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Interview - Prof. Silke Grabherr

Médecin légiste, comme au cinéma

Les salles d’autopsie s’offrent aux yeux des téléspectatrices et téléspectateurs dans des séries à succès comme Les Experts, Forever ou encore Body of Proof. Mais où commence la réalité et où s’arrête la fiction ? Nous avons posé la question à la Prof. Silke Grabherr, directrice du Centre universitaire romand de médecine légale (CURML).

© Laurent Kaczor

Regardez-vous beaucoup de séries criminelles ?

Non, je regarde très peu la télévision et encore moins d’enquêtes policières. Je préfère les thrillers et les films d’horreur ou encore la fantasy où le manque de réalisme est assumé jusqu’au bout. Mais je connais le sujet car j’ai participé à plusieurs rencontres avec le grand public et j’ai mené un séminaire auprès de mes étudiant-es autour de ce thème.

Vous parlez de manque de réalisme. Qu’est-ce qui distingue la réalité de la fiction en matière de médecine légale ?

Un grand classique, c’est la temporalité. Dans Les Experts, les cas sont élucidés en 24 heures alors qu’il faut en réalité beaucoup plus de temps. Et le légiste détermine toujours l’heure du décès en salle d’autopsie alors qu’il devrait le faire directement sur le lieu du décès. J’ai aussi remarqué qu’il y a toujours un appareil surréaliste qui permet de faire des analyses ultra-rapides grâce à un seul échantillon et à une base de données fantaisiste. Et c’est ce même appareil qui fait sortir la photo du coupable d’une imprimante, comme par magie.

Que dire de la médecine légale aux USA, telle qu’elle est perçue à l’écran, par rapport à la Suisse ?

Aux États-Unis, la situation concernant la médecine légale est catastrophique, contrairement à la Suisse. La cause d’un décès reste souvent indéterminée en raison du manque de spécialistes et de financement. Et ici, nous avons plutôt affaire à des crimes passionnels ou des drames familiaux qui sont rarement prémédités. Nous rencontrons peu de meurtriers ou de tueurs en série, à l’inverse de ce qu’on voit à la télé.

Y a-t-il quand même quelque chose de vraisemblable dans ce qu’on voit à l’écran ?

Dans les fictions d’aujourd’hui, l’enquête repose beaucoup sur la collaboration entre la police scientifique et la médecine légale. Même s’il existe encore une grande confusion entre les deux et que seulement deux ou trois personnages font le travail de toute une équipe, cela paraît beaucoup plus réaliste que dans de vieilles séries comme Columbo.

Une enquête au cinéma vous a-t-elle déjà inspirée pour résoudre un cas réel ?

Non. En revanche, j’ai des collègues qui discutent beaucoup de ce qu’ils ont vu et qui émettent parfois des propositions et des hypothèses complètement saugrenues. Ca m’est arrivé une fois avec un jeune procureur qui pensait tenir la solution. Mais ça ne tenait pas la route et je lui ai dit : « Bonne idée mais tu regardes trop la télé ».

On parle peu des personnes concernées par l’autopsie d’un être cher. Comment réagissent-elles en réalisant qu’une enquête ne se résout pas comme à la télé ?

Une famille ayant perdu un de ses membres ne comprend pas toujours. Les proches sont déçus parce que les conclusions d’une enquête prennent beaucoup plus de temps qu’à l’écran.

Pensez-vous que ce type de programme influence les jeunes légistes que vous formez ?

Oui, ils∙elles le disent eux/elles-mêmes. Je dois même refuser des demandes de stage provenant de jeunes de 15-18 ans qui voudraient découvrir le métier. Mais ce type d’immersion est réservé aux étudiant-es en médecine, notamment pour éviter de nourrir une certaine curiosité malsaine.

Que dites-vous à des étudiant-es en médecine qui voudraient faire ce métier ?

Qu’il faut prévoir un plan B. Bien sûr, je les encourage à suivre cette voie mais je dois les rendre conscient-es qu’il existe peu de postes de travail dans ce domaine. Beaucoup veulent faire de la médecine légale mais peu de gens y arrivent. Et ceux/celles qui y parviennent finissent souvent par abandonner parce que c’est un métier très lourd en termes d’horaires et de charge psychologique.

Y aurait-il un message que vous aimeriez adresser aux scénaristes pour les aider à mieux dépeindre votre métier ?

Les scénaristes disent eux/elles-mêmes qu’il faut s’éloigner de la réalité pour que ça reste accessible au grand public, qu’il faut limiter le nombre de personnages à l’écran pour que le public puisse s’y attacher. Mais il y a un juste milieu à conserver. Je les encouragerais à prendre contact avec de vrais expert-es.

Recevez-vous des demandes d’auteur-es ou de scénaristes qui auraient besoin de conseils ?

Quand il s’agit de personnes que je connais, parmi lesquelles des policiers ou des juges qui se mettent à écrire, je donne des indices ou relis le manuscrit, sinon pas. Je connais même une auteure qui a enterré des steaks dans son jardin pour mieux comprendre le processus de décomposition.

Si vous deviez écrire un scénario, pourriez-vous imaginer le crime parfait ?

Je pense que oui. Mais je ne le ferai pas car je ne voudrais pas inspirer des personnes mal intentionnées. C’est peut-être bien que la fiction reste dans le domaine de la fiction.

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