Révision LAMal (2e volet de mesures): un train peut en cacher un autre

10.12.20 | Proposé par: Pierre-André Repond

Pour bien comprendre la portée de ce deuxième paquet de mesures, il faut prendre en compte l’ensemble des mesures, à savoir le premier volet mis en consultation en 2018 (1), mais aussi les interventions du Conseil fédéral sur le tarif médical en 2018 et d’autres projets législatifs.

Il faut, par exemple, comparer ces mesures contraignantes au projet de modification de l’Ordonnance sur la surveillance de l’assurance-maladie (OSAMal) (2), qui se contente de préciser les conditions de la réduction volontaire des réserves et du remboursement de primes encaissées en trop par les assureurs. C’est pourtant la perpétuation du système de calcul des primes en vigueur qui, malgré ces changements cosmétiques, continuera d’entretenir la spirale de hausse des primes, indépendamment de l’évolution des coûts à charge de l’assurance-maladie. Pour compléter le panorama, il faut encore citer l’initiative populaire fédérale du PDC pour des primes plus basses qui a abouti récemment (3) et dont certains éléments inspirent le projet en consultation. Nous commentons ici les quatre principales propositions de modification de la LAMal impactant l’activité médicale.

Risque de rationnement des prestations

1. Introduction d’un objectif de maîtrise des coûts visant à définir des objectifs concernant la croissance des coûts dans l’AOS et à fixer des mesures de correction en cas de dépassement des objectifs. Section 5, articles 54 à 54e nouveaux.

Outre la création d’une nouvelle commission fédérale des objectifs en matière de coûts, le Conseil fédéral entend se doter d’une nouvelle compétence lui permettant de fixer des objectifs en matière de coûts, lesquels sont ensuite déclinés au niveau des cantons selon une mécanique compliquée et implacable qui risque encore de s’aggraver sous le poids des administrations.

Ce serait un moindre mal si l’article 54c ne prévoyait pas d’appliquer sans marge de tolérance les objectifs du Conseil fédéral dans le cas où un canton ne fixe pas ses objectifs dans les délais, ce qui risque fort d’arriver en raison même de la difficulté de l’exercice. On se trouverait alors dans la situation d’un budget global dont l’effet ne pourrait déboucher que sur un rationnement pur et simple des prestations, surtout si l’on tient compte des autres dispositions de la révision.

Un écueil majeur à la mise en oeuvre de cette disposition découle du manque de transparence des données que l’initiative parlementaire Feller-Thorens (4), toujours en attente d’une décision du Conseil des Etats, a pour but de corriger.

Cette problématique qui perdure a eu raison des efforts des partenaires tarifaires eux-mêmes lorsqu’ils ont introduit des mécanismes similaires de maîtrise de la croissance des coûts sous la forme de conventions prix et prestations (ou LeiKoV), lesquels sont précisément venus buter sur la qualité des données. Or le projet en consultation prévoit à nouveau de contraindre les partenaires tarifaires à prévoir de tels mécanismes (art. 54d, al. 1), sans que cet obstacle ait été levé.

A défaut, le canton sera autorisé à prendre directement des mesures, notamment celle de faire baisser les tarifs en fonction des volumes de prestations ou en introduisant des valeurs de point différenciées selon les spécialités, ce qui reviendrait à une double peine pour les spécialités autres que la médecine de premier recours, auxquelles un accès direct des patients serait en plus interdit (gatekeeping).

Fin de la liberté de choix de son médecin malgré l’avis du peuple

2. Institution d’un premier point de contact, auquel les assurés s’adressent d’abord lorsqu’ils ont des problèmes de santé. Celui-ci conseille et traite les patients ou les adresse à un autre fournisseur de prestations.

Cet article introduit lui aussi des changements fondamentaux. Tout d’abord, le premier point de contact peut être un réseau de soins coordonnés (art. 40a ss), en compétition avec les médecins de premier recours. Ce peut être aussi un centre de télémédecine délocalisé. Surtout, le projet fait peu de cas du rejet massif en votation populaire du projet managed care en 2012 (5) en raison de la menace sur le libre choix du médecin. Près de 70% de la population suisse et plus de 90% des Vaudois s’y étaient opposés. Les réseaux visés par le projet sont désormais davantage soumis à une règlementation et gestion publiques, raison pour laquelle les opposants d’hier ne sont pas tous les mêmes que ceux d’aujourd’hui.

C’est une chose de prévoir la possibilité de renoncer à l’accès direct au spécialiste en contrepartie d’un rabais de cotisations, c’en est une autre de se voir imposer cette suppression du libre choix sans contrepartie. C’est d’ailleurs exactement ce qui s’est passé lors de l’introduction de la LAMal, et qui en constitue en quelque sorte le péché originel, et explique en partie la croissance des coûts et des primes que l’on cherche vainement à contrôler depuis. Il a consisté à rendre obligatoire l’assurance-maladie, alors même que plus de 90% de la population était déjà assurée. Ce serait à nouveau un mauvais signal aux effets délétères que de priver les assurés du rabais auquel ils ont droit. A relever qu’on ne saura qu’au moment de l’ordonnance comment il sera possible de changer de point de contact si l’on n’en est pas satisfait.

Pour bénéficier malgré tout d’un rabais forcément plus modique, il faudra même renoncer au choix du premier point de contact et s’en remettre totalement aux choix opérés par l’assureur. C’est faire peu de cas de la relation thérapeutique, dont le fondement repose précisément sur le libre choix, base de la confiance. Il faut sans doute y voir la voie toute tracée au déploiement d’une assurance complémentaire pour conserver le libre choix du médecin en ambulatoire et, par conséquent, un report de charge supplémentaire sur la population qui en aura encore les moyens.

On retrouve ici un procédé inéquitable qui consiste à imposer des restrictions essentielles de prestations, sans garantie que cela se traduira dans la fixation des primes. Si les modèles alternatifs d’assurance permettent aujourd’hui déjà un rabais estimé par le DFI à environ 14%, il convient alors d’imposer d’entrée de jeu ce même rabais sur la prime de base si cela devient le modèle ordinaire d’assurance. En d’autres termes, la prime de base doit baisser de 14% dès l’introduction. Si on ne le fait pas, c’est que les auteurs de la réforme ne croient pas eux-mêmes aux économies réelles découlant de cette proposition.

Un avantage tout de même à ce dispositif: l’article 41 semble indiquer que le recours au traitement hospitalier ferait aussi partie de la délégation prescrite par le premier point de contact.

La place manque pour s’étendre sur d’autres dispositions et s’interroger en particulier sur la portée de l’introduction de forfaits (art. 40c) rétribuant la fonction de premier point de contact en sus de la rémunération de prestations effectives.

Par contre, il vaut la peine de s’interroger sur la nouvelle usine à gaz qui viendra immanquablement chapeauter dans chaque canton l’admission des premiers points de contact, procédure qui se superposera au tout nouveau dispositif adopté pour l’admission des fournisseurs autorisés à facturer à charge de l’AOS et qu’il reste encore à concrétiser (6). Il s’agit ni plus ni moins d’une planification de l’ambulatoire des cabinets qui, comme les autres formes de planification, conduit tout droit à l’augmentation des coûts et des subventions publiques.

Nouveaux prestataires = nouveaux coûts

3. Renforcement des soins coordonnés grâce à la définition de réseaux de soins coordonnés en tant que fournisseurs de prestations distincts.

On ne peut que s’étonner de vouloir reconnaître un nouveau prestataire de cette envergure dans un projet qui prétend viser des économies. Une telle opération ne manquera pas de générer des coûts considérables à charge de l’assurance obligatoire des soins. Combinée avec les autres mesures, notamment tarifaires, elle mettra les autres acteurs, spécialement les médecins, sous une pression intolérable. Ceux qui n’ont pas encore été absorbés par des hôpitaux ou des centres médicaux seront immanquablement avalés par ces nouveaux acteurs, sans aucune économie à la clé, comme le prévoit cyniquement le projet en énumérant les formes de contrats d’absorption disponibles. Ce dispositif ne laissera à terme que le choix de la corde pour se pendre (contrat d’affilié ou de coopération) avec le centre de coordination, statut qui pourrait dériver vers un statut d’employé à la faveur de la réglementation AVS, comme on l’a vu dans des conditions similaires. L’AOS devrait donc supporter les coûts des charges sociales de ces nouveaux employés, alors qu’il est avéré aujourd’hui que la structure du cabinet indépendant, individuel ou de groupe, reste la solution la plus efficiente et qu’aucun des modèles qui s’y sont progressivement substitués n’a généré d’économies d’échelle, au contraire.

Il faut aussi mettre cette disposition en lien avec celles du premier volet de mesures qui visent à permettre des expériences pilotes ou innovantes dans les cantons. Dans ce cas de figure, ces structures, en particulier un réseau régional comme il en existe dans le canton de Vaud, à l’instar d’autres entités publiques ou parapubliques, bénéficieraient d’une reconnaissance et d’un financement public créant une distorsion supplémentaire de concurrence, du fait des conflits d’intérêts de l’Etat.

Il n’est pas innocent de relever que le système de forfait destiné à financer les réseaux sur la base des conventions passées avec les assureurs est fondé sur le même principe que le DRG, lequel met une pression considérable, voire insoutenable, sur le corps médical agréé dans les hôpitaux et cliniques, au point de mettre en péril son statut indépendant, qui serait appliqué dès lors à tout l’ambulatoire de ville. L’ambition est vaste, puisque le projet prévoit déjà une fédération des réseaux de soins coordonnés (art. 64).

Une mesure qui manque son objectif

4. Obligation des fournisseurs de prestations et des assureurs de transmettre les factures par voie électronique.

Là encore, on peine à croire au potentiel de cette mesure, qui est prévue dans les conventions tarifaires depuis 2004, soit dès l’introduction de TarMed! Les organisations médicales ont investi massivement dans les centres de confiance ou autres trust centers afin d’offrir cette possibilité. Après un galop d’essai amorcé dans le canton de Vaud qui a montré que la solution fonctionnait, les assureurs ont opté pour l’achat de scanners plutôt que de consentir une modeste contribution au financement des infrastructures prévues pour cela.

A cela s’ajoute que les contreparties de ces investissements pour les médecins résidaient dans la levée des limitations tarifaires qui ont été réintroduites à la faveur de l’intervention du Conseil fédéral en 2018. Un revirement qui a de quoi rendre méfiant. A noter que le fournisseur de prestations, le médecin en particulier, reste obligé de fournir sur demande une facture papier à l’assuré et qu’il doit le faire gratuitement (art. 42). Il est bien le seul!

Coûts administratifs et réserves en forte hausse

Finalement, ces solutions violent le secret médical si elles sont imposées. Elles chargent en outre inutilement les administrations de factures qui ne sont pas à charge de l’AOS ou qui restent inférieures à la franchise, contribuant ainsi à aggraver l’un des facteurs de coûts majeur mais caché du système, à savoir ses coûts administratifs, qu’ils soient le fait des assureurs ou des administrations publiques.

S’agissant des assureurs, l’augmentation des coûts administratifs est vertigineuse, puisque, malgré la concentration du secteur, la facture n’a cessé de croître. Le taux de prélèvement de 5% de frais administratifs n’a pas varié, alors que le volume des coûts à charge de l’AOS a passé de 12 à 32 milliards de francs. Faites le calcul! On est passé de 600 millions à 1,6 milliard de francs de frais administratifs par an sans que personne s’en émeuve. Là aussi, pas d’économies d’échelle, alors que les assureurs ont constitué des réserves qui atteignent 11 milliards de francs en 2020, soit le double des exigences minimales fixées par l’OFSP.

Confiance et coopération indispensables pour de véritables économies

Si les économies sont improbables malgré l’intention affichée, il est surtout question, selon une savante gradation, d’obligations nouvelles, de contrôles, de contraintes et de sanctions supplémentaires qui ne contribueront pas à restaurer l’indispensable confiance et la coopération des parties prenantes.

Les auteurs du projet ne croient pas eux-mêmes aux économies qu’ils renoncent à chiffrer, sous réserve d’un prétendu milliard qui sort d’un chapeau! C’est donc que l’objectif de la réforme est ailleurs, fondé sur des dogmes souvent répétés mais jamais vérifiés, qui progressivement mais sûrement auront raison de notre système de santé.

NB: Les passages en italique correspondent aux termes originaux de la révision LAMal.

(1) www.bag.admin.ch/bag/fr/home/versicherungen/krankenversicherung/krankenversicherung-revisionsprojekte/kvg-revision-massnahmenzur-kostendaempfung-Paket-1.html
(2) www.bag.admin.ch/bag/fr/home/versicherungen/krankenversicherung/krankenversicherung-revisionsprojekte/aenderung-kvav-reserveabbauausgleich-zu-hohe-praemieneinnahmen.html
(3) Pour des primes plus basses (frein aux coûts dans le système de santé)
(4) www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20183433
(5) www.bk.admin.ch/ch/f/pore/va/20120617/index.html
(6) www.bag.admin.ch/bag/fr/home/versicherungen/krankenversicherung/krankenversicherung-revisionsprojekte/zulassung-leistungserbringern.html

Pierre-André Repond, secrétaire général de la SVM

NB: Cet article a également été publié dans le Courrier du médecin vaudois de décembre 2020, intitulé « Réforme LAMal: Le 2e paquet n’est pas un cadeau! »

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