Être médecin généraliste en EMS de psychogériatrie à l’heure du COVID-19

23.04.20 | Proposé par: Dr Pierre Corbaz

L’éthique, dans notre métier, entre en lice lorsque le soignant est mal à son aise, troublé, paralysé par les doubles contraintes. Il me faut tout à la fois faire et ne pas faire une chose et son contraire quand les règles communes de la morale et de la science peinent à m’aider.

En EMS de psychogériatrie, à l’heure du COVID-19, les recettes éprouvées du soin s’embrouillent. Je dois, et ne dois pas, frotter les nasopharynx, radiographier, jouer du scanner, hospitaliser quand tout cela ne va pas de soi, se fait peut-être futile, cher payé en souffrances, en angoisse, en facture d’ambulance. Alors la clinique reprend ses droits ; l’auscultation, la main qui palpe, le regard sur la muqueuse déshydratée passent au premier plan avec leur pleine musette d’insécurité, de doutes et d’insomnies. Et j’accepte, au bout de mon stéthoscope, la perte de mon innocence, l’erreur toujours possible, probable, à la place que j’ai choisi d’occuper dans cette drôle de vie de généraliste où la bonne solution n’existe plus.

Pas de recette miracle

Le mantra de ce que l’on a trop souvent appelé « éthique biomédicale » ne m’aide guère. Son Betty Bossi trébuche tout autant que les recettes de nos textbooks. L’autonomie n’est pas de mise pour qui se perd dans les brumes de la démence et son représentant thérapeutique n’en peut plus d’hésitations. Ce principe d’autonomie, si prôné par une pensée sociétale qui projette ses fantasmes de jeunesse et de liberté dans un vieux monde reclus, comporte un risque majeur de démission du soignant et l’encouragement à signer des directives anticipées pourrait s’apparenter, si l’on n’y prend garde, à une demande normative de ne pas encombrer, l’âge venu, les soins intensifs.

Et voilà que je prône un certain paternalisme qui me demande de donner au patient le mieux qu’il est possible en fonction du bien que je projette dans son existence. Cette attitude de bienfaisance se veut défense de la personne unique dans un monde où le politique porte avec sagesse les décisions générales dans un cadre de justice.

Être médecin en EMS, c’est…

Ainsi, être médecin dans un EMS de psychogériatrie, c’est soutenir les familles, ces ambassadeurs du patient, les écouter sans m’illusionner sur l’étendue de leur libre arbitre et ne pas craindre de leur faire part de mes incertitudes, de ma volonté bonne, des limites de mes compétences. Parler vrai, c’est se tenir droit dans un monde qui oscille.

Être médecin en EMS, c’est encore être auprès des équipes d’artisans du soin, les accompagner jusque dans leurs limites et leurs peurs, supporter sans colère et avec eux que le matériel est insuffisant, que les recommandations pour la durée de vie du masque varient avec l’épaisseur de ses stocks. C’est admettre que la morphine remplace parfois l’oxygène quand celui-ci vient à manquer, ne pas s’en cacher et l’assumer.

Être médecin dans un EMS de psychogériatrie, c’est collaborer avec l’équipe de direction et ses consœurs, ses confrères, collégialement dans le respect de nos propres faiblesses, des divergences, des priorités de chacun, chacun dans son monde de devoirs et de responsabilités.

J’ai affiché, aux bureaux des soignants, une phrase de Che Guevara : « Hasta la victoria siempre », parce que tenir, même lorsque tout tremble et oscille, se fait vertu en EMS de psychogériatrie à l’heure du COVID-19.

Et je relis dans ma mémoire l’affirmation du Dr Rieux, notre confrère imaginaire de « La peste » sous la plume de Camus: « C’est une idée qui peut faire rire, mais la seule façon de lutter contre la peste, c’est l’honnêteté. Je ne sais pas ce qu’elle est en général. Mais dans mon cas, je sais qu’elle consiste à faire mon métier. »

Dr Pierre Corbaz, médecin généraliste et docteur en philosophie

NB: cet article est également paru dans le Courrier du médecin vaudois (CMV) n° 2/2020

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