Quand il n’y a que des ânes autour de la crèche vide… (conte de Noël)

24.12.24 | Proposé par: Eric Rochat

« La souffrance est un désert ; seules les oasis retiennent nos regards »

A déconseiller aux âmes sensibles et aux enfants.

Elle est enceinte et va sur ses 40 ans. Comme une autre avant elle, Marie (nom proposé) ne connaît pas le nom du père de l’enfant et doit accoucher dans l’urgence. La clinique qui l’attend est insuffisamment équipée et Marie met au monde Bénédicte dans la froideur lunaire d’une salle d’opération. Les bergers animent le décor, poussent les lits et retapent les oreillers. Les anges sont étranges : confits de références bibliques, ils détestent qu’on leur rejoue la Nativité et, connaissant ses développements ultérieurs, agissent rapidement pour séparer Bénédicte de Marie. Il y a l’ange gynéco, il y a l’ange psycho et un autre (mais n’est-ce pas une ? son sexe demeure incertain). S’ils renoncent au massacre des Innocents qu’Hérode aurait ordonné par commodité administrative, ils n’autorisent que deux heures de visite par semaine pour séparer Marie de Bénédicte au point que la fille connaît mieux les bergers du Foyer que sa propre maman.
Ce qui est vrai pour chiens, moutons et chats, l’est aussi pour les enfants. Séparés de leur mère dans les premières heures, ils ne se défendent plus et Bénédicte se retrouve en état de mort apparente après trois semaines. Marie est désespérée mais Pilate, la juge, demeure intraitable. Evidemment, les rois Mages, pétris de leurs connaissances livresques, sont entrés en scène : Ritzi n’a pas besoin d’enfant pour tout savoir, Basile répète avec enthousiasme les récits qu’on lui rapporte et Magalon, plus petit que les autres, manipule les deux premiers avec talent et succès.
Bénédicte va mal ; elle ne se développe pas. Simple objet de procédure pour les juges, simple objet de soins et d’alimentation pour les autres, elle ne rampe pas à 11 mois. Coutumiers du ridicule, les angelots attribuent ses hématomes à des chutes ; ils crient même au scandale lorsque Marie interroge un Mage extérieur pour déterminer la cause des lésions vaginales et anales de Bénédicte.
Lorsque Marie part consulter un spécialiste en Suisse allemande avec sa fille, sa sœur et sa mère, Ritzi et ses sbires revivent la fuite en Egypte et se lancent à ses trousses. Huit légionnaires arrêtent sur le quai une grand-maman, ses filles et ses deux petites filles dans leurs pousse-pousse. Ritzi jubile, Hérode triomphe, Pilate se lave les mains et obéit.
La sanction est à la hauteur du crime : Marie n’a plus le droit de s’enquérir de la santé de Bénédicte, ne peut plus la voir durant un mois dans le nouveau foyer où Ritzi la séquestre et la famille proche est totalement interdite de contact.
Mais voici le temps de Noël, celui de la tendresse, de la réconciliation et de l’écoute mutuelle. Marie voudrait tant passer ces jours de fête avec sa fille. La réponse de l’angelot de service claque « vous n’avez qu’à fêter Noël le 18 décembre !». Quand le grand-papa, Marie et sa sœur se présentent au point de rencontre, ils sont écartés de Bénédicte après quelques minutes « pour protéger celle-ci de trop d’émotionnalité ». Sommés de « prendre la porte », ils découvrent très vite que, derrière leur dos, Bénédicte a été renvoyée dans son Foyer éloigné sans un baiser, sans un au revoir, sans même avoir reçu ses cadeaux.
Aujourd’hui 24 décembre, Bénédicte, 19 mois, est seule dans son lit. Sa famille pleure mais les Rois Mages préparent le réveillon, les anges festoient, Pilate se rince les mains une nouvelle fois, Hérode et Ritzi polissent leurs discours de fin d’année.
Il n’y a que les bergers pour laisser leurs agneaux aux brebis et l’âne pour souffler son haleine sur la crèche vide.

24 décembre 2024
Dr Eric Rochat

St-Légier