Un dernier coup de collier pour enfin disposer de statistiques fiables et incontestables dans le domaine de la santé

09.12.20 | Proposé par: Dr Philippe Eggimann, Dr Michel Matter

Le 15 décembre, le Conseil des Etats aura le dernier mot sur un sujet d’une très grande importance pour l’avenir de notre système de santé : un changement potentiel de paradigme dans la méthodologie de recueil et d’analyse des données statistiques actuellement peu fiables.

De nombreux exemples ces dernières années ont montré que la Suisse était malade de ses chiffres dans le domaine de la santé, rendant son pilotage impossible. Au premier plan, on pense bien sûr à la fixation des primes d’assurance maladie que nous dénonçons sans relâche, mais il n’y a pas que cela. Le Conseil fédéral vient de publier le rapport d’un groupe d’experts piloté par notre confrère genevois le Professeur Christian Lovis « Stratégie de transparence dans le domaine des coûts et prestations de santé ».

Le constat est cruel et sans appel. Malgré la profusion de sources d’information et de chiffres, nous manquons de données dignes de ce nom pour établir sans parti pris l’activité des prestataires, les coûts globaux ou sectoriels, les évolutions dans la prise en charge, les comportements des patients, les nouvelles tendances, les besoins en formation, etc.

Pour dire les choses simplement, sans vision d’ensemble objective, les décideurs du monde de la santé au niveau fédéral comme cantonal sont contraints de naviguer aujourd’hui largement à vue. Difficile donc dans ces conditions d’être sûr de prendre les bonnes décisions, de fixer des objectifs mesurables et d’évaluer ensuite objectivement leur impact. Alors on tâtonne, on débat, et parfois, forcément, on s’énerve, lorsqu’on a l’impression que des projets de réforme aux impacts très concrets se basent une vision orientée, tronquée, parfois même idéologique de la réalité.

Lassés par ces batailles de chiffres imprécis ou incomplets, voyant que même deux offices fédéraux parvenaient à des résultats très différents lorsqu’ils s’intéressaient à la problématique du revenu des médecins, souvent confondu à dessein avec le chiffre d’affaires, deux conseillers nationaux vaudois, Olivier Feller (PLR) et Adèle Thorens (les Verts), ont eu le bon sens en 2018 de déposer une motion commune baptisée : « Faire établir des statistiques incontestées par un organisme indépendant. Un préalable indispensable au pilotage du système de santé ». Ce texte demande « de confier la tâche d’établir des statistiques incontestées et à jour à un organisme indépendant, qui pourrait être l’Office fédéral de la statistique ».

Dès son dépôt, la Société médicale de la Suisse romande (SMSR) s’est exprimée avec force et conviction en faveur de cette proposition salutaire, comme ensuite les deux autres associations régionales des sociétés cantonales de médecine, la VEDAG (Verband Deutschschweizer Ärztegesellschaften) et l’OMCT (Ordine dei Medici del Canton Ticino), puis l’Assemblée des Délégués de la FMH. Le corps médical suisse est donc uni derrière ce texte et a ainsi montré qu’il n’avait pas peur de la transparence.

Et heureusement, il n’est pas le seul ! Le Conseil fédéral a rapidement recommandé d’accepter cette motion, ce que le Conseil national a déjà fait à une large majorité le 14 mars 2019 (125 oui ; 59 non).

Tout allait donc pour le mieux et l’on n’attendait plus que l’accord du Conseil des Etats pour pouvoir enfin passer à l’action. Seulement, sans contester la pertinence de cette motion sur le fond, la commission de la Chambre haute chargée de préaviser a commencé cet automne à hésiter et recommande finalement de la rejeter le 15 décembre, apparemment par peur de donner un aval inutile à une proposition en partie déjà traitée. En mars 2019, le Conseil des Etats avait en effet déjà transmis un postulat  sur le même thème « Stratégie de données cohérente pour le domaine de la santé » et le groupe d’experts mandaté par le Conseil fédéral recommande aussi un modèle où l’OFS, plus neutre et mieux outillé que l’OFSP, prendrait dans le futur une place centrale1. Les experts vont donc exactement dans le même sens que les motionnaires, le Conseil fédéral, et le Conseil national.

Face aux enjeux du système de santé en Suisse, pour qui a l’ambition de prendre ces prochaines décennies de bonnes décisions fondées sur une description indépendante et fiable de la réalité, cette motion offre aujourd’hui la garantie politique de bientôt tourner la page de la déficience statistique chronique de notre pays.  C’est une chance à ne pas rater ! A contrario, la rejeter pour une réserve formelle serait potentiellement désastreux. Elle délierait le Conseil fédéral de la contrainte de mettre en œuvre les propositions faites pour pouvoir enfin disposer de statistiques fiables et incontestables dans le domaine de la santé. Espérons donc que nos 46 conseillers aux Etats sauront mesurer pleinement les enjeux dont ils auront à traiter dans quelques jours !

Dr Philippe Eggimann,  Président de la Société vaudoise de médecine (SVM) et de la Société médicale de la Suisse romande (SMSR)

Dr Michel Matter, Président de l’Association des médecins du canton de Genève (AMGe), vice-président de la Fédération des médecins suisses (FMH)

A lire aussi sur ce sujet sur le site web de la SMSR : 15 décembre 2020 : le jour où la Suisse choisira enfin de se doter de statistiques fiables et incontestables dans le domaine de la santé ? 

NB: Cet article a été initialement publié sous la forme d’une tribune dans la Revue Médicale Suisse, le 9 décembre 2020.

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