ils me connaissent bien. Mais d’autres soignant·es considèrent que ma prise en charge sera de toute façon meilleure du moment que je suis à l’hôpital. Dans ce cas, j’y serais arrivé en position d’échec avec un risque de dégradation due à l’environnement hospitalier; nos conceptions s’opposent. Il est essentiel d’écouter, d’adapter et de respecter les préférences et connaissances de chacun·e.

Quel rôle peuvent jouer les médecins dans la promotion d’un système de santé plus inclusif et accessible ?

Ils/elles sont des acteurs et actrices clés du changement. Si mon médecin de famille me comprend, il/elle transforme ma santé. Le corps médical doit oser reconnaître que certain·es patient·es, comme moi, en savent plus sur leur santé que la moyenne. Cela demande un équilibre entre expertise et écoute. Accueillir les différentes expertises, de part et d’autre, constitue la clef pour une meilleure santé.

Comment améliorer leur formation ?

En intégrant la communication inclusive, la reconnaissance du vécu des patient·es, en mettant sur pied des modules de sensibilisation animés par des personnes concernées. Il ne s’agit pas seulement de transmettre des savoirs, mais de changer de regard. Il faut passer d’une relation hiérarchique à un vrai partenariat. Un·e médecin qui accueille mes connaissances, qui lit l’article scientifique que je lui apporte, devient un·e allié·e.

Bio express

Âge
51 ans

Formation
MSc en physique et MA en économie et administration de la santé

Parcours professionnel
23 ans au CHUV dans les Finances et la Direction générale
Fondateur d’id-Geo Sàrl en 2011

Votre remède anti-stress
Un vermouth entre amis sur une terrasse à Madrid

Un sujet de santé publique dont on ne parle pas assez
La diversité et la beauté des corps et, en corollaire, une meilleure acceptation des individus et de leurs différences

Un progrès médical qui vous fascine
La médecine régénérative

Références

(1) Problèmes d’accès aux soins ? Une étude exploratoire par entretiens avec des professionnels

(2) Global report on health equity for persons with disabilities, OMS, 2022

(3) Cause of death and potentially avoidable deaths in Australian adults with intellectual disability using retrospective linked data, BMJ Journal, 2016

Partagez votre opinion sur cet article !

1 Commentaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

Le contenu de la conclusion «  comment améliorer leur formation » est absolument juste et ce que l’on soit en situation de handicap ou non! Les statistiques des plaintes émises par les patients face à leur prise en charge en est une démonstration( statistique du bureau de la médiation au chuv par exemple ), c’est un fait assez répandu, de fait mais ce n’est nouveau.

Résumé de la politique de confidentialité

La SVM s’engage à protéger votre vie privée. Contactez-nous si vous avez des questions ou des problèmes concernant l’utilisation de vos données personnelles et nous serons heureux de vous aider.
En utilisant ce site et / ou nos services, vous acceptez le traitement de vos données personnelles tel que décrit dans cette politique de confidentialité.

En savoir plus