Article de M. Félicien Monnier au sujet des coûts de la santé et de la médecine générale

24.10.23 | Proposé par: Roland Burren

Bonjour,

Je voulais partager un article intéressant écrit par M. Félicien Monnier et paru dans  le journal “La Nation”.  Il m’a semblé nuancé, intéressant, et aboutissant à une conclusion qui semble évidente autour de la valorisation de la médecine générale.

Roland Burren

Voici l’article intitulé: “La hausse des primes”

L’annonce d’une nouvelle et importante augmentation des primes d’assurance-maladie a provoqué, élections fédérales aidant, de multiples prises de position.

Le PS a rappelé qu’il avait lancé une initiative pour plafonner les primes à 10% du revenu et milite pour l’instauration d’une caisse fédérale unique. Il accuse la pharma de tirer des bénéfices colossaux de ses produits, et de nombreux parlementaires d’être vendus aux lobbies. Les Verts, en substance, adoptent le même point de vue.

Le Centre a à son tour lancé une initiative pour instaurer un mécanisme de « frein aux coûts ». Il dénonce les prestataires (médecins, hôpitaux, etc.) comme les principaux responsables de l’augmentation des coûts. A l’en suivre, un système de santé plus efficient économiserait 6 milliards par an sans diminuer la qualité des soins.

Le PLR prétend instaurer un système d’assurance-maladie « Budget » et offrir aux Suisses la possibilité de payer moins s’ils le souhaitent. Cela passerait par un assouplissement négocié de l’offre de prestations (exclusion des médecines complémentaires du catalogue, renonciation au libre choix du médecin, franchises déterminées au cas par cas).

L’UDC dénonce l’étatisation de la santé comme responsable de la hausse des coûts. La concurrence doit être stimulée, et le catalogue des prestations réduit. Les soins aux requérants d’asile et admis à titre provisoire devraient dépendre des seuls budgets étatiques, afin d’éviter qu’ils ne pèsent sur les primes.

On dénombre également quelques propositions plus isolées. La conseillère d’Etat zurichoise Nathalie Rickli a posé au mois d’août la question de la suppression de l’assurance obligatoire. Le conseiller national glaronnais Martin Landolt, président de Santé Suisse, a plaidé pour la centralisation à Berne des compétences, aujourd’hui cantonales, de planification hospitalière. Très récemment, Simone de Montmollin (GE), Alexandre Berthoud (VD), Damien Cottier (NE), Philippe Nantermod (VS) et Jacques Bourgeois (FR) ont déposé ensemble un postulat pour la création d’une « région de santé romande »[1]. Elle impliquerait une planification hospitalière et ambulatoire intercantonale et la création d’une seule entité universitaire répartie sur plusieurs sites (voir encadré).

Les extraordinaires progrès de la médecine prolongent sans cesse l’espérance de vie. Or les dernières années de vie constituent une majorité très nette des coûts de la santé. Le vieillissement de la génération du baby boom aggravera encore cette proportion. Nous devrions donc continuer de vivre cette absurdité qui voit un tiers des Vaudois, dont de très nombreux jeunes, être subventionnés pour qu’ils financent les coûts des anciens. Concentrer l’aide publique sur les plus âgés rendrait plus lisibles les coûts réels de la santé. Au-delà de cette mesure localisée, il est difficile de ne pas considérer que le système semble en réalité condamné à l’implosion.

La Ligue vaudoise ne connaît pas la réponse à apporter concrètement au problème de la hausse des coûts. Elle constate en revanche qu’il se pose sur deux plans différents. Un premier est technique. La majorité des propositions décrites plus haut s’y inscrivent. Son approche reprend les présupposés généraux du système et ne propose guère que des mesures d’aménagement. Il y a ensuite un plan de réflexion plus large, anthropologique.

L’ambition humaine de repousser la mort est ambivalente. On ne peut qu’admirer le haut degré d’intelligence, de persévérance et de curiosité qui meut la recherche médicale depuis des siècles, elle-même propulsée par l’élan vital et l’amour des siens. En parallèle, on doit dénoncer les tentations démiurgiques et les faux espoirs que suscitent ceux qui prétendent faire disparaître la souffrance et la mort.

Dans L’Idolâtrie de la vie[2], Olivier Rey a montré combien cette panique devant la mort nous a rendus dépendants comme des drogués du « système de santé ». Nous avons fini par ériger l’Hôpital et l’Etat qui le finance en les réceptacles de nos espoirs de survie.

Nous en avons fait, du même coup, les destinataires de nos revendications individuelles. L’extension continue du catalogue des prestations témoigne de cette dérive. Elle fait se confondre qualité des soins et acceptation presque universelle des conceptions individuelles de la santé. Ces dernières correspondent généralement à autant de modes de vie ou d’habitudes sociales. La présence des médecines complémentaires dans le catalogue de base en est archétypale.

Cette extension du catalogue s’accompagne également d’un élargissement de la notion de santé elle-même, en particulier lorsque les campagnes de prévention de l’OFSP se transforment en opérations d’ingénierie sociale. Là encore, la question est délicate : à partir de quand la prévention devient-elle intrusion dans la sphère morale et familiale ? Un niveau trop faible de connaissances médicales dans la population pèse sur les coûts de la santé, notamment en saturant les services d’urgences. Les populations défavorisées sont particulièrement concernées. La transmission d’un ensemble de références et de connaissances médicales de base partagées au sein de la population permet aussi de responsabiliser le citoyen.

La médecine dite de « premier recours » – celle que dispensent les médecins généralistes – est aussi celle de « dernier recours ». Le médecin de famille conserve la vue d’ensemble et connaît généralement l’environnement social de ses patients. Il fonctionne comme un senseur : il anticipe les crises psychologiques, suspecte les maladies graves. Le patient qui désespère de se voir baladé de spécialiste en spécialiste finit par se retourner vers son généraliste. Lorsqu’un décès survient, le praticien continue souvent d’accompagner les autres membres de la famille. Il développe à la longue avec ses patients un lien personnel presque sensible.

Dans l’obligatoire future réforme du financement de la santé, la figure du généraliste devra servir de référence de principe. Cela impliquera sa revalorisation financière, mais surtout morale et ce dès la première année de médecine.

La vraie réponse à la hausse des coûts ne nous paraît pas se trouver dans la course à la planification hospitalière, au contrôle du système, à sa centralisation et à sa prétendue rationalisation. Au contraire, le temps est venu de se demander si les formulaires, les franchises à calculer, les appels téléphoniques intempestifs, la difficulté d’obtenir un rendez-vous, le sentiment général de dépossession devant un monstre tentaculaire ne sont pas, en eux-mêmes, aussi responsables de la mauvaise santé des Vaudois et des Suisses.

Félicien Monnier

[1] Postulat Simone de Montmollin, 23.4275 « Pour une région de santé romande », du 29 septembre 2023.

[2]Olivier Rey, « L’idolâtrie de la vie », in Tracts Gallimard N°15, juin 2020, p.46.