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Exercice de la médecine et santé mentale

Mission impossible: toubib to fail

Vendredi matin, j’évite de justesse la noyade dans l’océan de mon agenda qui déborde et de mon courrier en retard que j’ai commencé à bourrer sous les meubles en prenant une décision simple et limpide : je ferai un weekend de glandouille, comprenez sans travail admin ni rédactionnel.

Avant midi, la demande de DOC de rédiger une pièce sur la santé mentale des médecins a immédiatement raison de la mienne. Si c’est grâce à l’isolation phonique de mon bureau que, comme dans l’espace, personne ne m’entendit crier, j’ignore encore comment j’ai réussi à m’empêcher de renvoyer mon droit de pratique, déchiqueté, à la DGS pour consacrer le reste de mon existence à la création de structures polyrythmiques en bulles de bave sur mon divan. J’ai enchaîné hagard mes consultations et suis parti en weekend. Weekend de rédaction donc, sur la santé mentale médicale.

Les deux tares

S’il est communément admis que les cordonniers sont les moins bien chaussés, force est de constater que l’on croise rarement un coiffeur affligé d’une tignasse rêche et terne. Alors qu’en est-il de nous autres toubibs ? Il semble bien que deux tares originelles minent la santé mentale du médecin dont les effets se fondent en résultante exponentielle : la formation et le boulot en soi.

Quel sujet sain d’esprit s’inscrit à une telle formation, dont même le sot connaît la réputation de difficulté, dans un système ambitionnant de la rendre plus exigeante d’une année sur l’autre ? La rumeur veut qu’afin d’améliorer la sélectivité de la première et d’obtenir des résultats plus tranchés, les torches enflammées seront remplacées par des tronçonneuses pour l’examen de jonglage sur unicycle.

Et puis le métier, franchement, « je le pansay, Dieu le guarist »1, la belle affaire ! C’est passer un peu vite sur le fait que Dieu ne guarist pas toujours, ou pas tant que ça, qu’il est peu contributif sur l’admin et qu’il a la fâcheuse tendance à rappeler à lui. La résultante est une bande de narcisses sélectionnés sur la résistance à la douleur et la capacité à avoir réponse à tout, assumant seuls la responsabilité, lancée sur un Golgotha vertical infini : ça sent le piège psychique parfait. Y a-t-il des pistes pour l’éviter ?

C’est sûr que l’on peut toujours s’adresser à ChatGPT. Qu’on lui demande de le formuler en version mille détails pour saouler tout le monde aux apéros ou sous forme de blague Carambar, celui-ci condensera les avis d’experts en une liste d’enjeux métaboliques, physiologiques, émotionnels ou relationnels. Toutes sortes de trucs à considérer. En somme, de nouveaux problèmes à solutionner. Le piège psychique se referme et la farandole infernale s’ébroue de plus belle ! On ne règle pas le problème en faisant plus de la même chose et la salutogénèse est aveugle car elle laisse entendre qu’il y a un salut. Or il n’y en a pas tant qu’on pense qu’il y en a un.

Alors, foutu pourri d’avance? Tant mieux! 

La créativité, à l’instar de Capitaine Flam, ne se convoque que lorsqu’il n’y a plus aucun espoir. Sinon on continue simplement à faire ce qu’on fait déjà, pépère, ou à défaut, on passe à l’item suivant de la liste. Seule la créativité permet l’opération consistant à passer de hopeless (cas désespéré) à hopefree (libéré, délivré, de l’espoir dont il est bon de se souvenir qu’il est contenu dans la boîte de Pandore) afin de viser à mener une vie satisfaisante aujourd’hui, non pour s’éviter un infarctus demain, mais juste pour que ce soit satisfaisant aujourd’hui. Et ceci a le potentiel de nous placer dans de bien meilleures dispositions pour dealer avec les inévitables impondérables lorsqu’ils se présenteront dans leur glorieuse contrainte.

“En jargon, on peut appeler ça une psychanalyse, en langage séculier se lâcher la grappe.”

Pas d’autre voie que de contempler l’intolérable danse macabre de l’existence (et de l’exigence impossible du métier), d’apprendre à entendre ce que cela génère en soi et de s’en servir pour créer une vie (et un exercice du métier) coïncidant mieux avec sa nature. En jargon, on peut appeler ça une psychanalyse, en langage séculier se lâcher la grappe. S’agissant d’une affaire on ne peut plus subjective, il n’est du ressort de personne d’autre que de chacun de se créer un espace où considérer l’absurde de notre condition de mortels consacrant nos vies professionnelles à lutter contre la finitude, et donc à se fracasser sur son roc. Ce n’est qu’en reconnaissant l’impossible de la tâche que l’on peut ne plus y être soumis.

Le weekend a été suffisamment fructueux, ces lignes sont sous vos yeux et j’espère que vous pourrez résonner avec. La semaine a bien repris, jusque-là tout va bien, l’eau monte gentiment et je ne stresse pas car j’ai décidé que celui qui vient sera un weekend de glandouille.

Pour approfondir de façon immersive, je suggère l’écoute de Worms des Viagra Boys

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