La relation médecin-malade à l’épreuve de la télémédecine

05.10.20 | Proposé par: Prof. Jacques Besson

La télémédecine n’est pas une médecine sans médecin! Elle n’est pas un acte médical à distance, mais une nouvelle pratique médicale à inventer.

L’ écran ajoute une quatrième dimension au triangle médecin-malade-maladie. Une dimension médiate d’accessibilité, que l’on pense aux populations éloignées ou difficiles d’accès pour toutes sortes de raisons. La télémédecine autorise des mutations du système de santé, notamment à disposition de la société en cas de pandémie. Elle bénéficie aussi plus spécifiquement aux populations psychiatriques en diminuant la stigmatisation, et celle d’âge avancé en économisant les déplacements. Toutefois, certaines populations vulnérables n’y ont pas accès (déficit informatique, illettrisme). Il s’agit donc d’un nouvel acteur à apprivoiser, un instrument complémentaire aux autres pratiques, nécessitant coordination des acteurs et formation des intervenants. Une évaluation permanente reste à installer pour vérifier son efficacité et exclure le consumérisme commercial, afin d’établir une stratégie d’utilisation fondée sur une éthique clinique.

Car il y a aussi des inconvénients non résolus, liés au problème de la distance: d’abord un déficit au niveau du langage corporel, avec une nette diminution de la perception du non-verbal. Impossible de restituer l’ambiance d’une salle de soins, avec la respiration, les odeurs ou le stress des intervenants. Il y a aussi l’invisibilité de ce qui se situe hors champ des caméras et des micros. Et si la vue et l’audition ont toute leur importance, il ne faut pas oublier le toucher, la main tendue, le médecin comme un gardien d’humanité, de la douceur des choses dans la rudesse de la maladie. “Guérir parfois, soigner souvent, consoler toujours”, dit l’adage: il y a un questionnement éthique sur la relation de soin… La télémédecine offre-t-elle une équivalence à la relation réelle?

Médecins tiraillés entre nostalgie et renouveau

Michael Balint (1896-1970), médecin et psychanalyste, a conduit une réflexion sur la relation soignant-soigné et le rapport que chaque sujet entretient avec sa maladie. Pour lui, médecine et psychanalyse sont intimement liées, car le corps n’est pas dissocié du psychisme, la psychanalyse étant une science du “vivant humain”. La relation humaine est faite de langage, d’émotions et de mouvements inconscients: il est dès lors essentiel de repérer le transfert et le contre-transfert du médecin. C’est cette relation transférentielle qui permettra au patient d’établir sa confiance au clinicien et d’évoquer sa souffrance exprimée par ses symptômes. D’ailleurs, à l’heure de l’internet, le patient est informé et découvre la complexité: ceci augmente sa confiance envers le praticien.

Que reste-t-il de Balint en télémédecine? Nos collègues de psychiatrie de liaison sont pris entre deux courants: la psychanalyse et les «communication skills». Mais ceux-ci, à travers la standardisation des outils forcément nécessaires en télémédecine, sont-ils capables de déjouer les mécanismes inconscients et la négativité? Ainsi, le médecin contemporain est saisi d’ambivalence entre nostalgie d’un âge d’or révolu, marqué par le paternalisme, et envie de participer à une nouvelle médecine qui reste à inventer pour maintenir le feu sacré de la relation médecin-malade!

Prof. Jacques Besson, Professeur honoraire, FBM/UNIL

NB: Cet article a également été publié dans le CMV 4 – 2020 intitulé “Télémédecine: Quel impact sur la relation thérapeutique?”

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