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Créer le terreau favorable à la relation thérapeutique

The thrill is gone*

C’est la pire menace qui plane sur le système de santé suisse en 2023 : la disparition du plaisir dans les soins. Plus de frémissement, même plus de vibration, juste un ennui vide de sens qui se répéterait de jour en jour.

«All work and no play makes Jack a dull boy », comme dit l’autre Jack dans Shining, avec le résultat que l’on sait : il meurt tout seul dans un labyrinthe, gelé, figé comme une pierre. Au secours ! Autorités de tous les cantons, cessez de mettre la pression sur les hôpitaux en favorisant indirectement le rationnement du personnel.

Avant les soins, c’est bien le personnel qui souffre de ne pas avoir les moyens de soigner la patientèle selon ses propres aspirations, de ne plus pouvoir être lui-même, de ne plus avoir le temps d’être attentif à l’autre… C’est l’impersonnel qui prend le dessus, la déshumanisation remplace l’humanité. Les médecins assistant-es deviennent profs de géographie, après s’être battu-es durant leurs premières années de médecine pour être sélectionné-es selon des critères absurdes, éliminant les plus vulnérables et peut-être les plus sensibles. Quel gâchis !

Une relation à cultiver

Comment sauver la relation médecin- patient-e après tant d’épreuves ? Comment sauver notre compassion sur un champ de ruines ? Et pourtant, quoi de plus beau que l’intérêt des étudiantes et étudiants qui fréquentent nos cabinets ? Leur curiosité nous émeut, leur satisfaction de pouvoir enfin soigner les patientes et patients sonne comme un accomplissement : « c’est pour ça que j’ai fait tous ces efforts ! ». La rencontre de la souffrance de l’autre résonne dans nos coeurs.

Chaque consultation est une rencontre, mais il n’y a pas à chaque fois une découverte. Pour cela, il faut qu’il y ait un échange, une ouverture à l’apprentissage mutuel, un approfondissement, un aveu de détresse recueilli dans l’espace-temps intime du cabinet, dans les entrailles profondes de l’autre, évitant le recours à des investigations inutiles qui viendraient rompre ce lien précieux. La relation thérapeutique est plus ou moins lâche, plus ou moins engagée, variable comme la relation amoureuse, mais au final c’est la persistance qui fera le bonheur du lien et la satisfaction du travail accompli.

Une position TARMED inadaptée ou un décompte d’in absencia dépassé (n’oubliez pas la case « nécessite plus de soins ») pourrait-elle vraiment empêcher cette finalité ? Ou toute cette discussion sur le tarif ne serait-elle pas plutôt l’expression de notre difficulté, parfois, à nous engager dans une relation sincère et exigeante ?

Des paroles aux actes 

Cessons de rêver en panoramique, nous ne sommes pas au cinéma ! Nous avons besoin, comme chaque personne active de ce pays, de reconnaissance. Celle de notre patientèle nous comble souvent, c’est un de nos moteurs. Et cependant nous nous sentons déstabilisé-es, remplaçables à moindre coût. Souvent mentionné-es, reconnu-es dans notre rôle, avec des métaphores plus ou moins réussies : le pilier, le pivot, le socle, mais de quelle statue ? Le temps de la reconnaissance gratuite est passé, nous ne voulons plus d’amour, mais des preuves d’amour.

Nous en avons assez d’entendre que les médecins sont chers, alors que c’est notre service à la population qui devrait être chéri. Une reconnaissance qui passe par un tarif adapté, comme pourrait l’être TARDOC avec la révolution du remboursement de l’activité clinique de nos coordinatrices en médecine ambulatoire (dépêchez-vous de proposer la formation à Cully pour le brevet fédéral à vos assistantes médicales, voir aussi pp.8-9) et la suppression des limitations pour les activités de soins palliatifs. Comme si nous pouvions enfin pleinement révéler notre humanité seulement devant la mort.

*Lire « L’émotion n’est plus là » en français. Réf. à la chanson de blues de 1951 popularisée par Chet Baker.

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