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Interview croisée

La parole aux faîtières

Comment la situation des médecins praticiens pourrait-elle évoluer pour leur garantir de bonnes conditions de pratique tout en palliant la pénurie croissante de généralistes ? On fait le tour de la question avec le Prof. Pierre-Yves Rodondi, membre du comité de la Société suisse de médecine interne générale (SSMIG) et le Dr Pascal Deleplace, président de l’Association suisse des médecins praticiens (ASMP).

Dr Pascal Deleplace, président de l’Association suisse des médecins praticiens (à g.). et Prof. Pierre-Yves Rodondi, membre du comité de la Société suisse de médecine interne générale (à d.) © SP

A vos yeux, qu’est-ce qui différencie en Suisse un médecin praticien d’un médecin interniste généraliste avec titre FMH ?

Dr Pascal Deleplace (PD) : Principalement les conditions de travail… Les patient·es sont les mêmes, l’acte médical est supposé être le même. Actuellement, les tracasseries augmentent pour les médecins praticiens. Les prestations « examen clinique », « entretien psychothérapeutique », entre autres, ne leur sont pas ouvertes. Ceci aboutit à une limitation effective à 20 minutes du temps de consultation. Exit le contrôle des pieds du diabétique âgé, exit les consultations chronophages de patient·es en dépression ou hypochondriaques. Le nombre de séances de psychothérapie pouvant être prescrites est du reste limité à 10. A déplorer aussi, le non-accès à des formations médicales diplômantes complémentaires (ultrasons par exemple) ou encore l’impossibilité d’accueillir des médecins assistants dans le cadre de leur cursus. Sans oublier le facteur intrinsèque minoré, aboutissant à un revenu inférieur de 6% à prestation équivalente avec un médecin interniste généraliste FMH.

Prof. Pierre-Yves Rodondi (PYR) : Le titre de médecin praticien a notamment été mis en place dans le cadre des accords avec l’Union européenne pour que la faîtière Suisse reconnaisse une formation spécifique en médecine générale d’au moins trois ans. Outre une durée de formation plus longue pour obtenir le titre de spécialiste en médecine interne générale, d’autres critères sont exigés, comme trois mois d’urgence, une année en catégorie A (hôpital universitaire ou de grande taille) ou dans une grande policlinique, et une publication scientifique. Les médecins praticiens ayant souvent plusieurs années d’expérience clinique, leur formation est en général de très bonne qualité. Des mesures sont nécessaires pour aider les médecins praticiens à obtenir le titre de médecine interne générale.

A votre avis, quels sont ou devraient être les critères essentiels pour qu’un médecin praticien puisse bénéficier des mêmes conditions de pratique que son homologue avec titre FMH ?

PYR : La durée minimale de 5 ans de formation pour les titres de l’Institut suisse pour la formation médicale et continue (ISFM) concerne aussi celui de médecine interne générale, de par la variété et la complexité des situations cliniques. Pour les médecins praticiens, la question de fond est de savoir si la limitation de la durée facturable de consultation et l’exclusion de la facturation de l’examen clinique sont compatibles avec une pratique adéquate de la médecine. Avoir assez de temps en consultation permet de réduire la prescription de médicaments. Par ailleurs, un excellent prédicteur de la qualité de la prise en charge des maladies chroniques est la durée suffisante de consultation. Ainsi, cette limitation est en inadéquation avec les besoins actuels de notre système de santé, et contribue à en augmenter les coûts. La limitation des prescriptions de délégation de psychothérapie est aussi une décision absurde. Il est donc demandé aux médecins praticiens de pratiquer une médecine de qualité, mais avec des moyens très limités.

PD : La crainte d’un niveau insuffisant de formation médicale initiale des médecins venant de l’étranger me paraît injustifiée. La loi européenne d’équivalence des diplômes stipule que les médecins doivent pouvoir travailler dans des conditions identiques aux médecins pratiquant les mêmes disciplines. Manifestement, il existe une inégalité de traitement pour la médecine de premier recours.

Pensez-vous que la labellisation proposée par la SVM en 2019 et qu’elle souhaite relancer réponde à ces critères ? Et si non, comment améliorer le concept ?

PD : La labellisation portée dès 2019 par la SVM serait une bonne première évolution de la situation si elle établit des normes sans entrave et sans aucune différence entre les deux statuts, en termes d’accès aux formations, au catalogue des prestations et à la rémunération. Une égalité de traitement est l’objectif à atteindre dans l’intérêt des patient·es et de la qualité des soins qui leur sont prodigués. Il y a urgence, la démographie médicale en Suisse est très inquiétante. Sans parler d’appel d’air, il est important pour la Suisse de rester attrayante pour les médecins étrangers.

PYR : Il faut se demander si une mesure spécifique à quelques cantons a des chances d’aboutir. Le futur système tarifaire TARDOC permettra en partie de corriger les erreurs concernant les médecins praticiens. La pénurie de médecins de famille en Suisse est un problème majeur. Les mesures politiques mises en place à ce jour ne suffiront pas et il est indispensable que d’autres mesures incitatives soient rapidement décidées pour augmenter le nombre de médecins de famille. Pour cela, les sociétés nationales de médecins de famille, dont la SSMIG, ont transmis au Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI) une demande de financement de 200 millions. En plus des bonnes paroles de nos élu·es fédérales et fédéraux en faveur de la médecine de famille, cette législature doit s’accompagner de décisions. Notre système de santé sera plus rapidement limité par la pénurie de personnel de santé que par les coûts.

Dr Deleplace, quelles sont actuellement les plus grandes difficultés auxquelles sont confrontés les médecins praticiens en Suisse ?

PD : Le constat est une déception collective des médecins praticiens vis-à-vis du ghetto de ce statut et de l’absence d’évolution depuis toutes ces années. Les plus grandes difficultés sont liées à la pression psychologique pour assurer des soins de qualité bien que strictement chronométrés. Nous devons avoir un rythme de travail particulièrement soutenu pour pouvoir payer nos factures et dégager un revenu décent. Avec l’inflation, de nombreux cabinets médicaux sont au bord de l’asphyxie et des départs de médecins sont à craindre prochainement. Ceci se fera encore une fois au détriment de la patientèle…

Prof. Rodondi, pourriez-vous imaginer que des médecins praticiens labellisés (voir article pp. 20-21) par leurs sociétés cantonales respectives puissent devenir membres associés de la Société suisse de médecine interne et générale ?

PYR : Il est surtout important de corriger les absurdités de facturation des médecins praticiens sous l’angle des critères EAE (efficacité, adéquation, économicité). Et il est urgent de s’unir au niveau national pour revaloriser la médecine de famille, tout en travaillant aussi à éviter une pénurie générale de médecins en Suisse.

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