Publicité

Témoignages

Quand la bureaucratie alimente la pénurie

Le durcissement des conditions d’autorisation de pratique inquiète au sein de la corporation. Cinq médecins installés témoignent des difficultés déjà rencontrées dans le cadre de leur activité. Cinq situations différentes, mais une même conclusion: sans une revalorisation de la médecine libérale, l’accessibilité, la qualité et la continuité des soins ne pourront bientôt plus être garanties dans diverses spécialités au sein du canton.

Cherchons jeunes psychiatres motivés

Les agendas sont pleins. Les appels téléphoniques buttent sur nos répondeurs qui répètent en boucle l’absence de disponibilités. Les collègues de premier recours ne trouvent plus de place pour leurs patients dans nos cabinets. Lorsque nous adressons quelqu’un à une consultation spécialisée, l’attente peut atteindre plus de six mois. Les séquelles psychiques de la pandémie sont palpables. Nous avons chaque année plus de gardes cantonales par psychiatre, car nous sommes de moins en moins nombreux à les partager. Les exigences de formation et de démarche qualité augmentent ; on nous demande toujours plus de rendre des comptes sur ce que nous avons fait, pendant combien de temps, et à quelle fréquence. Ces activités chronophages empiètent sur le temps de consultation, et pendant ce temps, de manière kafkaïenne, le téléphone continue de sonner, et la valeur du point Tarmed chute sur nos revenus qui sont les moins élevés parmi les spécialités médicales.

Dre Céline Rondi, spécialiste FMH en psychiatrie & psychothérapie

Pas de repreneur pour mon cabinet

J’ai fermé mon cabinet de médecine générale le 30 août 2019 après 40 ans de pratique à Oron-la-Ville, sans avoir trouvé de successeur.

Auparavant, pendant trois ans, j’ai appelé des collègues qui prenaient des stagiaires, des professeurs formateurs de médecins généralistes, mis des annonces puis me suis adressé à un bureau de placement de médecins. Les quelques profils proposés n’avaient pas une formation générale suffisante.

Mon cabinet était conçu pour un médecin et son assistante-laborantine diplômée. Je crois savoir et comprendre que les jeunes médecins préfèrent désormais s’installer à trois ou quatre pour travailler à moins de 120%, partager les frais de secrétariat et de laboratoire, mais aussi discuter et échanger sur les diagnostics difficiles. Dans mes locaux, il n’y avait pas suffisamment de place pour une équipe médicale. Cela explique sans doute aussi la non-remise de mon cabinet situé à 15 km de Lausanne !

Mes dernières consultations ont par ailleurs été mises en mémoire dans le film « Les guérisseurs » de ma fille Marie-Eve Hildbrand.

Le matériel du cabinet a été offert à une policlinique en construction à Madagascar. Depuis, les locaux d’Oron-la-Ville ont été loués par une psychiatre et une psychologue. On continue donc tout de même à y donner des soins.

Dr Francis Hildbrand, médecin généraliste retraité

Une pénurie qui impacte l’accès aux soins

En 2015, nous étions cinq dermatologues dans la région d’Yverdon. Suite à trois cessations d’activité, nous ne sommes plus que deux pour le même secteur…

Dès 2018, j’ai cherché activement un-e collègue pour me rejoindre : lettres individuelles à chaque chef-fe de clinique et assistant-e du CHUV, des HUG et d’Inselspital, petites annonces dans le bulletin jaune, sur le site de la FMH, et de la SVM. J’ai renouvelé annuellement ces démarches, sans succès ! Les jeunes préfèrent s’établir près des grandes agglomérations où ils et elles ont été formé-es. Je comprends qu’il faille privilégier l’installation de médecins bien formés. Cependant, les autorités ne peuvent même pas nous garantir qu’un médecin exerçant en libéral depuis plusieurs années dans un autre canton puisse bénéficier d’une autorisation vaudoise s’il n’a pas fait trois ans dans un hôpital suisse !

Je déplore bien sûr notre charge de travail, mais plus encore que cette pénurie locale retentisse négativement sur l’accès aux soins de notre population…

Dre Josette Stokkermans, spécialiste FMH en dermatologie

Vague de départ à la retraite des rhumatologues : comment maintenir la qualité des soins ?

Les patients atteints de maladies rhumatologiques inflammatoires ont vu leur qualité de vie, leur capacité professionnelle et leur pronostic transformés par un accès rapide à des traitements ciblés : les biothérapies. Ils et elles doivent aujourd’hui s’inquiéter : plus d’un tiers des rhumatologues vaudois-es part à la retraite, celles et ceux qui voudraient s’installer vont être bloqués ! Or seul-es les rhumatologues peuvent prescrire ces traitements ! Le GRRV (groupement des rhumatologues et réadaptateurs vaudois) est très inquiet par ce manque annoncé. Les délais d’attente vont s’accroître pour traiter les patients, la charge de travail des rhumatologues y compris dans les services hospitaliers va augmenter significativement. Dès lors, il est indispensable que de nouvelles et nouveaux collègues y compris de l’étranger, puissent s’installer en cabinet sans entraves administratives.

Dr Marc-André Schürch, rhumatologue, président du Groupement des rhumatologues et rééducateurs vaudois

 

Un congé maternité qui ne s’improvise pas

Pour mon congé maternité, trouver un-e remplaçant-e fiable, capable d’assurer le suivi des patient-es de la pédiatrie à la gériatrie, et de surcroît disponible pour assurer la garde régionale du Pays-d’EnHaut, a été un sacré défi ! Faute de trouver un-e candidat-e suisse, j’ai opté pour une médecin française, au profil médical parfait… mais ne remplissant pas les critères administratifs des trois ans de formation accomplis au sein d’un établissement suisse reconnu dans la discipline correspondante. Mon dossier était complet en décembre, et l’autorisation ne m’a été délivrée qu’in extremis, deux jours APRES le début de mon arrêt, en mai 2022.

La délivrance d’une autorisation de remplacement à durée déterminée (vacances, maladie, congé maternité), n’ouvre pas la voie à une autorisation de pratiquer définitive. Or la présence d’un-e remplaçant-e permet d’assurer un suivi adéquat des patient-es et un moindre coût (suivi des maladies chroniques, éviter les consultations aux urgences). Où donc est la volonté du canton d’assurer une continuité des soins pour la population et de soutenir ad minima le corps médical en ce sens  (d’autant plus dans ma région) ?

Dre Marie Marcoux, médecin de famille à Château-d’Œx

Partagez votre opinion sur cet article !

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires