Entretien avec Nicolas Pétremand, directeur de Réformer
« Réformer vise à apporter une vision d’ensemble des besoins »
2022 a marqué le début de la phase opérationnelle de Réformer, la réorganisation de la formation médicale post-graduée en Suisse romande. Où en sommes-nous ? Quels en sont les enjeux et les conséquences sur la formation actuelle ? Quelles actrices et acteurs sont impliqué-es? Nicolas Pétremand, directeur de Réformer, nous a accordé un entretien.
Propos recueillis par la rédaction
DR
Pourriez-vous nous décrire la genèse, le contexte et les enjeux principaux autour de la réorganisation de la formation médicale post-graduée en Suisse romande ?
Le constat de départ est que les médecins disponibles par spécialité et par région ne concordent pas avec les besoins de la population et du système de santé, essentiellement les hôpitaux, ce qui crée des tensions dans le système de santé. La surcharge des urgences et l’absence de médecins de famille dans certaines régions en sont une illustration actuelle. Par ailleurs, nous manquons cruellement de chiffres précis sur la démographie médicale et davantage encore sur les besoins futurs, le parcours des médecins en formation post-graduée ainsi que les projets des médecins en formation.
Dès lors est apparue la volonté politique d’améliorer l’adéquation de la formation médicale postgraduée avec les besoins actuels et futurs de la population en assurant une meilleure coordination entre les parties prenantes et en apportant de la transparence et de l’équité dans le système de formation postgraduée des médecins en Suisse romande.
La formation des médecins constitue indéniablement un domaine de responsabilité de l’Etat, en étroite collaboration bien sûr avec les partenaires que sont les sociétés cantonales et nationales de médecine, les sociétés de discipline, les établissements de formation, les universités, les hôpitaux, les médecins en formation et les autres acteurs institutionnels. Cette légitimité politique apparaît à différents niveaux : dans le financement par l’Etat de la (très) longue formation pour l’obtention d’un titre de spécialiste (environ 12 à 15 ans de formation pour un montant estimé à près de 600’000 francs) ; dans le versement de prestations d’intérêt général pour les médecins en formation dans les hôpitaux reconnus ; et dans le financement social via la LAMal de la grande majorité des prestations desdits médecins. Last but not least, l’Etat est responsable de la couverture des besoins de santé de la population et organise à cet effet l’offre de soins afin de garantir des prestations universelles et adaptées à ces besoins.
Quelles sont les étapes principales passées, actuelles et à venir de Réformer ?
Des études de faisabilité puis préliminaires ont été menées dès 2015 sous la supervision du Prof. Pierre-André Michaud, qui a été vice-doyen de l’enseignement de la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne pendant sept ans. Sur ces bases, un concept a été élaboré entre 2018 et 2021 par l’équipe du Département de médecine de famille de Lausanne, en intégrant les principales parties prenantes que sont les établissements de formation représentés par les chefs de service, les universités, les médecins en formation, les cantons et les partenaires institutionnels. La phase opérationnelle se met en place depuis 2022 avec la préparation de certaines filières et le développement d’un outil informatique basé sur les besoins des utilisatrices et utilisateurs.
La réorganisation de la formation postgraduée de médecine en Suisse romande est un système complexe à construire et à faire vivre avec une mise en commun des données, des expertises de chaque partenaire pour déterminer le besoin en amont et éviter une régulation arbitraire au moment de l’installation sous sa propre responsabilité (art. 55a, LAMal ou clause du besoin).
L’enjeu principal est maintenant de fédérer les différentes parties autour d’objectifs partagés en mettant un accent sur les aspects concrets. La prochaine étape institutionnelle est la constitution d’une Association intercantonale, qui confirmera le soutien politique fort et donc la crédibilité et la pérennité de Réformer.
Quel est l’organigramme qui a été mis en place pour mener ce projet ?
Tout au long du développement du projet, un Comité stratégique chapeaute les travaux. Les chefs de service de santé publique, deux directeurs médicaux (un pour les établissements universitaires et un autre pour les établissement non universitaires) ainsi qu’un représentant des médecins en formation le constitue afin de permettre une construction avec de représentants des principaux partenaires.
Une fois l’association créée, la responsabilité ultime incombera à l’Assemblé générale de l’association qui délèguera les compétences organisationnelles à un comité directeur. Ce dernier supervisera le travail de la Direction opérationnelle qui collaborera étroitement avec un bureau de coordination qui regroupe tous les coordinateurs des filières. Chaque spécialité ISFM se constituent autour d’un bureau intégrant les établissements formateurs au travers des coordinatrices et coordinateurs. Ces filières de formation (une par spécialité ISFM) seront amenées à tisser des liens étroits avec les établissements de l’ensemble du territoire afin de favoriser les parcours de formation par-delà les frontières linguistiques, idéalement sur l’ensemble du territoire du pays.
Un comité consultatif émet des avis sur les propositions de directives proposées par le Comité de direction à l’Assemblée générale. Réformer est donc porté politiquement avec une vision globale, mais demeure un outil basé sur les besoins de terrain de chacun des partenaires.
De quelle manière les médecins ou représentants de médecins sont-ils intégrés dans ce processus ?
Une représentation des médecins en formation est intégrée au Comité stratégique. Un travail dans les cantons se fait avec les associations de médecins en formation. Le même travail est effectué dans les établissements de formation, notamment les hôpitaux et les cabinets reconnus. En parallèle, un outil informatique (registre) a été élaboré avec une forte implication des médecins en formation et des futures coordinatrices et coordinateurs de filières, mais aussi des établissements formateurs. Cela dit, un important travail d’information et de conviction doit encore être réalisé avec les partenaires nationaux (ISFM, FMH et sociétés de discipline notamment) et cantonaux (Universités et sociétés cantonales de médecins). La légitimité politique ainsi que la crédibilité de Réformer sont nécessaires pour mener à bien ce travail qui s’est renforcé dès janvier 2023.
Quelles sont les bases statistiques pour évaluer les besoins actuels et futurs de chaque spécialité/filière ?
Les données objectives manquent actuellement. Il existe certes quelques références internationales peu solides qui définissent la densité de médecins, souvent sans aller dans le détail des spécialités et qui ne prennent pas en compte le maillage hospitalier/ambulatoire particulier en Suisse, le travail à temps partiel et d’autres critères essentiels pour évaluer les besoins futurs.
Réformer vise notamment à collecter toutes ces données afin d’obtenir une meilleure image de la démographie médicale actuelle, avec des projections sur les carrières et les remplacements, sur l’importation des médecins de l’étranger, et sur les besoins futurs pour faire fonctionner le système hospitalier d’une part et répondre aux besoins de l’ambulatoire d’autre part. L’objectif est de se baser sur les données/réalités du terrain, c’est-à-dire les souhaits et projets des médecins en formation, les besoins des établissements de formation, et l’expertise des sociétés médicales et de discipline.
Réformer va apporter une vision d’ensemble des besoins par discipline et permettre une orientation et un accompagnement individuel des médecins en formation. Nous savons déjà que les besoins actuels et futurs sont surtout critiques dans la médecine de ville et la médecine de famille qui doivent permettre de désengorger les urgences des services hospitaliers. Cela dit, pour atteindre ces objectifs le système est encore à construire et à faire vivre ensemble.
Cette réforme peut-elle être comparée au numerus apertus français ?
La comparaison ne me semble pas pertinente. Le système proposé par Réformer reste libéral dans son esprit, mais introduit un système d’information coordonné, un accompagnement et des lieux d’échanges entre les différents partenaires et spécialités permettant de repenser et d’adapter le volume des médecins à former. L’intégration des parties prenantes à la formation post-graduée des médecins dans le processus est l’une des volontés de Réformer, ce qui prend du temps à mettre en place mais qui garantit sans doute une stabilité dans le temps. Un effort supplémentaire doit être mis sur cette dimension participative et inclusive. En effet, les organisations et les incitations actuelles du système ne vont pas dans cette direction commune de santé publique et les pressions mises sur les partenaires expliquent sans doute, du moins partiellement, ce manque de vision globale.
« Le système est encore à construire et à faire vivre ensemble »
Quelles seront les conséquences de cette réorganisation sur les médecins actuellement en formation post-graduée ?
Ils pourront bénéficier des prestations de Réformer, mais seulement sur une partie de leur formation. La situation n’est pas idéale pour ces médecins qui subissent la mise en place de la clause du besoin sans accompagnement. Réformer s’engage néanmoins à tout mettre en œuvre pour les conseiller et les accompagner dans la fin de leur parcours postgrade en lien avec leurs souhaits. Les médecins en formation bénéficient aussi d’un système de coaching personnalisé par un-e coordinateur/trice senior dans la discipline choisie. Les utilisatrices et utilisateurs principaux de Réformer auront ainsi la certitude de trouver en fin de parcours un emploi adapté à leur formation et à leur projet en termes de spécialité et de domaine d’activité : Cabinet, Hospitalier, Académique et Transition (CHAT). Les hôpitaux trouveront aussi plus aisément des médecins, mais devront fonctionner avec un nombre réduit de médecins en formation dans certains services, entraînant une modification de l’organisation interne des services qui devrait déboucher sur une qualité des soins et de la formation encore augmentée.
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