Réglementation des relations médecine-industrie: un cadre complexe et pas toujours contraignant

18.02.21 | Proposé par: Me Anaïs Rossi

Les relations entre les médecins et les industries existent depuis tout temps. Cette pratique contribue à une meilleure prise en charge médicale mais peut également se révéler source de conflits d’intérêts.

En effet, l’industrie pharmaceutique et celle des technologies médicales ont une place prépondérante dans le monde de la santé. En relation permanente avec les professionnels de la santé, elles essaient d’influencer les praticiens pour une prescription ou une utilisation plus grande de leurs produits. Cette influence peut se faire par l’apport d’informations à travers la visite médicale, des formations organisées, la publicité, la rédaction d’articles ou encore lors de congrès. Petit tour d’horizon des bases juridiques régissant ce domaine délicat.

Directives et code de déontologie

Commençons tout d’abord par l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) qui a publié des « Directives pour la collaboration corps médical – industrie » ayant pour but de décrire la manière adéquate de gérer les conflits d’intérêts et de proposer des mesures permettant de les réduire. Elles se basent sur 6 principes généraux : principe de séparation ; principe de transparence, ; principe de l’équivalence ; principe de documentation ; principe de surveillance mutuelle ; principe de séparation des comptes. La dernière version mise à jour actualisée et complétée date de 2012[1].

Ces directives jouent un rôle important car elles visent à assister le médecin dans le cadre de son activité quotidienne. En dépit du caractère notoire de ces directives et de leur influence considérable sur la pratique, le fait qu’elles soient édictées par l’ASSM ne leur confère pas le caractère de réglementation étatique déployant des effets impératifs formels. Elles ne peuvent dès lors être appliquées de manière contraignante et leur inobservation n’entraîne pas, contrairement au non-respect du droit étatique, de sanction prévue par l’Etat. Elles jouent néanmoins un rôle important dans l’interprétation du droit dans la mesure, par exemple, où le Tribunal fédéral s’y réfère souvent en matière d’état des connaissances des sciences médicales[2].

Lesdites directives contribuent à une approche correcte des conflits d‘intérêts lors de l‘indemnisation des prestations des médecins par des prestations financières ou autres prestations. Leurs buts sont de contribuer à promouvoir l’objectivité et la qualité des activités mentionnées, à améliorer la transparence, à éviter les dépendances et à gérer en connaissance de cause les conflits d’intérêts, en recommandant la conduite à adopter au quotidien.

Ces directives ont été intégrées dans le code de déontologie de la FMH. Elles sont ainsi élevées au rang de normes professionnelles et acquièrent indirectement force obligatoire de dispositions internes à la profession, et donc de dispositions statutaires, pour la majorité des médecins. Les articles 36 et 38 du Code de déontologie interdisent par exemple au médecin d’accepter des rémunérations ou d’autres avantages pour se voir confier des actes diagnostiques ou thérapeutiques (analyses de laboratoire, etc.) ou donner de tels mandats à des tiers, en nature ou en espèce, pouvant influencer leurs décisions[3].

Cadre légal

Le 1er janvier 2020, de nouvelles prescriptions sur l’utilisation des produits thérapeutiques sont entrées en vigueur. Ces dispositions, beaucoup plus restrictives, règlent en détail les rabais et les compensations des fournisseurs de médicaments (par exemples l’acceptation de cadeaux et d’invitation à dîner, à des congrès, etc.), ce qui crée un impact direct sur la pratique des médecins. Les principales dispositions concernées se trouvent dans la loi sur les produits thérapeutiques (LPTh)[4]  et dans son ordonnance (OITPTh)[5].

Au demeurant, la loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal)[6] est également concernée par ces nouvelles dispositions. En effet, l’article 56 al. 3 précise que « Le fournisseur de prestations doit répercuter sur le débiteur de la rémunération les avantages directs ou indirects qu’il perçoit : a. d’un autre fournisseur de prestations agissant sur son mandat ; b. de personnes ou d’institutions qui fournissent des médicaments ou des moyens et appareils diagnostiques ou thérapeutiques ».

Selon la loi fédérale sur les professions médicales (LPMéd)[7], l’article 40 let. e oblige les médecins à défendre, dans leur collaboration avec d’autres professions de la santé, exclusivement les intérêts des patients indépendamment des avantages financiers.

Au niveau cantonal, la loi sur la santé publique (LSP)[8] interdit par son article 81 de conclure une association ou de contracter une obligation incompatible avec les exigences de sa profession, notamment susceptible de faire prévaloir des considérations économiques sur l’intérêt de la santé du patient ou de porter atteinte à sa liberté de choix.

Enfin et afin de ne pas se perdre dans les méandres de cette législation complexe, la SVM a publié une prise de position en concertation avec le Département de la santé sur l’admissibilité de certaines pratiques liant les médecins aux laboratoires d’analyses médicales[9].

Ce bref aperçu témoigne de la complexité de la législation dans ce domaine. Même si celle-ci se veut plus stricte, elle n’en demeure pas moins très complexe dans son application. En effet, il n’est pas toujours aisé de savoir précisément quelle attitude tenir face aux multiples approches des industries. Pour tenter d’éclairer les fournisseurs de prestations, la FMH a mis en place une série d’exemples de situations pouvant se présenter aux médecins en expliquant quelle conduite adopter[10].

Me Anaïs Rossi, juriste à la SVM

NB: Cet article a été publié initialement dans le Courrier du médecin vaudois #1 – 2021 sur les relations médecine-industrie, à lire dans son intégralité ici.

Références:

[1] https://www.assm.ch/fr/Publications/Directives.html
[2] Base juridique pour le quotidien du médecin, 3e éd, édité par l’ASSM et la FMH, Bern, 2020, p. 12ss.
[3] https://www.fmh.ch/files/pdf7/code-de-deontologie-fmh.pdf
[4] RS : 812.21 ; https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/20002716/index.html
[5] RS : 812.214.31 ; https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/20190088/index.html
[6] RS : 832.10 ; https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19940073/index.html
[7] RS : 811.11 ; https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/20040265/index.html
[8] BLV : 800.01 ; https://prestations.vd.ch/pub/blv-publication/actes/consolide/800.01?key=1610107188574&id=258cb2db-b772-411c-b0c5-6ed80967c762
[9] https://www.vd.ch/fileadmin/user_upload/accueil/fichiers_pdf/2019_novembre_actus/Prise_de_position_du_DSAS_et_de_la_SVM_admissibilit%C3%A9_pratiques_labos.pdf
[10] https://www.fmh.ch/fr/prestations/droit/oitpth.cfm#i136633

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