Lettre ouverte d’une assistante médicale aux médecins vaudois

12.06.24 | Proposé par: Une assistante médicale passionnée et fatiguée

Cher·es Docteur·es,

Les apparences peuvent être trompeuses. J’écris cette lettre avec émotion, remise en question et malgré tout beaucoup d’amour pour ce monde dans lequel j’évolue depuis longtemps maintenant. Je suis une jeune femme de presque 40 ans (le « presque » compte à l’approche des 40, autant que le demi dans l’enfance). J’ai un CFC d’assistante médicale depuis plus de 15 ans (aïe). Les années filent mais ne se ressemblent pas.

La médecine évolue. Heureusement, il n’est plus nécessaire de développer les radiographies dans la chambre noire et les bacs de la développeuse ne sont qu’un lointain souvenir. Les aiguilles des vaccins sont de plus en plus affûtées. Il fût une époque où il ne fallait surtout pas hésiter pour que celles-ci daignent se planter dans le deltoïde musclé de Mr X. Les prises de sang sont plus douces grâce à nos doigts de fées mais aussi parce que nous ne sommes plus obligé·es de tirer sur le piston de la seringue. Vive les butterfly® (même pour les adultes)! Que dire de nos compagnons ordinateurs, programmes médicaux et de facturation qui accélèrent considérablement toutes les tâches administratives. Nos jeudis après-midi n’ont plus la même saveur. Le millier de factures à plier (gare aux coupures et “bobo sterillium”®) et à mettre sous pli ne sont aussi plus qu’un lointain souvenir (un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître).

Dans le progrès, il y a beaucoup de bonnes et agréables choses. Je ne suis pas une vieille réac’ acariâtre, oh non! Je ne regrette pas les machines à écrire et la concentration ultime qu’il fallait avoir pour retranscrire les cassettes audio déposées (avec amour ou non) par nos cher·es patron·nes médecins. Peut-être que je regrette quand même un peu l’odeur du papier tout chaud sortant du fax.

Ma peine se trouve ailleurs. Les patient·es agaçant·es, irrespectueux/ses et impatient·es (comme leur nom ne l’indique pas)? Non, le monde évolue et les gens essaient de survivre au mieux et d’avancer aussi vite que la musique qui n’arrête jamais de résonner dans nos oreilles, nos smartphones et notre télévision. Oui, c’est profondément fatiguant mais là n’est pas ma peine. Serait-elle dans l’arrogance de certain·es médecins qui peuvent parfois se penser au-dessus de tout et qui souvent essaient d’asseoir leur autorité dans cette société encore si patriarcale? Non, toujours pas, et je m’égare même un peu du sujet.

Ma peine se trouve (le suspense est à son comble) dans l’irrespect total de ma profession, et je pèse mes mots! J’ai une expérience variée et assez de recul pour avoir maintenant envie de crier au monde entier que j’en ai ma claque! Ras-le-bol, la casquette ou autres emplacements que je vous laisse le soin de choisir à votre guise.

Ma profession est dans la tourmente et votre proposition pour pallier la pénurie d’assistant·es médicales (AM) serait de laisser n’importe qui, qui juste avec 5 ans d’expérience pourrait se présenter à l’examen CFC afin de devenir diplômée au même titre que moi et mes collègues… Comment est-ce possible? Pourquoi tirer la corde de notre profession vers le bas? C’est le seul travail au monde qui permet à n’importe qui d’acquérir un diplôme équivalent à des personnes formées SANS passer par la case études/formations, c’est incroyablement dégoûtant et inexplicable! Peut-être serait-il plus judicieux de récompenser les AM diplômées et compétentes, de leur offrir des conditions de travail dignes, d’augmenter les salaires, les prestations sociales, les perspectives (ne parlons pas du brevet que quasi personne ne peut se payer!).

Je travaille dans un cabinet de médecine générale depuis 5 ans. Cette place, c’est de l’or. Je n’avais jamais connu cela auparavant. Deux employeuses femmes (oui, je tiens à le préciser) qui savent entendre et écouter. Un petit cocon douillet de bienveillance. Une collègue formée, compétente, douce. Et pourtant, j’en peux plus. Je ne peux plus faire ce travail. J’ai cherché ces conditions de travail tout au long de ma vie professionnelle et pourtant je n’ai plus envie, plus de motivation. Je ne m’y retrouve plus.

La faute à… (roulement de tambours, voyez-vous arriver la chute?)… La faute à une surcharge de travail conséquente doublée de l’incompétence de collègues non formées, exerçant pourtant MON travail! Durant quelques mois, dans mon cabinet (oui j’ai envie de dire « mon cabinet », parce je me sens entièrement concernée par ce qui s’y passe), nous avons dû, ou plutôt mes employeuses ont dû engager une/des AM remplaçantes, mamma miiiiia! C’est le drame, piste noire sans casque, sans bâtons et même sans skis à ce stade.

Afin que cela soit plus digeste, je vous propose de vous faire une liste (un peu comme des comorbidités) des candidatures reçues pour ce poste d’assistante médicale:

  • Secrétaires médicales en tous genres formées online (hmm-hmm)
  • Infirmières
  • ASSC
  • Secrétaire de commune
  • Secrétaire de garagiste
  • Secrétaire/comptable pour l’entreprise de son mari
  • Hypnothérapeute
  • Assistante en pharmacie
  • Puéricultrice
  • Femme de ménage qui cherche du travail pour arrondir ses fins de mois
  • Vendeuse qui n’a aucune expérience mais qui est passionnée par le médical
  • Mais aussi Henriette, qui n’a aucune idée de ce métier, mais sur un malentendu ça peut passer (l’expérience dira-t-on)

Bingo, Henriette a été engagée! Faute de mieux, ou de pire, ou de rien… Comment réagir face à cela? Dans un premier temps c’est drôle, dans un deuxième temps c’est agaçant, dans un troisième énervant, dans un quatrième incompréhensible, dans un cinquième enfin je ne sais plus quoi dire mais je ne me sens plus à ma place. Apparemment mon travail peut être fait par Henriette. Je souhaite alors apporter une dernière pièce au dossier, ma to-do list du jour (journée du 30.05.24, seule AM avec une Docteure):

  • 45 appels téléphoniques répondus, traités, facturés
  • 6 prises de sang avec laboratoire interne hématologie et chimie + facturation
  • 3 prises de sang pour envoi externe + facturation
  • 2 prises de sang en urgence + facturation
  • 2 prises d’urine + facturation
  • 3 vaccinations + conseils + facturation
  • 2 perfusions de fer + surveillance + facturation
  • 1 injection de vitamine B12 (le patient est anti-coagulé, mais ça il faut le savoir) + facturation
  • 1 ECG + facturation
  • 15 tâches (rapports aux confrères, établissement d’ordonnances, délégations, etc.) + facturation
  • 35 e-mails/fax répondus, traités, facturés
  • 1 Holter + facturation
  • 1 pose d’attelle + facturation
  • Préparation des labos du lendemain
  • Re-stock à la suite des soins/perfusions/labo
  • 1 débouchage d’oreille + facturation
  • 320993284234298420342349234 papiers préparés, traités, facturés

J’adore mon travail. Non, c’est faux. Je suis obligée d’admettre que j’adorAIS mon travail. Aujourd’hui, je prie pour avoir les ressources financières et temporelles afin de changer de voie mais, avant cette éventuelle reconversion, je souhaite, que dis-je, je DOIS me FORMER. N’est-ce pas comme cela qu’il faut procéder pour avoir un travail? Si!!! Enfin, exception faite des assistantes médicales visiblement.

Il devient urgent de prendre les choses en main pour mes collègues qui ne sont pas encore dégoûté·es par le métier, par la pollution des personnes incompétentes que nous sommes obligées de côtoyer. Ecoutez, protégez vos assistantes médicales. Ne nivelez pas notre formation par le bas. Respectez notre formation, nos capacités, notre engagement dans vos cabinets. Soyez reconnaissant·es, ouvert·es, généreux/ses. Privilégiez la qualité à la quantité. Oui, c’est facile à dire derrière mon ordinateur mais le train n’est pas loin d’atteindre la fin du tunnel et ça ne sera pas une vue mer si vous ne corrigez pas rapidement la trajectoire…

Bien cordialement,

Une assistante médicale passionnée et fatiguée (nom connu de la rédaction)

 

Note de l’auteure:
Evidemment, toutes les professions voisines telles que secrétaires, ASSC, infirmières, etc. ont pleinement leur place dans le monde médical, tout le monde est important mais nous avons chacun·e des compétences différentes, des atouts à partager, des liens à tisser.

Comme le ferait une célèbre écrivaine, je remercie mes amies relectrices chéries qui se reconnaîtront.

Un clin d‘œil enfin à toutes les Henriette, prénom qui m’a permis de glisser un hommage à mon grand-papa adoré dans cette lettre.