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Médecine et spiritualité

La créativité, important facteur de civilisation

Dans sa philosophie, Platon décrit trois ordres dans l’humain : le soma, la psyché et le noûs. Ce dernier ordre correspond au divin dans l’humain. Il tend vers le beau, le bien et le vrai. Ainsi l’esthétique, l’éthique et la vérité sont indissociables.

Exposition "Herbier", Pascal Aeschlimann, Service de médecine des addictions © CHUV

En science contemporaine, l’humain est conçu comme un sommet de complexité dans la création. Lancé dans le monde, l’humain en est le co-créateur. La médecine y participe, par l’intégration de la recherche, de la clinique et de l’éthique, pour embellir la vie. La complexité de notre cerveau est une porte ouverte vers l’infini et le besoin d’absolu.

L’art comme espace transitionnel collectif

Nous débarquons dans la vie avec un cerveau totalement immature, dépendant de l’environnement, surtout de la fonction maternelle. Cette immaturité angoissante sera compensée par l’énorme capacité d’apprentissage, permise par la plasticité neuronale. Puis ce sera l’ouverture à la communauté humaine et à la culture. L’accès au langage multiplie la communication et le passage à la vie symbolique, les mythes viennent interpréter le monde. L’inconscient se remplit de sensations, d’émotions et d’intuitions, individuelles et collectives. Les mémoires conscientes et inconscientes chargées de tout notre vécu constituent notre vision du monde.

Mais cette subjectivité doit rencontrer la vie objective et communautaire. Comment gérer cette rencontre ? C’est le psychanalyste Donald Woods Winnicott qui va théoriser cette intersubjectivité par la notion d’espace transitionnel, un espace où les humains peuvent échanger leurs émotions les uns avec les autres. L’art est le meilleur exemple d’espace transitionnel collectif : par la musique, la peinture, la poésie, la littérature, l’artiste projette sa créativité dans ses oeuvres, et le public projette sa créativité dans leur réception. Ainsi l’art est le moyen de l’intersubjectivité par excellence, en opposition à la science, paradigme de l’objectivité partagée. L’art donne des possibilités quasi infinies dans l’espace du jeu et permet d’intégrer et réguler les cognitions et les émotions dans la culture.

L’art est une source de sublimation et procure des satisfactions et du plaisir.

La créativité permise par la complexité de la vie psychique est un important facteur de civilisation.

L’art et la créativité en médecine

D’autres articles de ce dossier traitent des bienfaits thérapeutiques de l’art tant pour les patient-es que pour les médecins ! En psychiatrie, l’expression artistique sous toutes ses formes a fait ses preuves depuis longtemps, comme par exemple dans le cadre des Ateliers de réhabilitation Césure au CHUV.

Mais y aurait-il une psychopathologie de la créativité ? Un déficit de sublimation est rarement investigué chez les patient-es. Pourtant l’absence de créativité va souvent de pair avec la solitude, le retrait social et la tristesse. En effet la créativité ne procure pas seulement du plaisir, mais aussi de la joie, de la joie de vivre. La compulsion de répétition empêche l’innovation, le changement nécessaire à la vie. Il en résulte obsession, agression, dépression et addiction. Bien sûr, les mécanismes sont circulaires ; il y a la génétique, l’épigénétique et les traumatismes qui viennent entraver la créativité du sujet. Mais Edgar Morin nous a appris à voir l’esprit dans ce qu’il nomme « la boucle cerveau-esprit-culture ». Il y a la dimension individuelle, mais aussi culturelle. Dans notre monde désenchanté, nos contemporain-es souffrent du vide existentiel, conséquence, selon Viktor Frankl, du refoulement spirituel. En résulte une névrose de civilisation dont les symptômes sont la dépression, l’agression et l’addiction.

Spiritualité et clinique du sens

La spiritualité, comme l’art, relève du registre de l’espace transitionnel. C’est un besoin naturel et universel de lien et de sens, religieux ou non. La spiritualité mobilise dans le cerveau l’interface cognitive et émotionnelle. L’imagerie cérébrale fonctionnelle montre à ce sujet la mobilisation de nombreuses régions tant corticales que sous-corticales. En ceci, la spiritualité est très proche de la musique.

Tout se passe comme si notre psyché avait besoin d’une cohérence pour diminuer les tensions intrapsychiques et interpersonnelles. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle est arrivé Aaron Antonovsky, un sociologue médical déporté à Auschwitz : l’humain a besoin de cohérence, c’est-à-dire d’avoir confiance dans sa capacité de comprendre le monde, de gérer sa vie et de lui donner du sens. Cette cohérence est le fondement de ce qu’il a nommé la salutogenèse, la construction d’attracteurs de santé dans l’avenir du/de la patient-e. Viktor Frankl, aussi déporté à Auschwitz, arrive à la même conclusion : l’humain a une volonté de sens, sous peine de vide existentiel. Il va alors fonder une école de psychothérapie existentielle fondée sur la construction du sens : la logothérapie. Celle-ci permettra l’auto-distanciation et l’auto-transcendance. Ce sont les prémisses d’une médecine de la personne.

Ainsi, de Platon aux neurosciences, on s’aperçoit que la santé s’inscrit dans trois ordres. C’est pourquoi la médecine a un pied dans l’art et un pied dans la science. Elle ne pourra jamais être réduite à une technique, elle doit inclure la subjectivité et la clinique du sens.

A retenir

Quelle est la place de l’art en médecine ? Que se passe-t-il en cas d’absence de créativité ? Et comment la spiritualité se rapproche-t-elle de l’art ? La santé s’inscrit dans trois ordres – le soma, la psyché et le noûs qui correspond au divin dans l’humain – et la médecine a dès lors un pied dans l’art et l’autre dans la science.

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