Depuis août 2019, mon travail de Médecin de Premier Recours a basculé.
J’ai pris connaissance par un courriel de la Société Vaudoise de Médecine du 5 août 2019 des limitations tarifaires demandées aux médecins praticiens. Ce mail fait suite à la polémique actuelle de demande de remboursements des assureurs auprès de collègues appartenant à cette catégorie de médecins.
Médecin praticien suisse, il m’a fallu quelques semaines pour m’adapter à cette facturation réduisant les durées de consultations d’une manière uniforme. Concrètement, il est difficile de modifier une pratique de nombreuses années de consultations, surtout pour les patients qui se présentent avec des troubles psychiques, des états dépressifs, des burn-out, etc. Certains ont été très déstabilisés par cette nouvelle, que j ai dû leur communiquer.
La Société Vaudoise de Médecine offre une lumière d’espoir aux médecins praticiens vaudois en cherchent une piste sous forme d’ un label de “Praticien Vaudois” quand leur pratique le justifie, pouvant être proposé aux assureurs et permettant de facturer comme les “Internistes généralistes”. Je ne sais pas si cela aboutira, mais d’être soutenue par ses pairs est très réconfortant dans ce contexte de non reconnaissance de notre travail sur le terrain, en prise avec des situations difficiles, souvent psycho-sociales, comprenant des migrants, des jeunes suicidaires, des familles en crise, des gens au chômage, pour ne citer que quelques exemples, situations pesantes pour lesquelles nous prenons des risques et nous nous engageons quotidiennement.
La formation médicale continue en Suisse est excellente. Nous pouvons adapter notre formation à nos patients, mais tout s’annule si nous ne pouvons pas l’appliquer. Les formations de psychosomatiques ou de médecine manuelle ne sont pas reconnues, car nous ne sommes pas des spécialistes. Ces formations ne s’apprennent pas pendant les études, ni en milieu hospitalier. Par contre elles sont extrêmement utiles en ambulatoire, face aux plaintes des patients du 21 ème siècle. Dans d’autres métiers, la formation continue est reconnue comme une possibilité de progresser dans un domaine, mais nous n’avons pas cette chance comme médecin non spécialiste. Je comprends que la tarification du point soit plus basse pour marquer la différence de formation, mais je ne comprends pas l’intérêt de nous ôter des outils de base, tels que l’examen clinique ou l’entretien pour des gens en souffrance. J’ai l’impression d’être un maçon sans truelle.
Ce qui m’ affecte le plus est l’atteinte à notre identité médicale: nous devenons de simples trieurs. La possibilité de pouvoir accomplir un travail de médecin avec un examen clinique approfondi, outil de base appris dès le début des études de médecine, nous est ôté. Bien sûr nous pouvons le pratiquer, soit en allant vite et en simplifiant, soit en ne le facturant pas, soit en faisant revenir les gens, s’ils acceptent de revenir avec les contraintes actuelles du monde du travail.
Je remarque déjà après quelques semaines d’ application de ce système tarifaire que j’envoie plus rapidement des patients pour des imageries complémentaires ou pour des conciliums chez des spécialistes, par manque de temps pour discuter des bénéfices des examens ou pour faire un status approfondi. Nous ne nous pouvons pas prescrire un examen Remler, alors qu’ il suffit de lire le résultat que l’appareil nous donne avec le pourcentage de TA au-dessus de la moyenne, ce qui permet d’ajuster facilement et à moindre coût le traitement antihypertenseur. Nous les enverrons chez le cardiologue, ce qui va renchérir l’examen, compliquer la vie des personnes à mobilité réduite et est contraire à un soin de base, le réglage précis de la tension artérielle. J’ai lu dans le journal “Primary and Hospital Care-Médecine Interne Générale” du 4.9.2019, un article de l’équipe de Fanny Lindemann de l’Institut Bernois de Médecine de Premier Recours sur la promotion de la relève médicale (1). Dans le premier alinéa, l’article nous informe qu’en 2014 un arrêté fédéral, concernant les soins médicaux de base et la place primordiale de la médecine de premiers recours, a été approuvé à 88 %. Je ne vois pas aujourd’hui la logique entre cet arrêté et son application, à moins que les médecins praticiens ne fasse pas partie des médecins de premier recours.
Je suis aussi préoccupée de la politique d’accueil de nos collègues étrangers qui ont permis à de nombreux collègues de partir à la retraite, heureux d’avoir trouvé un successeur faute de candidats suisses. Leurs patients sont des gens qui n’ont maintenant plus droit aux mêmes soins qu’avec leur médecin précédent ou que leurs voisins qui consultent chez un médecin interniste généraliste suisse. Selon l’article que j’ai lu dans le dossier no 4 de la Société de Médecine de premier Recours (2), son président le Dr Jean-Marie Michel président de la Société Médicale du Canton de Fribourg, mentionne que plusieurs médecins praticiens occupent des postes en périphérie, dans des zones en manque de médecins de famille du canton de Fribourg. Comment vont-ils répondre aux besoins de la population suisse qui vit en dehors des grandes agglomérations?
Finalement, je suis perplexe devant ce qui me paraît une contradiction, entre une pratique médicale privée, comprenant la responsabilité clinique des patients et des contraintes étatiques éloignées de la réalité du terrain. Affiliée à un réseau de soin (delta), la réflexion sur une médecine de qualité avec un pilotage des soins par le médecin de premier recours est au coeur de nos préoccupations et discussions. Sans pouvoir adapter le temps en fonction de nos patients et de leurs besoins, ce travail devient difficile. Je ne suis pas certaine de l’économie qui en résultera.
Notes du texte :
1. Primary and Hospital Care-médecine interne générale (2019 ;19(9) :275-277)
2. https://www.smsr.ch/actualites/dr-jean-marie-michel-il-faut-mieux-integrer-les-medecins-praticiens.
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Bosshard M.
Dr P MARENCO
Dominique Drsse Leyland - Boschung