Quels conseils donneriez-vous à un-e étudiant-e en médecine ou un jeune médecin qui hésite à suivre votre voie ?
Mon conseil est de toujours essayer pour ne pas avoir de regret plus tard, même s’il y a peu de postes à pourvoir. Pour ma part, après avoir fini ma maturité en Autriche qui comprenait également une formation hôtelière, j’ai travaillé huit ans dans l’hôtellerie-restauration. Cela m’a permis de financer mes études de médecine que je menais en parallèle. Avec du travail et de la motivation, j’ai pu atteindre mes objectifs, même si les nuits étaient courtes. D’ailleurs, mes différentes formations (comptabilité, secrétariat…) me servent tous les jours dans la gestion du CURML (voir encadré).
A votre avis, pourquoi la plupart des médecins légistes sont des femmes ?
C’est peut-être un cliché, mais je pense que les femmes sont beaucoup plus attentives aux détails et plus minutieuses, sans perdre patience. Ce travail administratif, où l’on doit parfois relire les mêmes expertises de nombreuses fois, a tendance à ennuyer la gent masculine.
Quels rapports avez-vous avec d’autres spécialistes du corps médical ?
Nous entretenons d’excellents rapports de collaboration avec les médecins cliniciens, notamment lors de l’évaluation de la prise en charge médicale dans le cadre d’expertises. Notre rôle en tant que médecin légiste est de traduire cette opinion de l’expert-e clinicien-ne en une expertise recevable par la justice. Ensuite, le CURML met à disposition un téléphone de garde dans toute la Suisse romande si des médecins ont besoin d’aide, par exemple pour remplir un avis de décès. Enfin, nous sommes souvent sollicité- es pour des formations sous forme d’ateliers et de séminaires. Avec l’aide d’un professeur de la faculté de droit de l’Université de Genève, nous sommes en train de mettre sur pied un CAS « justice et médecine » sur deux ans qui devrait débuter en 2023 et qui est destiné autant aux juristes qu’aux médecins.
Les médecins ont-ils les connaissances nécessaires pour déceler des violences ou morts suspectes ?
Absolument pas ! Une étude en Allemagne avait montré qu’un nombre impressionnant de morts violentes n’étaient pas repérées. Il est indispensable de mettre en place des formations pour que les médecins aient les connaissances nécessaires et ne passent pas à côté des véritables causes d’un décès. La police ne sera pas appelée si un médecin conclut à une mort naturelle. J’ai d’ailleurs un projet pilote avec le médecin cantonal vaudois pour mettre en place ce type de formation. Dans le cas où le médecin généraliste s’occupe de plusieurs membres de la famille d’un-e défunt-e, cela peut devenir compliqué pour lui d’émettre des doutes sur une mort. Il peut aussi y avoir des cas où la détermination des causes de la mort (électrocution ou intoxication au monoxyde de carbone) est essentielle pour protéger l’entourage. Dans l’idéal, il faudrait un médecin qui soit bien formé et sans lien avec la famille du/de la défunt-e, mais cela a un coût…
A quel moment êtes-vous déliée du secret médical ?
Dès que l’on intervient comme expert- e sur mandat de la justice, qu’il s’agisse de cas de personnes mortes ou vivantes. Seul-e le/la procureur-e a la main sur ces informations que nous ne pouvons, par exemple, pas transmettre à la famille. Mais si je fais un examen sur une victime de violence à sa demande et sans mandat de la justice, je suis liée par le secret professionnel et ne peux transmettre des informations au/à la procureur- e sans le consentement de la victime. Le/la légiste ne soigne pas mais rend compte à la justice.
Comment gérez-vous cette position à l’interface entre le droit et la médecine ?
On ne soigne peut-être pas la personne directement, mais on donne la parole aux mort-es et on écoute leur version des faits. On vient aussi en aide à leur famille ainsi qu’aux personnes victimes de violences en rendant compte à la justice. Enfin, on fait aussi un travail de prévention utile à la société, comme lorsqu’on examine des accidents de la route, ce qui permet d’avoir des statistiques pour ensuite évaluer les mesures de protection les plus adéquates.
Vous travaillez avec des personnes mortes mais aussi vivantes… Lesquelles sont les plus intéressantes ?
Toutes sont intéressantes mais c’est plus facile de travailler avec des personnes décédées car elles ne mentent jamais ! Par ailleurs, on peut procéder à un examen complet sur elles alors qu’on n’effectue qu’un examen externe et donc partiel sur les vivantes.
Y a-t-il une de vos activités qui pourrait surprendre vos confrères/consoeurs ?
Je pense que la plupart du corps médical ne s’imagine pas ce qu’est réellement une simple autopsie. Rien à voir avec les dissections effectuées durant nos études sur des corps traités et bien conservés. Nous avons parfois affaire à des corps putréfiés envahis de larves ou altérés suite à des homicides. Il faut garder une bonne distance par rapport à la mort et être bien équilibré-e pour faire ce métier.
Une expertise vous a-t-elle laissé un souvenir plus marquant que les autres ?
J’ai dû examiner un corps entièrement calciné par un arc électrique à l’exception d’une zone dont la peau n’était pas du tout abîmée. En y regardant de plus près, j’ai découvert un tatouage entièrement préservé représentant un squelette qui souriait avec dans une main la faux et dans l’autre… deux éclairs. Cela m’a donné des frissons. Et surtout, je n’ai jamais trouvé d’explication scientifique.