La SVM a la chance de compter quelques membres dévoués bien au-delà des frontières cantonales! Dans le cadre des discussions actuelles autour de la vaccination contre le coronavirus, il nous a semblé intéressant de solliciter le Dr Cohen, exerçant désormais à Jérusalem, pour nous livrer un témoignage averti sur la rapidité déconcertante vu d’ici de la campagne de vaccination israélienne. Sa contribution est à lire ci-dessous. Un grand merci à lui d’avoir répondu favorablement et en un temps record à notre invitation à publier sur notre blog.
Avec près de deux millions de vaccinés contre le Covid-19 en trois semaines, comprenant plus de 75% des plus de 60 ans et 20% de sa population totale, comparable d’ailleurs à celle de la Suisse, Israël a pris une avance considérable sur le reste du monde. Bien que cela soit monnaie courante dans le pays de la Bible, cette performance n’est pas le résultat d’un miracle. Elle est en grande partie due à son système de santé basé sur quatre caisses-maladie publiques auxquelles l’affiliation est obligatoire pour chaque résident. Chaque caisse est aussi le fournisseur de soins principal pour ses assurés, sur le modèle des réseaux de soins intégrés. Chacune dirige de nombreuses policliniques de quartiers ainsi que des hôpitaux publics dans lesquels sont employés la plupart des médecins et des infirmières du pays.
Dès l’arrivée des premiers vaccins de Pfizer en Israël, accueillis à l’aéroport déjà par le premier ministre Benyamin Nethanyou et le ministre de la santé Youli Edelstein en personne, les doses ont été réparties entre les quatre caisses-maladie qui ont immédiatement contacté, par courriel ou SMS, leurs assurés de plus de 60 ans et tout le personnel de santé. Elles leur ont proposé de se rendre dans l’un des 350 centres ouverts du jour au lendemain, travaillant chaque jour 14 heures d’affilée avec les infirmières habituelles des policliniques ou retraitées, ainsi que des « sanitaires » engagés dans ce but. Jusqu’à 150 000 personnes ont ainsi pu être vaccinées quotidiennement.
Chaque candidat devait répondre à une dizaine de questions, parmi lesquelles la présence d’une allergie ou un diagnostic établi de contamination par le Covid-19. En cas de doute, le personnel pouvait contrôler la déclaration sur place, dans l’extrait informatisé du dossier médical du patient. Après avoir consigné la vaccination dans ce même dossier électronique, le rendez-vous pour la deuxième dose était fixé et le patient était libéré après une surveillance de 15 minutes.
Personnellement, j’ai reçu deux convocations : l’une en tant qu’assuré à l’une des quatre caisses dans laquelle je dirige aussi un projet gériatrique de soins à domicile, l’autre de l’hôpital universitaire Hadassah à Jérusalem dont je suis l’un des médecins depuis de nombreuses années. J’ai ainsi pu être l’un des premiers à me faire vacciner à Jérusalem, dans une atmosphère quasi euphorique.
Pour les EMS, c’est le Magen David Adom, l’équivalent israélien de la Croix-Rouge, qui s’est chargé de transporter les vaccins sur place ainsi que de vacciner les résidents et le personnel.
Pour les patients dépendants à domicile, une solution acceptable n’a en revanche pas encore été trouvée en raison des conditions de congélation du vaccin a -80°C, ce qui fait que les proches aidants sont pour l’instant contraints de conduire les patients dans les centres.
Contrairement à ce que la presse étrangère a diffusé, y compris en Suisse, l’armée israélienne n’a joué aucun rôle dans cette campagne de vaccination. Elle a toutefois été très active dans les enquêtes épidémiologiques chez les malades du Covid et dans les centres de prélèvements par frottis.
Anticipation du gouvernement et campagne médiatique maîtrisée
Pour disposer de suffisamment de doses de vaccins, le gouvernement avait déjà signé depuis juin 2020 des accords avec les industries pharmaceutiques parmi les plus avancées dans la recherche, tout en finançant le développement d’un vaccin israélien qui se trouve actuellement en phase 3. D’après certaines sources, l’Etat aurait été prêt a payer 40% au-dessus du prix du marché, faisant ainsi le calcul économique des pertes considérables occasionnées par les confinements de la population, comme c’est le cas de nouveau depuis quelques jours, en raison d’une troisième vague qui frappe le pays.
Le public israélien a été exposé pendant plusieurs mois par la presse et par les spécialistes aux informations concernant les risques des différents vaccins, et les sondages ont montré comme ailleurs la réticence à se faire vacciner. Tous ont ainsi été surpris par l’empressement de ce même public à recevoir le vaccin dès qu’il a été disponible. Ceci a été possible grâce à l’exemple personnel qu’ont donné les membres du gouvernement et du parlement en se faisant vacciner l’un après l’autre selon les priorités de l’âge, à l’exemple des équipes soignantes dans les hôpitaux et dans les policliniques où les médecins de famille jouissent d’une grande confiance de la part de leurs patients, et enfin grâce à une campagne médiatique bien orchestrée, avec des prises de position claires des médecins de toutes les spécialités. J’ai moi-même été interviewé sur une chaîne de radio nationale francophone la veille du lancement de la campagne de vaccination, et j’ai pu mettre l’accent sur l’aspect gériatrique que j’ai pu suivre de plus près.
Un autre facteur non négligeable du succès inattendu de la campagne est à chercher précisément dans les sévères mesures que le gouvernement a dû prendre pour essayer de contrôler l’épidémie. Ces mesures ont certes permis de limiter la mortalité (de moitié par rapport à la Suisse), mais elles ont aussi mis la population sous grande pression, tant économique que psychologique, surtout pendant les périodes où les écoles étaient elles aussi fermées. Il faut savoir que les Israéliens, tout en partageant beaucoup de temps en famille et en société, voyagent fréquemment aux quatre coins du globe. Par conséquent, ils sont donc particulièrement impatients de retrouver leurs habitudes. Friands d’innovation scientifique, ils considèrent le vaccin, et à raison, comme étant leur seule chance d’y parvenir.
Ainsi, le système de santé israélien, à la fois centralisé et à portée de main de chacun, déjà bien rôdé par les crises sécuritaires qui ont jalonné l’histoire du pays, avec son informatisation généralisée et la confiance dont il jouit au sein de la population, a joué à mon avis un rôle central dans le succès de cette campagne.
Dr Armand Aaron Cohen, Jérusalem
Spécialiste FMH en Médecine Interne et en Gériatrie
Membre de la SVM