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Hétérogénéité de la patientèle

Bienvenue en absurdie

La littérature montre bien que certains profils de patient·es nécessitent plus de temps de soin. Il s’agit notamment des patient·es multimorbides, âgé·es, souffrant d’un trouble psychique, parlant une autre langue ou de basse situation socio-économique. Comme plusieurs caractéristiques des patient·es ne figurent pas sur les factures reçues par les assurances, elles sont au mieux considérées par des moyens indirects, voire tout simplement ignorées.

Tout récemment, je recevais une patiente à ma consultation pour une crise d’asthme. Cette patiente souffre d’un trouble psychotique et a peur de tous les médicaments « chimiques ». Il m’a fallu trente minutes pour la convaincre de prendre un traitement à base de corticoïdes. La patiente ne prenant pas de neuroleptiques (pas indiqués dans son cas), son trouble psychique n’est pas visible dans la facturation des prestations, et le temps supplémentaire passé n’est donc pas corrigé par la méthode actuelle de contrôle d’économicité. Comme je me retrouve confronté régulièrement à ce type de problématique avec cette patiente, le temps global passé par année est plus important que pour d’autres patient·es avec les mêmes pathologies somatiques.

Mes interventions pour cette patiente ont aussi certainement permis d’éviter plusieurs hospitalisations. Pourtant, si j’hospitalise la patiente, un facteur correctif m’autorisera à avoir des coûts annuels de santé plus élevés pour celle-ci. Le système est ainsi pervers. En effet, bien qu’incités à éviter des hospitalisations pour diminuer les coûts et la charge du système de santé, les médecins qui hospitalisent peu leurs patient·es risquent plus facilement une procédure pour pratique non économique.

Pour cette patiente, nous collaborons avec un réseau de professionnel·les comprenant ergothérapeute, équipe infirmière et assistance sociale. Bien que les messages pour développer le travail interprofessionnel soient largement communiqués par nos autorités, le temps interprofessionnel est limité depuis 2018, et ce temps en l’absence de la patiente ou du patient est souvent un motif de critique lors du contrôle de l’économicité.

Un contrôle rigide et inadapté

Les médecins en formation apprennent à adapter le temps de consultation à la problématique rencontrée, en tenant compte des spécificités du ou de la patient·e. Les policliniques universitaires qui enseignent cela, à raison, ne sont pas soumises au contrôle de l’économicité. Comment s’y retrouver lorsque, après quelques mois de pratique privée, un jeune médecin reçoit une lettre de mise en garde contre un manque d’économicité alors qu’il exerce son métier comme il l’a appris ? Devoir exercer la médecine de famille en dehors des recommandations scientifiques pour éviter de lourdes sanctions est devenu une réalité qui n’est pas tenable.

Ainsi, seul Dr Knock ne risque pas un contrôle de l’économicité. Bien que cela reste un mal nécessaire, le modèle actuel est inadéquat en médecine interne générale et doit être modifié de toute urgence. Les cabinets de médecins de famille sont difficilement comparables entre eux, car les médecins soignent des populations différentes de par leur formation et lieu d’installation. Tout récemment, une collègue soignant de multiples patient·es migrant·es a reçu une lettre l’accusant d’une pratique non économique. Est-ce vraiment comme cela que les soins doivent évoluer en Suisse ? Sans adaptation, le système actuel va diminuer l’accès à la médecine de famille pour toute une population de patient·es qui vont surcharger les urgences et les hôpitaux, sans compter que ces procédures conduisent des médecins de famille à fermer leurs cabinets médicaux, une situation inacceptable dans le contexte de pénurie actuelle.

Enquête sur l’économicité à l’Université de Fribourg

L’Institut de médecine de famille de l’Université de Fribourg s’intéresse à mieux comprendre le vécu des médecins de famille sur la question de l’économicité (même sans avoir reçu un courrier d’assureurs à ce sujet). Si vous avez un intérêt à témoigner, vous pouvez envoyer un e-mail à pierre-yves.rodondi@unifr.ch. Votre adresse sera traitée de manière confidentielle et vous serez contacté·e dans les prochains mois.

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Chers collègues
Je suis heureux que vous ayez découvert ce thème pour vos rubriques. Si vous êtes vraiment sérieux dans votre volonté d’agir dans ce domaine, ce dont je doute fort, je vous renvoie à nos connaissances scientifiques sur le sujet. https://pcg-liste.ch/
Pourquoi ai-je des doutes sur vos intentions ? Le pouvoir des assureurs-maladie est trop grand. Vous verrez comme il est facile de faire taire les personnes gênantes. Argument populaire : si l’Etat le fait, ce sera encore pire. Au fond, le profilage des médecins est un discours scientifique. La méthode est évaluée, vérifiée, falsifiée, etc. Dans le cas de l’indice de régression, tous les critères de qualité d’un test font défaut : méthode arbitraire sans lien avec la réalité.
Vous pouvez bien entendu nous demander des informations et des connaissances supplémentaires. Adressez-vous à michel.romanens@hin.ch