Garde médicale, quo vadis?

20.10.20 | Proposé par: Pierre-André Repond

Le sujet de la garde médicale est sensible et le non-médecin surtout non-gardien qui prétend s’en emparer doit se montrer prudent! Pourtant, c’est un mouvement qui est à l’œuvre de manière toujours plus visible depuis quelques années déjà. Non pas que d’autres professions se bousculent au portillon pour faire la garde: elle continue d’être faite par des médecins, mais désormais la contrainte légale a pris la place du devoir moral du médecin envers ses patients et de la solidarité envers ses confrères.

Du sacerdoce à l’obligation légale

Depuis des temps immémoriaux, des médecins ont assumé ce service exigeant comme étant partie intégrante de leur statut. Les médecins hospitaliers comme les médecins installés assumaient, sans qu’il soit besoin de les menacer de sanctions, cette lourde responsabilité à des degrés variables selon les contextes institutionnels et régionaux, allant parfois jusqu’au sacerdoce. Cela suscitait sans doute déjà en eux des sentiments ambivalents, mais faisait partie des servitudes du métier, voire de ses rites. Ce sont les premières réticences qui ont amené la profession à instaurer une réglementation de manière à garantir l’équité, mais aussi une meilleure répartition sur le territoire.

Comme le prévoit l’article 40 du code de déontologie, l’organisation des services d’urgence locaux et régionaux est du ressort des sociétés cantonales de médecine. A ce titre, la Société Vaudoise de Médecine (SVM) s’est fortement impliquée depuis des années dans cette matière ardue. Et ce sont le plus souvent ses présidents successifs qui ont présidé les commissions de la garde, preuve de l’importance accordée à ce thème. Notre association s’est également attelée à une réforme en profondeur des secteurs de garde, le tout sur une base consensuelle et démocratique dans laquelle les médecins qui font la garde décident eux-mêmes de la meilleure manière de l’effectuer. L’objectif était de réduire les disparités et de favoriser la relève dans les différentes spécialités et régions.

La SVM est allée encore plus loin dans sa volonté d’organiser la réponse à l’urgence en fondant et gérant la Centrale téléphonique des médecins de garde (CTMG), avant d’en céder le contrôle à une nouvelle fondation (Fondation Urgences Santé), placée sous la tutelle du canton.

La SVM a aussi fait campagne pour un numéro centralisé qui s’ajoutait et ne remplaçait pas les réponses régionales ou spécifiques. L’objectif était de répondre aux réserves qu’inspirait un numéro unique à ceux qui craignaient déjà son engorgement en cas de crise sanitaire, et cela il y a près de vingt ans.

Le premier règlement de la garde médicale de la SVM, daté du 29 novembre 2001, a été largement adopté, malgré certaines appréhensions dépassées par la discussion au sein des organes de la société.

Le législateur vaudois s’en est mêlé en introduisant plusieurs dispositions ayant pour but principal d’ancrer dans la loi l’obligation de garde, dont la formulation actuelle réside à l’article 91a de la loi sur la santé publique. En arrière-plan se posait la question de la taxe de non-garde, dont la perception exige une base légale formelle et non seulement une réglementation professionnelle. Le produit de cette hypothétique taxe a toujours suscité des convoitises. L’article 11 de la nouvelle convention concernant la garde médicale prévoit qu’il est géré paritairement par le Département de la santé et de l’action sociale (DSAS) et la SVM et affecté exclusivement à la garde médicale et à l’urgence.

Distinction entre garde de premier recours et de spécialité, garde de ville et garde hospitalière

Le législateur vaudois distingue la garde de premier recours au sens large de la garde de spécialité, pose le principe d’une délégation de l’organisation à l’association professionnelle et émet certaines règles (dispenses, taxe de compensation, rémunération, etc.). L’article 91b, quant à lui, régit les gardes médicales des hôpitaux et des cliniques, qui doivent également reposer sur une convention avec l’association professionnelle, qui ne peut être que la SVM.

La Confédération a, de son côté, introduit en parallèle l’article 40 de la loi sur les professions médicales, qui instaure l’obligation de «prêter assistance en cas d’urgence et [de] participer aux services d’urgence conformément aux dispositions cantonales».

Dès 2005, la SVM a passé avec le DSAS une convention sur l’organisation de la garde qui préfigurait la future convention de partenariat DSAS-SVM de 2010, laquelle en fait un axe majeur de collaboration.

Nouvelle convention DSAS-SVM 2019

La dénonciation de cette convention par le DSAS au profit d’une directive, finalement transformée à nouveau en convention prévoyant une gouvernance commune DSAS-SVM, ceci au prix d’âpres négociations, a marqué un virage majeur et exacerbé les tensions. Cette tentative a en outre été perçue par beaucoup de médecins comme le signe d’une méconnaissance et un manque de reconnaissance des efforts accomplis tant par les médecins sur le terrain que par leur société faîtière.

En tentant un coup de force sur la médecine en libre pratique sous forme de projet de directive, c’est une vision strictement publique et étatique de la médecine qui tentait de s’imposer au détriment d’une vision plus nuancée des équilibres entre médecine publique et privée, plus conforme aussi aux termes du partenariat DSAS-SVM. Seule une négociation déterminée des organes de la SVM a permis de préserver une solution conventionnelle et une gouvernance globale de la garde médicale sous l’égide commune DSAS-SVM. La suite a montré que cette coopération était indispensable pour créer les conditions d’une transition harmonieuse et d’une adhésion de la profession au nouveau modèle. Dans le nouveau cadre juridique encore hybride, la garde médicale est largement appréhendée comme un service public du fait de certaines affinités de la déontologie médicale avec ce concept.

Prendre le contrôle de la garde médicale, c’était en effet vouloir s’emparer du cœur de la médecine. Si la médecine elle-même a pu être traversée par des conceptions et des courants divergents au sujet de la garde et même du rôle du médecin, ceux-ci ont jusqu’ici toujours pu être arbitrés de manière démocratique, donc majoritaire, au sein même de la profession.

D’un point de vue organisationnel, la garde de spécialité au sens de la convention et de la loi reste cependant placée sous la responsabilité de la SVM et, ce qui va de soi, des groupements concernés. Ce numéro du CMV a précisément pour but de présenter quelques facettes de cette offre indispensable.

Pierre-André Repond, secrétaire général de la SVM

NB: Cet article a également été publié dans le CMV 5 – 2020 intitulé « Garde médicale spécialisée: Un réseau au service de la population, des médecins et des hôpitaux »

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