Dans nos sociétés dites développées, les médecins sont au cœur de systèmes de santé qui comptent parmi les créations humaines les plus complexes qui soient. Chacune de leurs composantes – politique, juridique, économique, médicale ou humaine – étant déjà un modèle de complexité en soit, il n’est pas étonnant que de nombreux médecins, victimes de ce que Bertrand Kiefer nomme « injonctions paradoxales », se sentent perdu-es dans le relief accidenté des éléments aux objectifs souvent contradictoires de ces systèmes.
Le conflit de valeur comme générateur de souffrance
Trop nombreux/ses sont les médecins qui, après avoir perdu leurs points de repère et leur cap au sein d’un environnement complexe, souffrent et se retrouvent victimes d’accidents de parcours. Blessé-es, ces médecins, tellement bien entraîné-es à prendre soin des autres, oublient alors souvent, par déni ou par nature, de prendre soin d’eux/elles-mêmes.
La souffrance des médecins soumis aux injonctions paradoxales des systèmes de santé est générée par une atteinte à haute consommation d’énergie personnelle : le conflit de valeur. Lorsque nous pouvons vivre en adéquation avec nos valeurs, nous sommes serein-es.
Au moment où notre parcours de vie n’est plus aligné avec nos valeurs, malaise et souffrances apparaissent.
Il est malheureusement possible de vivre plusieurs conflits de valeurs simultanés à différents niveaux : avec une ou plusieurs personnes ou encore avec les valeurs vécues ou affichées d’un cabinet, d’un hôpital ou même d’un système de santé.
Comment réagir ?
On peut extraire de la littérature médicale trois éléments protecteurs et nécessaires à la guérison en cas d’accident de parcours :
- La compréhension de soi et de son environnement
- La maîtrise de son itinéraire de vie
- La découverte du sens de ses actions
La prise de conscience et la confrontation de ses valeurs avec celles de son environnement apporte une information indispensable à la compréhension de soi et à l’établissement d’un parcours de vie aussi épanouissant que possible. La prise de conscience de ses valeurs est aussi la clé de la compréhension du sens de ses actions.
Bien avant les médecins, ce sont les philosophes qui se sont intéressés à la question du bonheur et de son lien avec le sens des actions humaines. Alors que l’activité « de prendre soin » semble naturellement pleine de sens, certains philosophes observent, en médecine et ailleurs, que le morcellement procédural de l’activité humaine, favorisé par la technisation de nos sociétés, engendre l’oubli de l’objectif final pour lequel un processus est né. Ce mécanisme est, pour certain-es, responsable de la perte de sens – voire parfois même de la genèse de non-sens – de nos vies actuelles.
Retrouver du sens
Le/la médecin qui n’a plus l’impression de soigner un patient mais d’être devenu le bête rouage d’un processus visant à opérer tant de hernies par semaine, de voir tant de patient-es à l’heure ou de devoir vider les urgences illustre ces réflexions. Un calcul qui ne revêt plus de sens à ses yeux.En revanche, opérer quelqu’un d’une hernie pour le soulager de ses douleurs et lui éviter une incarcération intestinale a du sens. Prendre soin de patient-es admis-es en urgence afin de soulager leurs souffrances fait sens. Même travailler pour gagner de l’argent afin de pouvoir nourrir sa famille fait pleinement sens. Car comme l’exprime la philosophe Julia de Funès : peu importe la futilité de la finalité, l’essentiel est de toujours pouvoir répondre à la question du pourquoi.
Cela vous semble-t-il encore trop théorique ? Si tel est le cas, nous vous proposons de (re)voir le film Burning out de Jérôme Le Maire. Vous (ré)entendrez alors une médecin témoigner de son profond désarroi en prononçant la phrase diagnostique suivante : « Je suis intimement fière du métier que je fais, mais mon travail n’a plus de sens. »
La compréhension de soi et de son environnement chargé d’injonctions paradoxales, la maîtrise de son itinéraire et la (re)découverte du sens de ses actions en lien avec l’identification de ses valeurs-clés sont à la fois les pièces de protection nécessaires à la réussite de son voyage de vie, les éléments diagnostics à évaluer en cas de souffrance et, le cas échéant, les étapes indispensables à la guérison en cas d’accident de parcours.
