Gouvernance du système de santé : Deux visions s’opposent. Plutôt « Cuir ou Dentelle »?

04.03.24 | Proposé par: DR CHRISTIAN MATHEZ

Gouvernance du système de santé : Deux visions s’opposent. Plutôt « Cuir ou Dentelle »

L’analyse approfondie de la gouvernance du système de santé (et de soins) suisse est délivrée par des experts (politiquement engagés ?) qui proposent une identification (à géométrie variable) des lacunes et des incohérences existantes.

« Manuel de la régulation étatique »

Au travers d’axes justifiés (repenser, réarticuler, réajuster, revaloriser) se profile l’imparfait « manuel de la régulation étatique » : lecture intéressante d’un Etat certes social mais totipotent et seul responsable de la « sécurité sanitaire » qui « planifie » (en amont, en profondeur et en détails), « harmonise » ou « coordonne » (l’inconciliable, le vertical et l’horizontal), « régule » et « réglemente » (micro et macro), « surveille efficacement » (l’analyse objective doit reposer sur des données transparentes vérifiables), « sanctionne » (sans toujours contextualiser)… « finance et subventionne » (mode « open-bar ») sans assumer ses errances pour lesquelles il fera certainement appel soit aux fonds étatiques miraculeusement dégagés soit au légendaire « modèle suisse tout libéral » (tant décrié) dont la réactivé et la disponibilité des « acteurs-prestataires-clés » (partenaires privés) au travers de conventions ou d’un partenariat public-privé (PPP) colmatent souvent les brèches des déficiences de l’appareil étatique peu malléable et cloisonné.

Arrêtons de promettre des « économies indolores »

Débutez par une terminologie séductrice, puis une ode au développement du fédéralisme coopératif en organisant et en planifiant l’offre de soins avec « efficience et équité » pour vous séduire puis vous sédater. Rajoutez un « outil de modèle d’évaluation de la performance des systèmes de santé » (HSPA) et vous obtenez une « usine à gaz administrative » aux silos de compétences fragmentaires (celui qui « évalue les besoins » travaille sans chiffres vérifiables dans un silo différent que celui qui « calibre l’offre de soins » avec des ressources au recensement approximatif) où le bureaucrate crée de la bureaucratie en circuit fermé à l’inertie paralysante et imperméable à toute modification ou intervention d’instruments de coordinations horizontales et verticales pour des économies ou des rendements d’échelle incertains. « Interagir et coopérer » avant de coordonner dans des silos hermétiques pour augmenter la perfomance… le graal du management et la gouvernance… soyons réalistes et arrêtons de promettre des « économies indolores ».

Complexité des sociétés modernes

Rappelons à nos experts que le citoyen contribuable électeur atteint subitement dans sa santé aura rapidement un réflexe éloigné des préoccupations de la communauté des destins, du changement climatique et de la durabilité de la planète, de l’équité, de la solidarité : sa liberté individuelle viendra bousculer les concepts stratégiques. Les compétences d’orientation étatique et les prérogatives des cantons (posséder et subventionner des hôpitaux, planifier et mandater et financer des prestations hospitalières, approuver et fixer des tarifs puis réguler les fournisseurs de prestations) sont limitées par la complexité des sociétés modernes. La liberté de commercer et la responsabilité individuelle sont des valeurs toujours ancrées dans la constitution.

Format hydride de régulation étatique à géométrie variable

Restons vigilants face aux « mythes drapés d’authenticité à coups de sophismes » ; N’oublions pas un concept-clé : « c’est le terrain qui commande » ; mais il ne décide pas de tout. Hors de tout débat factuel, évitons la polarisation ou l’idéologisation. Ecoutons les faits plutôt que les prophéties destructrices. Faisons confiance à ceux qui sont au plus près de l’action avec leur intelligence de situation pour « organiser et cadencer la manœuvre » tout en conservant un format hydride de régulation étatique à géométrie variable saupoudré d’équilibrismes et de compromis des dossiers relatifs à la politique de santé. Prendre le pouls du terrain et de ses acteurs avant de trancher le nœud gordien depuis une tour d’ivoire hors-sol évite les faillites sanitaires douloureuses.

Injonctions paradoxales

Je salue le travail titanesque réalisé par nos fonctionnaires. Il ouvre les consciences et incite à la réflexion et au débat. Petite piqure de rappel à nos experts à la vision mythique. Dans toutes ces « injonctions paradoxales , j’incite le lecteur avisé à s’intéresser 1) à l’absence de réformes structurelles possibles pour moderniser et améliorer les structures déficientes : chaque canton et chaque institution étatique et son corps professionnel hospitalier ou ambulatoire fonctionne en autarcie sans volonté de coopération et de coordination ; enjeux de pouvoirs. Derrière les apparences, on relève les comportements ostentatoires de successeurs potentiels au visionnaire chef d’orchestre et directeur général d’UniSanté-Vaud en sa qualité de futur retraité. Son siège aiguise les convoitises : il faut occuper la scène médiatique et s’assurer le soutien politique ; 2) à l’organigramme étoffé d’Unisanté-Vaud (composé de six départements, chacun constitué de secteurs et d’unités : 138 millions de charge en 2020) et de le comparer à son miroir genevois aux Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) qui vient de créer un centre de l’innovation (genevois) facilitant la « mutualisation et l’optimisation des ressources existantes ». Quelques « fusions de services » plutôt que des silos indépendants et une « planification sanitaire ambulatoire » dans cette médecine hautement spécialisée ambulatoire (« MHS-A ») seraient d’actualité pour que le « citoyen contribuable » romand constate que les experts concernés agissent immédiatement pour corriger leurs propres défauts de synergies structurelles onéreuses dans le système de santé régional. Deux « usines à gaz » espacées de 60 kilomètres (alors que les experts nous parlent de « régions de soins » supra-cantonales) cela réchauffe le climat et cela exacerbe le « nationalisme sanitaire cantonal » ; 3) l’impuissance des forces politiques à agir efficacement est actée ; la myopie est héréditaire : difficile d’obtenir une « vision de Santé » et une stratégie de réponse cohérente aux enjeux quand on appartient aux « architectes du chaos sanitaire actuel » aux héritages fondamentalistes profondément ancrés. Alors cher consommateur contribuable et patient potentiel pour la gouvernance du système de santé, deux visions s’opposent : êtes-vous plutôt « Cuir ou Dentelle » ?

Dr Christian Mathez, Pully.

Références

« Système de santé, et si c’était les experts qui étaient malades ? », Eggimman, No3, Georg Editeur, 2023

« Crise du système de santé », Monod, No2, Georg Editeur, 2023.

« Analyse de la gouvernance du système de santé suisse et proposition d’une loi fédérale sur la santé », Centre universitaire de médecine générale et santé publique (Unisanté), DOI : 10.16908/issn.1660-7104/354. 2024