Pour une vision partagée de la médecine hospitalière de demain

27.04.21 | Proposé par: Pierre-André Repond

Le champ (de bataille?) de la médecine hospitalière a connu une évolution accélérée au cours des dernières décennies, ce qui a conduit à une adaptation du cadre juridique dans lequel les médecins exercent. Cette évolution, exigeant de la profession et de son organisation une énorme faculté d’adaptation et un certain prix humain, a néanmoins pu s’opérer dans une relative paix sociale.

Ce contexte est très largement dû au partenariat social induit par l’introduction en 2005 – une première en Suisse! – d’un régime de convention collective. Cela a permis la transition harmonieuse du statut indépendant des médecins-chefs au statut de salariés occupant une fonction dirigeante élevée (1). Le paradoxe est dû au fait que c’est la médecine libérale qui a amené cette proposition de convention collective de travail (CCT) sur la table de négociation, laquelle n’a pas été immédiatement comprise. Pourtant, elle est toujours actuelle. Une partie de la médecine hospitalière est le fait de médecins agréés dont le statut n’a cessé d’être questionné, voire contesté depuis deux décennies. Mais les faits, têtus, se sont chargés de rappeler à la réalité: les médecins agréés sont indispensables au bon fonctionnement des hôpitaux, comme le montrait déjà un rapport de 2005 (2), même si leurs spécificités ne leur permettaient pas d’entrer dans une CCT.

Le prix du virage ambulatoire

La décennie précédente avait été marquée, dans le canton de Vaud comme ailleurs, par les tensions autour de la planification hospitalière. Par quoi on entendait alors la réduction ou plutôt la concentration du nombre d’établissements de soins aigus, symbolisée par le programme d’économie et de restructuration baptisé «Equation 33». Le retour progressif à une période de vaches grasses a maintenu le cap des restructurations et fusions et relégué les économies au second plan…

Le facteur décisif est venu du progrès médical qui a rendu possible un virage ambulatoire d’abord encouragé par les autorités et le tarif vaudois dit d’hospitalisation de jour (HDJ), abandonné depuis l’introduction de TARMED en 2004. Ce virage a été carrément imposé à partir du 1er janvier 2019 par une ordonnance fédérale (3) intitulée «l’ambulatoire avant le stationnaire».

Cette évolution se lit aujourd’hui clairement dans l’évolution exponentielle des coûts de l’ambulatoire hospitalier au cours des deux dernières décennies. Les médecins et les patients n’ont pas eu d’autre choix que de s’adapter, sous prétexte d’économie. Mais où sont précisément passées ces économies? Dans la poche des assurances complémentaires ou dans celle des cantons? Dans le sac de nœuds des coûts de la santé, la transparence n’est pas toujours de mise. C’est pourquoi nous préconisons une fois de plus (4) que la réduction des coûts se traduise par une réduction, voire une réallocation préalable des primes ou des financements.

Plus de transparence… vraiment ?

La transparence était également le grand dogme à l’origine de la salarisation des médecins-chefs. S’il est bien sûr un principe pertinent, la vérité nous oblige à dire que c’est plutôt le contraire qui s’est produit. D’un fonds des honoraires aujourd’hui dissous, dont les comptes étaient publics puisque tenus par la Centrale d’encaissement des établissements sanitaires vaudois (CEESV) de l’Etat de Vaud, on est passé à un modèle cantonal de financement, puis à des régimes locaux de plus en plus opaques. Un audit commandé en 2008 par le Groupement des médecins hospitaliers (GMH) de la Société Vaudoise de Médecine (SVM) à la société Ernst & Young avait toutefois permis de vérifier, d’entente avec la plupart des établissements hospitaliers, les mécanismes d’alimentation de la rémunération des médecins-chefs et de créer les conditions de la confiance.

Les récentes recommandations du Contrôle cantonal des finances (5) , bien qu’elles n’aient rien montré d’inquiétant, inspirent actuellement une relecture de la CCT des médecins-chefs FHV-SVM et la mise sur pied d’instruments de contrôle paritaire de son application qui font défaut. C’est même la principale conclusion à en tirer et à laquelle remédier.

La médecine hospitalière vaudoise et même intercantonale est désormais encadrée par trois CCT: celle de l’Hôpital intercantonal de la Broye, qui a été signée le 29 mars dernier, celle de l’Hôpital Riviera-Chablais et celle s’appliquant aux autres hôpitaux de la FHV. Un règlement des médecins cadres du CHUV a également été établi. C’est sans doute trop pour exprimer des principes et des normes qui doivent tous répondre aux mêmes questions: comment assurer l’attractivité des postes de médecins cadres de manière à garantir la relève médicale en milieu hospitalier, qui ne s’improvise pas? Quels modèles de rémunération suffisamment incitatifs adopter pour garantir les volumes de patients et d’activité nécessaires à l’atteinte des masses critiques exigées et à l’équilibre financier des institutions? Ceci dans le respect des principes de la résolution du GMH du 11 octobre 2018 (6) (liberté thérapeutique, relations partenariales, transparence, formation et intérêt public, harmonisation des titres).

Pour un accord-cadre cantonal

Le trait d’union entre le statut et la rémunération figurant dans les CCT, les impératifs médicaux et publics devaient s’inscrire dans un accord-cadre cantonal dont les éléments ont été consignés dans une lettre d’intention avec le DSAS en 2016 déjà (7), et dont les six points sont parfaitement convergents avec la résolution du GMH.

On y trouve déjà tous les éléments de nature à concrétiser le nouvel avenant sur la médecine hospitalière du partenariat DSAS-SVM. Signé le 3 mars 2020 malgré la pandémie débutante, il n’attend que des jours un peu meilleurs pour revenir en tête des priorités. Entretemps, on aura beaucoup appris de la valeur de la médecine hospitalière en situation de crise, tout comme du devenir de certains modèles de gouvernance hospitalière.

Il n’est nul besoin de nouvelles dispositions légales ou règlementaires, comme l’envisageait encore un projet de loi mis en consultation (8) en 2019. Il s’agit avant tout de finaliser, simplifier, organiser et hiérarchiser les instruments existants et de les assortir d’un mécanisme de contrôle paritaire comme évoqué plus haut, tout en redonnant corps à une vision partagée de la médecine hospitalière de demain.

Pierre-André Repond, secrétaire général de la SVM

NB: Cet article a initialement été publié comme introduction du CMV#2-2021 «Médecine hospitalière vaudoise: un avenir à définir».

  1. Article 4 CCT FHV-SVM.
  2. Rapport sur la situation des médecins agréés dans le canton de Vaud, Faudra-t-il attendre que l’absence des médecins agréés fasse, par l’absurde, la preuve de leur utilité, rapport FHV-SVM du 18 mai 2005.
  3. OPAS, annexe 1a, Restriction de prise en charge des coûts pour certaines interventions électives, I. Liste des interventions électives à effectuer en ambulatoire.
  4. Voir aussi notre article dans le Courrier du Médecin Vaudois #6, décembre 2020: Projet de modification de la LAMal, deuxième volet de mesures d’économies – Un train peut en cacher un autre, pp. 4-5.
  5. Contrôle en lien avec l’organisation médicale des hôpitaux et la rémunération de leurs médecins cadres. Rapport de synthèse, mars 2019. Fait suite à l’annulation par la Cour constitutionnelle du Règlement sur l’organisation médicale des hôpitaux reconnus d’intérêt public et sur la rémunération de leurs médecins cadres du 21 décembre 2016 (arrêt CCST.2017.0004 du 26 octobre 2017).
  6. Résolution adoptée par l’assemblée générale du GMH du 11 octobre 2018.
  7. Projet d’accord-cadre et feuille de route pour la médecine hospitalière, 22 décembre 2016.
  8. Avant-projet de lois modifiant la LSP et la LPFES, 2019.

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