Publicité

Politique

“Le chiffre d’affaires du cabinet n’est pas le revenu du médecin!”

Une cinquantaine de cabinets médicaux dont 23 en Suisse romande aurait facturé chacun pour plus d’un million de francs d’honoraires à charge de l’assurance obligatoire des soins (AOS) en 2021, selon des données diffusées fin janvier par santésuisse, faîtière des assureurs maladie. On démêle ces chiffres avec le Dr Philippe Eggimann, vice-président de la Fédération des médecins suisses (FMH).

Dr Eggimann, à en croire santésuisse, certains cabinets médicaux dépasseraient le million de francs de chiffre d’affaires. Cela vous choque-t-il ?
Oui, énormément. Ce qui me choque surtout, c’est de focaliser le discours sur une poignée de cas extrêmes pour pousser insidieusement les gens à en tirer des généralités hâtives. Rappelons qu’on parle là d’environ 50 cabinets sur 6700 étudiés, soit à peine 0,7% de l’échantillon. Et j’émets des doutes sur la fiabilité des chiffres avancés par santésuisse, qui me paraissent peu plausibles pour un seul médecin. Comme en 2018, il y a fort à parier que contrairement à ce qui est affirmé, plusieurs médecins facturent avec le même numéro de concordat parmi cette cinquantaine de cabinets épinglés.

Gardons aussi à l’esprit que le chiffre d’affaires du cabinet n’est pas le revenu du médecin ! C’est donc plutôt malhonnête de la part de santésuisse de communiquer sur des chiffres d’affaires en sachant pertinemment que le grand public fera rapidement l’amalgame avec le revenu individuel. Les premières demandes de la presse mentionnaient d’ailleurs les revenus, avant que nous puissions leur expliquer que c’était impossible et qu’il s’agissait de chiffres d’affaires ! Un cabinet médical, ce n’est pas juste un médecin, c’est une véritable entreprise avec d’importants coûts structurels à assumer. Les frais de personnel, de locaux, de matériel, de gestion et autres charges diverses absorbent pas moins de deux tiers du chiffre d’affaires, un peu moins chez les médecins de premier recours et plus chez les spécialistes avec des gestes techniques. La SVM a notamment consacré plusieurs dossiers de son magazine à ce sujet ces dernières années, en publiant même en toute transparence les comptes d’un généraliste installé (voir CMV 5 -2021 et CMV 3 – 2018).

Les assureurs n’ont-ils pas d’autres leviers pour signaler des cas de facturation problématiques ?
Bien sûr que si ! La LAMaL charge les assureurs du contrôle continu de l’économicité, qui consiste à comparer la facturation des médecins d’une même discipline pour identifier d’éventuelles pratiques déviantes. En l’occurrence, en cas de soupçon de surfacturation, santésuisse aurait dû lancer une procédure pour inviter les médecins concernés à justifier leurs honoraires, puis au besoin à les traduire devant les commissions paritaires pour qu’un jugement soit rendu. Si un abus était avéré, ils auraient alors été condamnés à rembourser les montants indûment perçus.

Indépendamment de ces procédures, nous qui représentons les médecins sommes tout à fait ouverts à nous réunir avec les assureurs pour décortiquer ces chiffres. Il y a certes toujours la possibilité que nous trouvions quelques moutons noirs dans le lot. Mais santésuisse avait publié des données similaires en 2018, en fermant déjà la porte à tout dialogue avec le corps médical pourtant directement visé, ce qui nous semble être une posture étonnamment peu constructive.

Faut-il aussi y voir la preuve que le système de tarification actuel, le TARMED, est à bout de course ?
C’est effectivement un élément de plus qui plaide en faveur du remplacement du TARMED. Les partenaires tarifaires, assureurs et médecins ont longuement travaillé pour développer une nouvelle structure tarifaire baptisée TARDOC, qui a été présentée pour la première fois au Conseil fédéral en 2019. La Confédération freine depuis son adoption malgré le consensus d’une majorité d’acteurs impliqués, mais nous avons bon espoir que TARDOC soit introduit l’an prochain, permettant ainsi d’introduire progressivement des forfaits ambulatoires qui seront développés avec les Sociétés de discipline médicale. Malheureusement, santésuisse, qui représente moins de la moitié des assuré-es du pays, a quitté précocement la table de négociation et s’oppose depuis systématiquement à son adoption. C’est grave car si TARDOC était entré en vigueur en 2020 ou en 2021, nous serions dans une phase de neutralité des coûts, garantissant que les coûts à charge de l’AOS n’augmentent pas de plus de 2 à 2,5%. Ainsi, santésuisse endosse une large part de responsabilité dans la hausse des primes maladies de ces dernières années. En outre, santésuisse contribue à maintenir les problématiques latentes de facturation du TARMED qu’elle dénonce avec force aujourd’hui.

Partagez votre opinion sur cet article !

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires