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Témoignage anonyme d'un médecin

Ai-je le droit de tomber malade?

Faisant partie d’une spécialité en pénurie croissante (comme d’autres…), croulant sous les demandes, en permanence à la limite de l’épuisement (lorsqu’elle n’est pas dépassée), ai-je le temps de me demander si je vais bien, même si gentiment les patientes et les patients s’en enquièrent (parfois) : « Et vous docteur, ça va ? ».

Non, c’est une question que je ne me pose pas, et les éventuels symptômes que j’ai pu ressentir sont évidemment mis de côté, à voir une autre fois lorsqu’on aura le temps. Tout comme faire du sport, s’aérer sont des activités que l’on entreprendra « demain », lorsqu’on aura le temps. Et le temps passe. Heureusement que ma compagne, pas dupe, m’a « tirée » vers une collègue. Voici son récit, écrit pour vous :

Le déni du médecin vu par sa compagne

Je vis depuis plus de 10 ans avec un médecin qui fait un déni total de sa santé et qui a failli mourir d’une crise cardiaque. En voici l’histoire. Depuis quelque temps, je voyais mon compagnon se plaindre silencieusement de douleurs à la poitrine, d’essoufflement, montrant une pâleur extrême lors de ses crises. Je lui demandais ce qui n’allait pas et il me répondait à chaque fois : « c’est musculaire ». Ce qui était étrange car cela faisait longtemps qu’il ne pratiquait plus aucun sport. Devant chaque année faire un contrôle chez ma cardiologue, je lui sollicitai un rendez-vous pour lui, ce qu’elle fit ! L’heure du rendez-vous arriva et elle lui demanda ce qu’elle pouvait faire pour lui. Sa réponse : « Ah je ne sais pas car je vais bien, c’est juste ma compagne qui m’a dit de venir… » Elle lui proposa quand même de lui faire un contrôle. L’ergométrie fut positive. Et là bingo ! Départ pour une corono… Assis sur son lit d’hôpital, il était sûr que cela serait une coro blanche et qu’on allait se « moquer » de lui. Eh bien pas du tout : artère bouchée à 95% ainsi qu’une autre à 80%. Il fut décidé d’intervenir rapidement sur celle obstruée à 95% (avec beaucoup de difficulté) et un stent fut mis à son grand étonnement. Pour l’autre, il m’assura qu’elle ne servait à rien et qu’on pouvait la laisser comme cela… Je lui fit remarquer que c’est comme son taux de cholestérol à 9 et ses triglycérides à 5 et que c’est normal pour lui. Peu après, en dînant avec des amis, il se plaignit d’être fatigué lorsqu’il faisait de l’exercice. Le lundi je repris contact avec sa cardiologue pour le reconvoquer à nouveau et un second stent s’ensuivit. Après ces épisodes surgit un trouble de l’humeur : « comment moi, médecin (ex-)sportif et dans la fleur de l’âge j’ai eu des stents…. ». Donc retour pour un rendez-vous, chez son médecin traitant cette fois, qui le mit à 50 % (ouf on respire) avec une réadaptation cardiovasculaire, ambulatoire évidemment car il n’a jamais arrêté de travailler. Depuis, il va mieux mais je surveille toujours s’il prend ses médicaments. Et sa secrétaire le vire de son cabinet quand il travaille 12 heures non-stop… »

Quel paradoxe ! Passer son temps à soigner autrui, être sensible aux maux exprimés, dépister les problèmes sous-jacents, protéger pour soigner, toujours avec enthousiasme, mais incapable de se regarder dans un miroir. Depuis, j’ai entendu nombre de confrères vivre des situations analogues. Je m’interroge… Comment est-ce possible ? Je souhaite trouver quelque réponses dans ce dossier de DOC, et j’espère surtout qu’avec ce témoignage, d’autres collègues ne feront pas la même erreur. Ce qui est certain, c’est que notre métier nous met dans une situation très à risque.

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