A l’instar de l’ensemble des secteurs de la santé, l’année 2020 aura été, pour le Groupement des médecins hospitaliers (GMH), celle des grands bouleversements dus à la poussée épidémique exponentielle de patients infectées par le virus Sars-Cov-2, dont certains ont dû avoir recours aux structures hospitalières, notamment dans les unités de soins intensifs en raison de la gravité de leur état. La mobilisation de moyens médico-soignants sans précédent s’est accompagnée d’une importante réorganisation des services et d’une redistribution des forces de travail à disposition après l’arrêt de l’activité programmée.
Faisant preuve d’une grande capacité d’adaptation et de solidarité entre services, les acteurs peuvent s’enorgueillir aujourd’hui d’avoir pris les choses en main et fait face à deux crises successives durant l’année, en s’acquittant de leur mandat dans les meilleures conditions possibles. Ce succès a été obtenu grâce au sens des responsabilités, au dévouement de tous, au prix de nombreux sacrifices et de conséquences économiques qui tardent malheureusement à être, ne serait-ce-que partiellement compensées, ou à tout le moins reconnues. C’est au personnel des hôpitaux et à son corps médical en particulier que nous devons d’avoir permis d’éviter la déstabilisation de notre système de santé.
© Laurent Kaczor
Si l’aspect de la prise en charge médicale a clairement mobilisé prioritairement les efforts de chacun, cette crise n’a pas complètement éclipsé d’autres sujets plus politiques. Ainsi, les membres engagés dans les deux hôpitaux publics de la Fédération des hôpitaux vaudois (FHV) ont été impliqués dans d’importantes turbulences politico-économiques.
Pour l’Hôpital Riviera-Chablais (HRC), ce fut la révélation d’un déficit budgétaire pharaonique, pris en étau entre dépenses exagérées et baisse abyssale des recettes, peu après la mise en fonction de l’Hôpital de Rennaz. Une annonce qui a mis le feu aux poudres, entraînant la démission de sa directrice des finances, puis celle d’un directeur général déjà contesté par les médecins dès son entrée en fonction. Ce dernier fut aussitôt remplacé par un intérimaire de luxe fraîchement retraité, habitué du management autoritaire.
Dans la foulée d’un audit concluant à la nécessité de promouvoir une meilleure collaboration entre médecins et direction, on a assisté à la refonte complète d’un Conseil d’Etablissement dont on attend toujours des signes tangibles d’une conception partenariale des relations entre la direction et le corps médical. Dans ces conditions hautement problématiques, il aurait été illusoire d’espérer la conclusion de la dernière étape de négociation, consistant à une définition de ce que représente la part variable des revenus des médecins chefs.
S’agissant de l’Hôpital Intercantonal de la Broye (HIB), l’évolution de la situation n’a pas été beaucoup plus enviable. Pour autant, 2020 devait se conclure de prime abord plus favorablement avec l’accord des trois parties signataires, soit la direction hospitalière, le Collège des Médecins et le GMH/SVM pour une nouvelle convention collective de travail (CCT) des médecins, jusque-là âprement négociée. C’était compter sans les interférences de dernière minute des départements de la santé qui, en rajoutant telle ou telle disposition à ce qui avait été négocié et convenu en amont, ont réduit quasiment à néant ce qui avait été entrepris précédemment.
Les autres hôpitaux de la FHV sous le régime du statut juridique de droit privé ont entamé des négociations avec un collectif médical représentatif du GMH, afin de mettre à jour certains articles de la CCT, de manière à répondre aux remarques formulées par le Contrôle cantonal des finances. A l’heure qu’il est, les discussions oscillent entre refonte complète et marginale, avec le risque qu’en attendant le résultat de ces consultations, l’Etat ne soit tenté d’imposer une nouvelle loi intrusive qui l’autoriserait à mettre les hôpitaux de la FHV sous tutelle. Une telle démarche d’étatisation du secteur des hôpitaux régionaux impliquerait de lourdes menaces sur leur compétitivité face à la concurrence du domaine privé.
Ces épisodes justifient pleinement que soit mise en application la résolution adoptée par l’assemblée générale du GMH en 2019. Pour mémoire, nous demandons la signature d’un accord-cadre avec le Canton, reconnaisssant les rôles et fonctions du corps médical, et sur la base duquel puissent s’adapter les différentes CCT et spécificités des règlements hospitaliers. Dans un contexte concurentiel comme dans une situation de crise sanitaire, où le partage interhospitalier des moyens et des différentes compétences représente la clé de la compétitivité et de l’économicité du système de santé d’intérêt public, cette démarche nous paraît d’autant plus nécessaire.
Selon l’adage « jamais deux sans trois », je ne voudrais pas terminer ce résumé non exhaustif sans mentionner l’événement, en apparence anodin, qui revêt selon moi le plus de signification et qui, après le statut de salarié depuis 2005, fait entrer le collectif médical dans celui d’employé obéissant à une logique institutionnelle. En effet, pour la première fois de l’histoire récente des relations tourmentées entre l’administration hospitalière et le corps médical, c’est la logique de l’institution qui prend le dessus sur la liberté thérapeutique pourtant inscrite dans les CCT des médecins. C’est ainsi à nouveau dans le cadre de l’HRC qu’on enregistrera l’interdiction de prescription comminatoire de la direction pour une molécule vieille de plus de septante ans. Cette étape marquera, à n’en pas douter, le franchissement vers une intégration du corps médical dans un rôle auquel il a heureusement pu échapper jusqu’ici, eu égard à l’indépendance nécessaire à l’exercice de la médecine.
En prenant congé de ma fonction de président prochainement, je prends la mesure des changements radicaux qu’il m’a été donné d’observer durant plus de trente ans d’activité professionnelle en hôpital public. C’est sans regrets, mais avec une certaine nostalgie, que je regarde derrière moi. Dans un monde de plus en plus contraignant et normalisé, je formule le vœu que le GMH, malgré la nécessaire cohésion liée à la notion même de collectivité, puisse également défendre la richesse de la diversité et l’indépendance indispensable à l’exercice d’une médecine dans laquelle la singularité de sa dimension interhumaine trouve tout son sens.
Dr Philippe Saegesser
Président du Groupement des médecins hospitaliers (GMH)