« Le 7 avril (1788), j’ai fait innoculer (sic) mon cher fils Georges, sur le fils de 4 ans de M. Roux, fermier » : ainsi écrit un riche agriculteur de la région de Bex dans son agenda.
La « pandémie varioleuse » démarre en Europe vers 1614 et la mortalité essentiellement infantile est si forte que les Etats tiennent des décomptes de plus en plus précis. Par un curieux hasard statistique, Lausanne, Yverdon, Morges et Vevey vivent quelque 30 épidémies entre 1684 et 1797 avec une courbe de mortalité similaire. Désastreuse mais moindre que celle des campagnes. Le Dr Samuel Auguste Tissot estime alors qu’elle atteint 95% des individus et tue le septième d’entre eux, avec une surmortalité infantile extrême.
Lutter face à l’hécatombe
Au XIXe siècle, les années 1816-17 et 1826-27 sont marquées par de fortes épidémies.
Le Dr Nicaty décrit en 1828, dans la « Feuille du Canton de Vaud », la situation hallucinante de la commune de St-Livres : une centaine d’habitants sont atteints et 49 décèdent, dont 39 enfants.
On ignore évidemment que la maladie est virale, mais les médecins de l’époque mettent en cause la promiscuité et le manque d’hygiène : « on ne change pas le linge de corps des malades » demande Tissot dans « L’Avis au peuple sur sa Santé » (1761), et de vitupérer le manque de prévention et le fatalisme du peuple et de ses autorités qui « laissent aller » les choses.
De la variolisation…
Dès le début du XVIIIe siècle, puisque l’on ne parvient pas à guérir, il faut prévenir. La variolisation est pratiquée en Chine au XVIe siècle et arrive en Europe par la route de la Soie.
Réalisée à partir de 1701 à Constantinople, elle se propage en Angleterre vers 1715.
C’est en automne 1753 que l’on signale « qu’une dame lausannoise a innnoculé elle-même son fils qui ne prenait point la petite vérole de ses deux sœurs qui l’avaient très heureuse. »
Depuis le Pays de Vaud, l’inoculation se répand en Suisse ; elle fait l’objet de publications (Acta Helvetica, 1767) ; les grandes familles (De Haller inocule sa fille) la promeuvent. Mais toute « nouveauté » engendre une intense polémique, notamment avec Tissot : par exemple, un praticien breton entretient en 1780 une correspondance des plus vives sur l’insuccès d’une inoculation jugée « peu utile ».
… à la vaccination
La vaccination prônée dès 1796 par le Dr Edward Jenner commence au Pays de Vaud en 1801. Le Dr Auguste Verdeil en fait l’apologie en 1820, contre les opposants. Malgré les polémiques, elle devient quasi obligatoire. Elle est gratuite et effectuée par des « vaccinateurs » payés pour cela. Le Conseil d’Etat tient un décompte très précis, qu’il transmet au Grand Conseil par l’intermédiaire de son « Compte rendu annuel ». En 1828, 5473 enfants sont vaccinés et seuls 28 contractent une petite vérole atténuée. Petit à petit, la petite vérole s’amenuise dans le canton.
Cela fait près de 3 siècles qu’inlassablement, la polémique vaccinale est relancée. La grippe a remplacé la petite vérole mais les arguments échangés restent les mêmes. La pérennisation de ce débat à travers les siècles relève de l’extraordinaire.
*Ressource externe : OLIVIER, Eugène (1962) : « Médecine et santé dans le Pays de Vaud: pt. Au XVIIIe siècle, 1675-1798 », 2 v, Bibliothèque historique vaudoise.
(CMV mars-avril 2019)