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Témoignage de jeune médecin hospitalière

Repenser l’offre de formation postgrade pour un équilibre plus sain

Dans le milieu hospitalier, la pression exercée sur le personnel médical est souvent très intense, en particulier sur les jeunes médecins. Sur la base de mon parcours, j’identifie trois principaux facteurs intimement liés qui influencent la qualité des conditions de pratique : la charge de travail, le management et, plus fondamentalement, l’offre de formation postgrade.

iStock - DragonImages

Tessinoise d’origine, j’ai grandi en Lombardie avant de revenir en Suisse pour effectuer ma formation postgrade. Au CHUV depuis 2018, j’exerce en tant que cheffe de clinique en pédiatrie générale et surtout désormais en maladies infectieuses où j’entends me spécialiser plus particulièrement durant les deux prochaines années.

Une charge de travail parfois déraisonnable

Si je suis très satisfaite de mes conditions d’exercice actuelles en maladies infectieuses, j’ai en revanche dû faire face à des circonstances plus éprouvantes aux urgences pédiatriques et en pédiatrie générale. Un problème récurrent de sous-effectif induit une charge de travail très importante sur le personnel, à tous les niveaux, et par conséquent un épuisement collectif qui se ressent dans l’atmosphère de travail.

Malheureusement, il ne s’agit pas d’un cas isolé. Divers services souffrent des mêmes difficultés. Les médecins assistant-es et chef-fes de clinique doivent ainsi se rendre disponibles jusqu’à onze nuits par mois, trois week-ends sur quatre, avec des journées de quatorze heures sans pause et des semaines de travail sur sept jours consécutifs pouvant avoisiner les 70 à 85 heures.

Tant qu’on tient encore debout, on ressent un devoir moral d’aller travailler.

Cette forte pression débouche sur un nombre conséquent de burn-out et démissions, des défections difficiles à combler au vu du manque d’attractivité des services concernés. Plus d’une demi-douzaine de postes sont ainsi à repourvoir depuis plusieurs mois dans certains d’entre eux. Une solution à court terme en de pareilles circonstances est de recruter à l’étranger des médecins qui, attirés par l’image très qualitative du système de santé helvétique, s’avouent eux-mêmes rapidement désillusionnés une fois confrontés à de pareilles conditions.

Chef-fe de service, un rôle trop polyvalent ?

Un problème de sous-effectif n’est pas entièrement le fruit du hasard. Il peut être le reflet de certaines lacunes sous-jacentes au niveau du management, de la gestion des ressources et de la communication. Voire même de certaines ingérences : la hiérarchie peut parfois aller jusqu’à faire obstacle à la notation des heures supplémentaires, ou même exercer un frein à l’avancée des carrières, le manque de personnel devenant un prétexte d’opposition à certaines opportunités professionnelles. Les normes légales de protection des femmes enceintes (congé maternité, allaitement, etc.) ne sont par ailleurs pas systématiquement respectées. La culpabilisation des choix de parentalité est regrettable et découle sur des inégalités de traitement entre hommes et femmes.

Le chiffre

70
à 85 heures de travail sur 7 jours consécutifs effectuées par les médecins dans certains services

Il n’en demeure pas moins excessif de faire porter l’entièreté de la responsabilité aux chef-fes de service qui, dans la majorité des cas, s’efforcent de « faire tourner » leur service au mieux, en s’appuyant sur leur expérience et les moyens mis à leur disposition. Un rôle extrêmement polyvalent, réunissant une large palette de compétences qu’il est presque illusoire de retrouver dans un seul profil. Qui peut en effet se targuer d’être à la fois un-e excellent-e chercheur/euse, clinicien-ne, professeur-e et gestionnaire d’équipe ? Une piste serait de répartir les postes à responsabilité entre davantage de personnes ou de mieux cibler certaines qualités essentielles, en priorisant par exemple la capacité de gestion à l’expertise clinique que le cadre ne pourra de toute façon pas ou peu exploiter.

Remettre la formation au centre

Il est par ailleurs fondamental de remettre la formation au centre de la pratique des jeunes médecins. Ces derniers/ères peuvent aujourd’hui avoir l’impression de faire office de « bouche-trou », de servir avant tout à combler des lacunes dans les plannings. La formation proprement dite vient seulement après la prise en charge des patient-es, les tâches administratives (qui représentent à elles seules plus de la moitié du temps de travail) et autres impératifs. Ce sont en somme les besoins immédiats des services qui conditionnent l’offre de formation.

En plus d’être trop souvent livré-es à eux/elles-mêmes, nombre de jeunes médecins se retrouvent ensuite sur le carreau par manque de débouchés. Un service engageant une quinzaine de médecins assistant-es ne pourra en effet pas leur offrir à toutes et tous un poste fixe le cas échéant. Une approche à plus long terme apporterait un meilleur équilibre au sein de la profession et renforcerait considérablement la qualité de la formation de la relève.

A retenir

L’évolution de la société a un impact évident sur la mentalité de la nouvelle génération de médecins, qui recherche un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle. L’époque où le médecin consacrait son existence entière à ses patient-es est révolue. Tout comme la reconnaissance sociale dont il/elle bénéficiait alors en retour. Pour préserver l’attractivité de la médecine et la santé du corps médical, il est aujourd’hui nécessaire de repenser les conditions cadres à l’aune de ce changement de paradigme.

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2 Commentaires
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Tellement réaliste !
Merci !

Les conditions ne changent pas depuis des lustres malgré la semaine de 55 heures! J’étais assistant entre 1979 et 1985 et les semaines de plus de 90 heures avec des gardes de week-end qui commençaient à 7 heures le samedi matin jusqu’à 7 heures le lundi matin, heure à laquelle on recommence la nouvelle semaine!!! Hélas, cela continue et on se tait car on veut faire carrière et si on se plaint on a trop peur de ne pas pouvoir continuer et surtout pour ne pas passer pour un “faible”. De plus nos chefs nous répondaient qu’ils avaient aussi passé par là… donc pas de raison que cela s’arrête!!!
Courage les jeunes… je ne suis pas mécontent d’être à la retraite!