Le prix des masques ou la pointe de l’iceberg du quotidien du généraliste

07.05.20 | Proposé par: Sarra INOUBLI LE ROY

Merci à la SVM pour ce message du médecin cantonal quant au prix des masques et merci de nous avoir relayé les informations en temps et en heure. Vous savoir auprès de nous a été d’un grand soutien et je tenais à remercier toute l’équipe de la SVM pour son engagement incroyable. Peut être parce que je suis plus timide que d’autres pour passer par le blog ou les réseaux sociaux directement, j’ai d’abord répondu directement au courriel; le webmaster m’a alors proposé la publication de mes quelques modestes réflexions : j’espère qu’elles vous sembleront indiquées, utiles et abouties. 

Premièrement, je bondis, m’étouffe à la lecture des prix indiqués des masques. Au vu de cette inflation, va-t-on, nous aussi, médecins de premier recours, pouvoir adapter nos prestations à ces demandes de protection, pour amortir dans nos charges :

1. Le coût des masques, pour rappel à multiplier par 2 ou 3, par jour et par personne travaillant dans le cabinet

2. Le temps de désinfection des pièces après chaque consultation, associé à la limitation du nombre de patient·e·s vu·e·s par jour, afin de respecter les distances sociales, réduisant ainsi le nombre de consultations quotidiennes ; rendant aussi la souplesse de notre agenda plus difficile à maintenir.

3. Le temps de prise de connaissance des nouvelles recommandations, leurs intégrations à notre pratique et celle des assitant·e·s médical·e·s

4. Le travail administratif en lien avec le COVID 19 (certificats, questions des patient·e·s, le tri des patient·e·s  à risque ou non de développer les complications, contradictions entre les documents fédéraux et ceux des sociétés de spécialités)

5. Le coût indirect, ou charge mentale, relatif aux responsabilités demandées aux médecins de premier recours : de confiner les plus fragiles, déconfiner ces mêmes patient·e·s qui le seraient moins quelques semaines plus tard, endosser la décision de savoir qui travaille ou pas. En définitive, prendre la responsabilité des complications rares mais possibles de cette infection à SARS COV 2, alors que personne ne le sait exactement et que les informations changent régulièrement. Qui s’engage à nous défendre en cas de problème ?

6. De relayer les informations contradictoires, pleines d’injonctions paradoxales, des autorités et spécialistes, auxquelles nous adhérons plus ou moins, mais a-t-on le choix ? et en prendre la charge.

7. Prendre un temps de la consultation pour : d’entendre la peur des uns ; le dénis des autres ; les arguments et illusions dans laquelle vivent certains, pleines, elles aussi, de paradoxes. Eduquer sur le lavage des mains, leur dire que «  non les masques ça a ne sert pas à grand-chose », et s’ils y tiennent, d’au moins leur apprendre à bien les utiliser. Sans compter le lavage des mains, « les gants surtout pas » …Les rassurer en leur disant : « Non ce virus ne tue pas à 100%, on a fait tout ça pour préserver le système de soins »

8. Et tout cela sans compter le travail scolaire pour les médecins parents de jeunes enfants… la gestion des parents plus âgés pour les autres, voire les deux.

Et en fait ici, comme beaucoup de philosophes commencent enfin à le dire, on touche à la toute puissance de la médecine, à laquelle nous sommes confronté·e·s tous les jours. En temps normaux, nous râlons face à ces demandes faites de certificats pour ceci pour cela avec l’espoir qu’ils changeront tout, des « mais, docteur je ne comprends pas je suis encore fatiguée malgré mon check up normal »,  des « j’ai mal docteur, faites quelque chose » et nous oublions, vivons avec…  A terme c’est à mon sens de là que provient le burn out des soignant·e·s, de ces attentes jamais satisfaites dans bien nombres de situations biopsychosociales complexes, pesant sur nos épaules. Ce que révèle enfin cette pandémie : le face à face avec sa propre mort. Avec les patient·e·s  les plus honnêtes, ou du moins ceux ayant déjà eu une réflexion sur leur place ici, sur leurs souhaits quant à leur fin de vie, le dialogue est simple, mais pour les autres… il n’y a pas moyen d’ouvrir la discussion, ils ne sont pas prêts, n’ont jamais eu à se poser ces questions, ne le souhaitent pas et se sont trouvé·e·s précipité·e·s dans cette situation très angoissante. Cette immense attente pesant sur la médecine se fait donc ressentir encore plus face à l’extrême de ce que nous vivons actuellement. Mais désolée de l’écrire, nous ne sauverons pas tout le monde, nous ferons de notre mieux, c’est notre mission. Nous prendrons aussi acte des principes de base de bioéthique en tentant compte de ne pas plus nuire par nos soins, de maintenir l’autonomie de chacun, d’offrir une médecine qui soit aussi pérenne que possible avec la fameuse devise du “Less is more”, permettant de réduire les coûts sans risques pour nos patient·e·s, en ayant aussi une conscience écologique de ce qu’est notre médecine actuellement. Je ne peux m’empêcher de penser que les soins intensifs ici sauvés par le confinement, sont une catastrophe écologique à eux seuls, par le nombre de déchets qu’ils produisent, pour assurer je le concède, la sécurité de nos soignant·e· s, mais c’est une image assez forte, après l’appel du 4 mai, dont on a tous entendu parler. Enfin, j’ai eu vent de certains journalistes demandant aux médecins de ne pas repartir comme avant, de ne pas céder aux demandes des patient·e· s, la preuve étant le désert des consultations pendant les premières semaines du confinement : on en fait donc trop ! Cher·e·s journalistes, je pense que beaucoup de patients ont eu peur de consulter, les conséquences se feront ressentir plus tard.  Ensuite, parfois nous faisons un peu plus pour garder un lien et éviter le tourisme médical, car pour l’instant le·a patient·e a le choix de son thérapeute et heureusement ! Enfin, sera-t-on guéri de l’attente magique et toute puissante de la médecine après cette crise ? Les coûts de la santé viennent-ils uniquement de nous les médecins, ou aussi de la peur panique de notre société face à sa propre fin ? La difficulté de cette période est de s’abstraire du soi et d’agir pour le nous. En serons-nous encore capable dans le futur ? Serons-nous prêt·e·s à faire moins d’examens et à prendre le risque d’une maladie découverte plus tard ? trop tard ? Je veux bien moins faire, mais je veux aussi travailler ! Pour ce faire, une voie de communication entre le·a thérapeute et le·a patient·e doit permettre une confiance suffisante pour étayer ce lien, et aujourd’hui il passe pour beaucoup par la somme d’examens paracliniques et coûteux.

Pour revenir au sujet de ce message et après ces quelques digressions, je tenais à souligner à quel point la SVM s’est montrée un partenaire incroyable durant le sommet de la pandémie, mais je pense que la FMH en particulier et nos autorités, ont oublié les généralistes durant cette crise en ne publiant que des informations angoissantes et sans base scientifiques très solides au début, et ce, après plusieurs jours de silence. Ensuite, elle n’a édicté des recommandations d’hygiène que dès la semaine du 22 avril, à la réouverture des cabinets de spécialités. Pendant ce temps-là, soit du 16 mars au 27 avril ; oui bien sûr les hôpitaux et ses incroyables soignant·e·s ont été au front pour limiter la casse de cette pandémie, sans parler de tous les acteurs plus globaux : aides soignant·e· s, personnels des EMS, assitant·e· s sociaux, assitant·e· s médicales, laborantin·e· s , et tous ceux des commerces de première nécessité, des administrations étatiques, du personnel de maintenance…, que les oubliés me pardonnent ; il a fallu aussi compter aussi sur l’engagement, moins visible et plus discret, de nous les généralistes, qui sommes restés ouverts pour les plus fragiles physiquement et psychologiquement, qui avons:

-assumé l’hôpital à la maison afin d’éviter la contamination à nos patient·e·s dans les structures hospitalières, et d’éviter leurs engorgements

-accueilli les patient·e·s hospitalisés avant le COVID (sortis précipitamment des structures hospitalières) qui n’ont pu bénéficier d’une convalescence et de soins continus

-soutenu les anxieux face à cette masse d’informations

tout en devant gérer la santé économique de notre entreprise, rester assez solide pour nos patients et nos proches, en vivant le même drame que tout le monde, avec la peur de surcroît d’être contaminer, de contaminer les autres (patient·e·s, familles et collaborateur·rice·s), de ne plus pouvoir travailler. En résumé, une impression de dimanche de garde sans fin, les rue vides, les gens méfiants, l’angoisse en plus…et nous étions là !

Par ces quelques lignes j’espère que vous saurez relayer le vécu et le désarroi de notre spécialité, non seulement face au coût du masque, qui vous l’aurez compris ce n’est qu’une simple amorce,  mais aussi face à la faible considération que portent nos autorités médicales et politiques à notre profession, que ce soit en temps « normal » ou encore en temps de crise sanitaire, assumant que nous accepterons n’importes quelles conditions, sans égards particulier ni soutien, jouant alors sur notre fibre humaniste et la soit disant « vocation ». Nous étions pourtant toujours en première ligne, peu soutenu·e·s  ni entendu·e·s, nous médecins de premiers recours, qui pour rappel gérons le 80-90% des motifs de consultations pour seulement 1 à 2% des coûts globaux de la santé, sans compter tout ce que l’on ne peut pas facturer. Vous lisez ici la fatigue et la charge mentale d’une jeune généraliste installée depuis 8 ans, qui espère que cette crise montrera à quel point cette branche de la profession est tout aussi importante que le plus sophistiqué des services de soins intensif, et que cette branche demande et nécessite un soutien, allant au-delà d’une boîte de masque à 42,50.- pour 50 pièces.

A quand un vrai soutien de nos autorités ? de nos sociétés médicales fédérales auxquelles nous avons l’obligation d’adhésion?

A bon lecteur.

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