Publicité

Prof. Didier Pittet

“Plus on attend pour prendre des mesures fortes, plus cela coûte cher”

A-t-on encore besoin de présenter l’épidémiologiste genevois Didier Pittet ? Reconnu pour avoir réussi à imposer l’utilisation clinique de la solution hydroalcoolique à large échelle, il est devenu une figure incontournable du suivi de la crise sanitaire au sein du pays, mais aussi hors de nos frontières. DOC a souhaité l’interroger sur la gestion de la pandémie en Suisse, mauvaise élève quant au taux d’incidence, au taux de mortalité et à la couverture vaccinale, et sur ses recommandations pour espérer faire mieux à l’avenir.

Federal Studio - Genève

Comment expliquer la gestion très imparfaite de la crise sanitaire en Suisse, un pays pourtant reconnu pour sa stabilité politique et son système sanitaire performant ?

Rappelons que la Suisse n’est pas le seul pays à avoir réagi tardivement lors de la première vague en mars 2020. Mais elle a mieux résisté que la France, l’Italie, l’Espagne, le Royaume-Uni ou encore la Belgique, notamment sur le plan économique. Est-ce pour cette raison qu’elle s’est endormie au cours de l’été 2020 ? Elle a alors insuffisamment pratiqué la stratégie TTIQ (test, traçage, isolement, quarantaine) pour endiguer la propagation du Covid-19, ne suivant pas les recommandations des expert-es scientifiques. On a ainsi perdu le contrôle face à la deuxième et à la troisième vagues.

La campagne vaccinale a également été un échec, tout comme l’offre tardive de la troisième dose.

A mon avis, on aurait aussi dû rendre obligatoire la vaccination du personnel soignant au niveau national et être plus contraignants avec les non-vacciné-es. Je dois aussi avouer que j’ai été déçu par le manque de solidarité au sein de la population suisse, mais aussi parfois entre les hôpitaux lorsqu’il a fallu transférer des patient-es des soins intensifs d’un canton à un autre qui ne souffrait pas de la même situation. Autant les citoyen-nes ont bien accepté le confinement et le télétravail au printemps 2020, autant le relâchement dans les gestes barrières et le pourcentage de non-vacciné-es me laissent perplexe. La Suisse souffre peut-être d’infatuation.

 

A votre avis, le fédéralisme a-t-il été une force ou une faiblesse dans la gestion de la crise sanitaire ?

Le fédéralisme explique en partie ces différents échecs. La délégation de la gestion de la crise sanitaire lors de la deuxième vague, avec des cantons qui appliquaient des consignes différentes, a créé un certain chaos. Cela a provoqué une mécompréhension auprès de la population suisse qui, dans ce contexte, n’a pas vraiment fait preuve de solidarité en traversant les frontières cantonales pour manger au restaurant ou faire ses courses. D’où un appel de plusieurs ministres de la santé auprès du conseiller fédéral Alain Berset pour une homogénéisation des décisions. Cette reprise en main fédérale a évidemment une incidence économique que le grand argentier ne souhaite pas forcément assumer. Mais cette vision est totalement erronée : plus on attend pour prendre des mesures fortes, plus cela coûte cher, pour tout le monde. On aurait ainsi pu mieux contenir la troisième vague et éviter de nombreuses morts. Enfin, un système fédéral est moins armé pour agir vite, or c’est la clé face à une courbe exponentielle. Une notion malheureusement encore mal appréhendée au sein de la population. Cette limite du fédéralisme s’est aussi révélée en Allemagne ainsi qu’en Espagne.

 

Dans le cadre de vos divers voyages effectués pour évaluer la gestion de la crise sanitaire en France, avez-vous relevé un pays qui s’en sortait mieux que les autres ? Si oui, pourquoi ?

Au niveau mondial, on sait que la Chine, avec son pouvoir autoritaire, fait partie des pays qui s’en sont le mieux sortis, passée la première vague. Au niveau européen, plusieurs pays nordiques – mais pas la Suède contrairement à ce que l’on a pu parfois entendre ! – ont mieux géré la première vague. Il y a une composante liée à la densité de la population. Il faut aussi relever une stratégie de testing et de vaccination performante, ainsi qu’une confiance dans les institutions et un respect des règles collectives. Après avoir été frappée de plein fouet lors de la première vague, l’Italie a surmonté les vagues suivantes de manière exemplaire. S’il fallait citer un pays ayant mieux géré la crise que les autres en Europe, je choisirais le Danemark.

 

Comment rétablir la confiance entre le monde médical/scientifique – dont la parole a parfois été mise à mal pendant cette crise – et une certaine partie de la population ?

Les réseaux sociaux ont joué un rôle crucial dans l’infodémie, qui peut avoir un impact sur les prises de décision au niveau des autorités avec des conséquences concrètes. Mais ces plateformes ne sont pas responsables de tous les maux, car une grande partie de la population continue à s’informer à travers les médias traditionnels. Elles peuvent aussi être utilisées à bon escient comme lors des « Facebook live » mis sur pied par la RTS au printemps 2020. Pour cela, il faut que nos autorités modernisent leur façon de communiquer, en agissant notamment de manière différenciée selon les publics. L’échec de la campagne de vaccination en Suisse démontre notre incapacité à utiliser les moyens modernes de promotion, en particulier en matière de santé publique, ainsi que nos retards en médecine préventive.

 

Dans le cas où une nouvelle pandémie apparaîtrait, que pourrions-nous améliorer au niveau suisse ?

Il sera fondamental de procéder à un débriefing complet par une équipe indépendante désignée par la Confédération et qui puisse avoir accès à toutes les informations utiles. Il faut pouvoir évaluer les actions de la Confédération, des Cantons et de l’Office fédéral de la santé publique qui a notamment démontré son retard en termes de digitalisation. Il serait faux de tirer des conclusions uniquement sur des critères économiques. Il y aussi un impact sanitaire – lié notamment au Covid long et à la prise en charge retardée des autres pathologies – et psychologique. Le fédéralisme, qui a montré ses limites avec de fortes disparités entre les plans sanitaires et économiques cantonaux, doit être réévalué en temps de crise.

 

Partagez votre opinion sur cet article !

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires