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Cabinet de médecine de famille

Diminuer l’empreinte carbone des cabinets médicaux

Les conclusions des rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dont le dernier est sorti il y a quelques semaines, sont très claires : le dérèglement climatique est causé par les activités humaines, et les émissions de gaz à effet de serre (GES) doivent être, dès à présent, drastiquement réduites pour atteindre le zéro net d’ici 2050. Ceci sous peine de créer une planète étuve mettant en danger l’ensemble de la vie sur terre.

Dans le monde médical, l’éditeur en chef du Lancet, Dr Richard Horton, déclare qu’il s’agit d’une « question de vie ou de mort pour l’espèce humaine ». Au niveau suisse, notre système de santé à lui seul émet environ 1 tonne de CO2 par habitant-e. Ceci est bien au-delà de la limite des 600 kg CO2 que chaque citoyen-ne suisse serait tenu de ne pas dépasser, selon le Conseil fédéral, pour l’ensemble de ses activités en vue d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris.

Les études qui se sont intéressées à l’impact carbone global des systèmes de santé montrent que la chaîne d’approvisionnement (production, distribution, utilisation et élimination) en services et en biens totalise généralement plus de la moitié (62 à 71%) des émissions de GES, dont une part importante est due aux médicaments (hors gaz médicaux). Les activités cliniques viennent en deuxième position (17-24%), suivies du transport du personnel (grandes variations selon les études liées à ce qui est pris en compte en matière de transport, incluant ou non ceux des patient-es). Les soins de premier recours sont quant à eux responsables d’un quart des émissions du système de santé ; mais là aussi, cela dépend fortement de qui est pris en compte, notamment en ce qui concerne les médicaments.

Dans ce contexte, le Département de médecine de famille d’Unisanté mène le programme Ecoconception qui vise à réduire les émissions de GES dues aux activités des cabinets médicaux en Suisse. Une première étude, utilisant la méthodologie d’analyse du cycle de vie ou écobilan qui tient compte de l’ensemble des émissions de GES dues directement ou indirectement aux activités d’un cabinet (production, utilisation, élimination des biens et des matériaux), a été récemment publiée. Elle a permis de chiffrer précisément ces émissions et de poser les premières recommandations. Dans l’ensemble, un cabinet médical type produit 30,5 tonnes de CO2eq (équivalent CO2) par année, correspondant à une moyenne de 4,8 kg de CO2eq par consultation. Plus de 80% des émissions ne sont pas en lien direct avec des activités médicales.

Les résultats de l’étude ont été présentés à un groupe d’une vingtaine de médecins internistes-généralistes installé-es en les questionnant sur les meilleures manières, selon elles/eux, de diminuer leurs émissions de GES puis d’en tirer des recommandations, dont des exemples vous sont présentés ici.

Optimisation de l’espace

La part des émissions liées aux bâtiments est majeure. En ce sens, l’optimisation de l’espace de travail constitue le levier d’action le plus important. Par exemple, le redimensionnement de la surface du cabinet à 60 m2 (contre 103 m2 en moyenne) par médecin à plein temps mérite d’être envisagé au moment de la conception de la structure, ou du moins a posteriori, en réfléchissant à la densification de l’utilisation des locaux (voir tableau).

Co-bénéfice de la mobilité et d’une alimentation saine

La mobilité des patient-es (10 CO2eq tonnes/cabinet/an) et des professionnel- les (3.8 CO2eq tonnes/cabinet/an) d’un cabinet constitue la première cause d’émission carbone. Repenser cet aspect est donc capital, en l’adaptant à chaque situation : aide à l’achat d’un abonnement de transport public ou d’un vélo pour le personnel, renoncement à sa voiture, encouragement au co-voiturage, installation proche d’un arrêt de transport public ou diminution du nombre de places de parc prévues pour le personnel.

Du côté des patient-es, les inciter à moins utiliser leur voiture ne va a priori pas de soi. En effet, les personnes consultant leur médecin ne sont-elles pas en mauvaise santé, âgées, se déplaçant difficilement ou habitant parfois loin ? Dans la mesure, toutefois, où la sédentarité est une cause de surpoids et donc de maladies cardio-vasculaires, aborder les questions de mobilité durant la consultation pour encourager les patient-es à privilégier une mobilité plus active peut être bénéfique, tant pour leur santé que pour celle de la planète (voir tableau). Dans la même logique, une alimentation saine et durable présente des co-bénéfices pour les patient-es et la préservation de l’environnement.

Agir pour les patient-es tout en préservant l’environnement

A l’image de la prise de conscience des liens entre tabagisme et santé il y a 50 ans, les médecins sont confronté-es aujourd’hui à des données scientifiques probantes démontrant les liens entre les dégradations environnementales et la santé de leurs patient-es. Cela va nécessairement avoir un impact important sur les pratiques médicales, non seulement afin de s’adapter à de nouvelles pathologies, mais aussi afin de contribuer à préserver un environnement sain selon le principe primum non nocere.

L’étude Eco-conception montre que les cabinets médicaux peuvent réduire de façon importante leurs émissions de GES, essentiellement en agissant sur des aspects non-médicaux (mobilité et infrastructures), n’impliquant que peu de changements pour la pratique médicale. Ces changements présentent des bénéfices à double titre pour la santé des patient-es et celle de la planète.

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