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Médecine et science-fiction

Soigner les corps, soigner les âmes

Nous avons pour habitude de considérer la science-fiction comme un « réservoir » de représentations dessinant les contours d’un futur vraisemblable. Fréquemment préconisée par les médias et les scientifiques œuvrant pour l’attractivité de leur discipline, une telle conception pose néanmoins de nombreux problèmes méthodologiques. Quid de la nature fictionnelle des récits ? Quid de l’intrigue dont on ne peut jamais faire l’économie ?

«Frankenstein», James Whale,1931 © Cinémathèque suisse

Dois-je, par exemple, lire Frankenstein de Mary Shelley (1816) comme une remise en cause, virulente, de l’appétit démiurgique des savants ou comme une fable visant, par l’entremise du docteur Frankenstein, à problématiser les valeurs autour desquelles la science moderne se bâtit ? Ce texte est-il, en ce sens, une attaque contre le monde médical ou une réflexion sur les dérives des ambitions humaines, devenues monstrueuses car illimitées ?

Il va de soi que seule la deuxième piste est pertinente et que les mésaventures de Don Quichotte ou de Madame Bovary nous ont enseigné que lire la fiction au premier degré ne peut être perçu autrement que comme une forme de folie : la fiction s’interprète, elle ne peut être réduite à la littéralité de ses phrases.

Si la fiction est davantage du ressort de l’interprétation, c’est qu’en sa qualité de pratique artistique, les représentations qu’elle convoque ne sont pas à accepter telles quelles. Les chirurgiens qui ont transformé Duane Fitzgerald en cyborg dans le magnifique roman d’Andreas Eschbach, Le Dernier de son espèce (2003), sont des êtres de papier qui ne « servent » qu’à rendre possible une hybridation du corps biologique avec la machine. Celle-ci réfléchit à son tour les modèles de toute-puissance qui nous structurent et les valeurs avec lesquelles est traité le corps biologique, parfois, par le monde médical.

Deux disciplines qui se nourrissent mutuellement

Même si je n’ai pu qu’esquisser les premières lignes d’une discussion complexe, je me permettrai de conclure en précisant que la science-fiction ne convoque jamais la médecine pour nous parler de son évolution probable. Elle le fait pour que son audience reconnaisse des tendances qu’elle voit actives dans son quotidien – le corps est un ensemble de pièces dé[1]tachées – et qu’elle puisse réfléchir à la conception de l’humain véhiculée par ces mêmes tendances.

C’est peut-être sur ce point que le dia[1]logue entre science-fiction et médecine est le plus fécond : la première a besoin de la seconde pour donner naissance à des récits qui ont l’être humain comme centre ; la seconde a besoin de la première pour se rappeler que nous ne sommes jamais que des corps, et que guérir ou soulager est corrélatif à écouter et compatir.

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