Comme chaque année à mi-septembre, l’évolution de notre pouvoir d’achat est suspendue au bon vouloir des assureurs ! Après la démonstration par la Société Médicale de la Suisse Romande (SMSR) que les hausses des primes subies en 2018 et en 2019 étaient sans rapport avec la hausse réelle des coûts de la santé, et la Société Vaudoise de médecine (SVM) et l’Association des Médecins du canton de Genève (AMGe) s’associent aux Conseillers d’Etat en charge de la santé pour déplorer que l’Office Fédéral de la Santé Publique (OFSP) ne leur transmette plus les informations nécessaires pour préaviser sur les hausses des primes à charge de l’assurance maladie obligatoire des soins (AOS).
Les assureurs reconnaissent des hausses injustifiées
C’est dans ce contexte, et après que le président du parti socialiste suisse a repris la demande de la SMSR de geler les primes 2020, que plusieurs assureurs laissent désormais miroiter une pause dans la hausse des primes pour 2020, voire une baisse dans certains cas. Ils reconnaissent ainsi enfin que les hausses de primes des dernières années étaient injustifiées et que leurs prédictions du début de l’été étaient fausses.
Le président de santésuisse a cependant immédiatement brandi la menace de la ruine des assurances maladies « Die SP will die Kassen in den Ruin treiben». Il faut donc craindre que conformément aux prévisions non fondées des assureurs, en dépit de l’aveu du Conseiller fédéral Berset sur le manque de transparence, les hausses des primes que l’OFSP est en train de valider soient à nouveau supérieures à celles des coûts.
Les coûts de la santé augmentent moins vite que le PIB
Les faits sont cependant têtus. Les données du 1er semestre 2019 indiquent que la hausse des coûts à charge de l’assurance maladie obligatoire des soins (AOS) est de 2,8% depuis le 1er semestre 2017. Cette hausse des coûts qui s’est abaissée à un rythme annuel de 1,4% est désormais plus faible que celle du PIB (2,6% en 2017; 1,6% en 2018).
Les raisons de la hausse des coûts au premier semestre 2019 doivent être analysées en détail, mais deux éléments peuvent déjà être mis en évidence.
Tout d’abord, l’espérance de vie continue à progresser en Suisse, alors qu’elle stagne dans les pays qui nous entourent suite à la limitation des coûts par l’introduction de budgets globaux qui rationnent l’accès aux soins, et qu’elle baisse aux USA et en Grèce ou une partie de la population n’y a pratiquement plus accès.
Deuxièmement, alors que le transfert vers l’ambulatoire permet une réduction globale des coûts, c’est exclusivement la part à charge des cantons (55%) pour le stationnaire qui est économisée. L’ambulatoire est entièrement à charge de l’AOS, et le transfert vers l’ambulatoire explique aussi que les primes aient plus augmenté dans les cantons romands, où ce transfert a été plus rapide au cours de la décennie.
Cet effet est certainement aggravé par l’entrée en vigueur du conditionnement du remboursement d’une série d’interventions chirurgicales à leur réalisation en ambulatoire, qui augmente mécaniquement les coûts à charge de l’AOS. Ce phénomène explique que la croissance annuelle des coûts à charge de l’AOS entre 2017 et 2019 soit nulle pour les hospitalisations, qu’elle soit de 1,4% pour les cabinets médicaux indépendants, de 2,7% pour l’ambulatoire hospitalier où sont réalisées la plupart des interventions chirurgicales ambulatoires et de 5.0% pour les soins à domicile dont une partie concernent des soins liées à ces interventions qui étaient jusqu’alors réalisés à l’hôpital.
Enfin, bien que les excellents résultats du premier trimestre 2019 les aient déjà largement compensés, les mauvaises performances boursières du dernier trimestre 2018 ont affecté les réserves des assureurs dont le bilan est bouclé en fin d’année. Les réserves sont largement au-delà de ce qui est nécessaire (plus de 9 milliards de francs), mais l’OFSP ayant admis en 2016 déjà que c’était les primes qui devaient être ajustées en tel cas, il est à craindre qu’une fois de plus, les assurés passent à la caisse.
Le gel des primes 2020 est désormais incontournable
Dans ce contexte, la SVM et l’AMGe demandent une nouvelle fois le gel des primes AOS 2020 au niveau de celles de 2019. Elles saluent les politiciens qui se joignent à cette demande. Elles enjoignent le Conseil Fédéral à prendre ses responsabilités et de l’imposer via l’OFSP compétant en la matière, en dépit des pressions continues exercées par de nombreux acteurs du domaine de la santé.
Des propositions concrètes pour une baisse soutenue des primes dès 2021
En outre, pour obtenir une réduction concrète des coûts à charge de l’AOS en 2020 déjà, sans attendre les effets putatifs du financement moniste discuté au parlement depuis plusieurs années, la SVM et l’AMGe demandent aux Cantons de mettre en œuvre les propositions faites par la SMSR, à savoir une répartition équitable des économies réalisées par le transfert de prestations stationnaires vers l’ambulatoire.
Concrètement, la participation financière directe des Cantons au remboursement des 6 groupes d’interventions chirurgicales qui ne le sont depuis le premier janvier 2019 que si elles sont réalisées en ambulatoire, permettrait une réduction des coûts à charge de l’AOS en 2020 déjà, et donc des primes dès 2021.
Dr Philippe Eggimann, président de la Société vaudoise de médecine (SVM)
Dr Michel Matter, président de l’Association des médecins du canton de Genève (AMGe)
NB: cet article est également paru sur le site de la Société médicale de la Suisse romande