Valeur du point TARMED dans le canton de Vaud : un peu de décorticage « à froid » sur une production estivale du Conseil d’Etat

11.10.22 | Proposé par: Dr Philippe Eggimann

Le 6 juillet 2022, lors de sa toute première séance de la législature 2022-2027 et juste avant de partir en vacances, le nouveau Conseil d’Etat, désormais à majorité de droite, a adopté (trop vite ?) sa réponse à l’interpellation Aliette Rey-Marion et consorts – Baisser la valeur du point TARMED en 2022 pour les cabinets médicaux, un remède inefficace, pire que le mal ou une contribution garantie à la baisse des primes maladie ? Cette interpellation faisait suite à une dénonciation publique en janvier 2022 par les médecins de famille et de l’enfance vaudois d’un courrier de la Cheffe du DSAS les informant de la volonté du DSAS de recommander au Conseil d’Etat de baisser de force la valeur du point ambulatoire TARMED (VPT) dès janvier 2022. Ce qu’il ne fit finalement pas (mais il faudra se souvenir que cela a été envisagé). Cette réponse a été acceptée par le Grand Conseil lors de la séance de rentrée du mardi 23 août.

Dans la perspective des inévitables discussions à venir sur le nombre de médecins et leur rémunération dans un contexte de hausse des primes, il n’est pas inintéressant de se repencher à tête reposée sur certaines affirmations contenues dans cette réponse du Conseil d’Etat.

Dans le préambule : « …les compétences cantonales sont limitées : en particulier, le Conseil d’Etat
n’a aucune marge de manœuvre sur la structure tarifaire Tarmed en tant que telle, et dispose d’une compétence limitée à l’approbation ou non des conventions tarifaires. »

Ceci est tout à fait exact. Néanmoins on ne peut que constater que depuis des années, le Conseil d’Etat interfère dans les négociations que la LAMal confie aux partenaires tarifaires en n’approuvant pas, pas complètement ou alors très tardivement les conventions sur la VPT, quitte à se faire désavouer par le Tribunal administratif fédéral. Le Canton de Vaud est même le seul qui s’est arrogé le droit d’approuver les conventions tarifaires passées pour des durées inférieures à celles conclues par les partenaires, afin d’augmenter la pression. Il faut dire que c’est beaucoup grâce à l’intense veille juridique déployée par la SVM que la VPT vaudoise a pu être maintenue à un niveau acceptable. De fait, le Conseil d’Etat aura tout tenté ces dernières années, au-delà de l’esprit comme de la lettre de la LAMal, pour tenter de faire baisser la VPT vaudoise des médecins installés.

Dans le préambule : « …les coûts de l’ambulatoire semblent repartir à la hausse, après ces deux années de pandémie. Les derniers chiffres à disposition (…) font en effet état d’une croissance des coûts de près de 5% au total en Suisse (4.9%), et de presque 6% pour le Canton de Vaud (5.7%) sur les trois premiers trimestres 2021. Cette croissance est encore plus forte pour la médecine ambulatoire, soit de plus de 6% tant en Suisse (6.3%) que dans le Canton de Vaud (6.7%). »

La facturation ambulatoire des 3 hôpitaux « publics » (CHUV HRC, HIB) a augmenté de 7,6% par an entre 2016 et 2021, pour atteindre 635 millions de francs en 2021. Celles des 1800 cabinets médicaux a elle augmenté au cours de la même période de 3,8% par an pour atteindre 891 millions de francs en 2021. Le Conseil d’Etat oublie ici de préciser qu’il n’a pas pris de mesures pour modérer la facturation ambulatoire des hôpitaux publics qu’il contrôle, comme il en manifeste pourtant l’intention pour les cabinets médicaux.

La pression économique du Conseil d’Etat qui pèse de manière asymétrique sur les cabinets médicaux, les entraves à leur remise qui aggravent la pénurie, ainsi que les tracasseries administratives, ont aussi pour effet un report massif coûteux sur l’ambulatoire hospitalier et les urgences, aujourd’hui engorgées.

Dans la réponse à la question 1 : « Il (le Conseil d’Etat) relève néanmoins qu’une différenciation de la VPT au sein du même canton, en fonction des affiliations d’assurance des assurés, est une situation difficile à justifier auprès des payeurs de primes. »

Cet argument ne tient pas. La VPT est déjà différente pour le remboursement des activités de garde, pour les cas relevant de l’assurance accident, ainsi que dans les hôpitaux et cliniques. Elle est aussi due à l’existence de 3 communautés d’achats d’assureurs maladie aux pratiques de négociation, aux grilles d’analyse et aux exigences différentes. C’est d’ailleurs loin d’être un fait nouveau et limité au seul canton de Vaud. Enfin, on ne peut pas dire en même temps qu’une différence de valeur de point de 1ct entre communautés tarifaires est intolérable et préconiser par ailleurs une différence selon les spécialités voire les régions…

Dans la réponse à la question 2 : « … le Conseil d’Etat a ainsi indiqué en mai 2021 au Grand Conseil vouloir utiliser les marges de manœuvre qui sont les siennes, pour rapprocher progressivement la VPT vaudoise de la moyenne suisse. Il n’a néanmoins pas souhaité aller aussi loin que le préconisait le postulat, considérant qu’une baisse à 0.89 centimes serait excessive. »

Le Conseil d’Etat ne peut pas ignorer pas que la VPT vaudoise ne peut pas être strictement comparée avec l’ensemble de la Suisse, en particulier la Suisse alémanique où les médecins ont le droit de vendre des médicaments. Cette activité constitue près d’un tiers du chiffre d’affaires des cabinets médicaux dans le canton de Zurich ! Les chiffres d’affaires et revenus des cabinets vaudois sont aujourd’hui plus bas que la moyenne des cantons romands, sans corrélation directe avec la VPT. Et tous les cantons universitaires sont au-dessus de la moyenne suisse.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat ne peut pas enfreindre la LAMal et la jurisprudence qui l’accompagne. Ce n’est pas à lui de fixer la VPT (cf. préambule ci-dessus). Une demande de caution « politique » du législatif via un postulat ne le permettrait pas non plus. La mise en œuvre de la volonté du Conseil d’Etat d’agir proactivement sur la VPT nécessiterait une modification de la LAMal, objet d’initiatives cantonales déposées au parlement fédéral.

Dans la réponse à la question 3 : « … le Conseil d’Etat est attentif aux conséquences que pourrait avoir une diminution de la valeur du point sur les cabinets médicaux. C’est pourquoi il a approuvé la convention tarifaire entre la SVM et tarifsuisse, dans l’attente des résultats de l’étude que les partenaires concernés doivent mener avec le DSAS. »

La SVM a déjà fourni des chiffres portant sur plusieurs centaines de cabinets médicaux vaudois issus des données ROKO et du recueil de données de l’OFS « MAS ». Les chiffres d’affaires des cabinets sont pratiquement constants depuis des années (conséquence logique de la stabilité/baisse de la VPT) alors que les charges augmentent, aboutissant à une baisse des revenus. Le revenu final net moyen des médecins travaillant dans les cabinets médicaux est connu et bien documenté, il est d’environ 150’000 CHF par an. A noter que l’étude citée initiée par le DSAS porte sur moins de 10 cabinets volontaires et qu’il ne sera pas possible d’en tirer un nouvel argument décisif dans la réponse au postulat Riesen, opportunément momentanément retirée du débat parlementaire avant les dernières élections cantonales.

Dans la réponse à la question 4 : « Une diminution de la VPT a un impact à la baisse sur la facturation des cabinets médicaux, et donc sur les charges des assureurs-maladie. Comme toute autre diminution des coûts à charge de l’assurance-maladie, cette diminution doit être prise en compte dans le cadre de la fixation des primes. Dans le cadre des compétences qui sont les siennes en la matière, le Conseil d’Etat veillera à ce que tel soit bien le cas. »

En réalité, le Conseil d’Etat n’en a pas la compétence, c’est l’OFSP qui valide les primes… Le Conseil d’Etat pourrait par contre veiller à ce que les économies massives qu’il réalise à l’hôpital grâce au « virage ambulatoire » (moins d’interventions en stationnaire, qu’il finance à 55% et davantage en ambulatoire qu’il finance à …0%) soient réinjectées par l’Etat pour subventionner l’ambulatoire et ainsi faire baisser les primes. Il diffère ainsi depuis plus de 2 ans la proposition de la SVM d’évaluer précisément cet impact dans notre canton, alors que l’OBSAN a déjà bien décrit le mécanisme en démontrant les économies réalisées par les cantons au niveau suisse.

Dans la réponse à la question 5 : « S’il refuse d’approuver une convention tarifaire en raison de sa non-conformité au principe d’économicité posé par la LAMal, le Conseil d’Etat doit fixer un tarif provisoire, de manière à garantir la sécurité juridique en définissant la VPT que les médecins peuvent facturer et que les assureurs-maladie doivent rembourser en attendant la fixation d’un tarif définitif. »

Le Conseil d’Etat omet de préciser que les conditions de non-approbation d’une convention tarifaire sont strictement prescrites par la LAMal et la jurisprudence. Il n’y a en réalité pas de marge d’appréciation possible pour un gouvernement cantonal. Et cela ne s’est jamais produit à ce jour dans notre canton.

Surtout, le Conseil d’Etat omet de préciser que la LAMal l’oblige à édicter en en amont un « tarif-cadre » (une fourchette tarifaire de réserve fixée autour du dernier tarif convenu) qui entre en vigueur pour un an en cas d’absence de convention (lorsque dénoncée par une des parties et sans nouvel accord). Ce tarif-cadre est un puissant incitatif pour que les partenaires trouvent un accord.  Le TAF lui a d’ailleurs enjoint en 2021 de le faire, ce qu’il refuse toujours. Ce n’est qu’au terme de cette période d’un an de tarif-cadre que le Conseil d’Etat peut alors faire usage de sa compétence subsidiaire pour fixer de force une VPT si les partenaires n’ont toujours pas trouvé un accord.

Il est par contre assez peu probable que le TAF accepte qu’il puisse faire usage de sa compétence subsidiaire s’il en a lui-même volontairement créé les conditions en poussant les partenaires tarifaires au désaccord, ou par un refus d’édiction d’un tarif cadre…

Dans la réponse à la question 6 : « En août 2019, la SVM a recouru auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF) contre la non-publication d’une décision d’approbation d’une convention tarifaire. Le DSAS considérait de son côté que la confirmation de cette approbation par un courrier de la cheffe de Département à la SVM était suffisante. Dans son arrêt du 11 mars 2021, (…), le TAF a admis le recours, en considérant que le Conseil d’Etat aurait effectivement dû publier formellement la décision d’approbation. Suite à cet arrêt, la décision d’approbation concernée a été publiée et toutes les décisions d’approbation le sont dorénavant également. Le Conseil d’Etat a donc appliqué la décision du TAF, comme il le fait pour toute décision de justice. »

Le Conseil d’Etat omet de préciser que le TAF l’a formellement également enjoint d’édicter un tarif cadre lorsqu’il approuve une convention sur la VPT, ce à quoi il rechigne…. (cf. supra). Une simple lecture de la LAMal permet pourtant de lever tout doute à ce sujet. C’est bien le Conseil d’Etat qui est l’autorité d’approbation des conventions (et pas le DSAS) selon l’art 46, al. 4 et c’est cette même autorité d’approbation qui doit fixer un tarif-cadre pour chaque convention passée (art 48, al.1).

 

En conclusion, la SVM continuera à être particulièrement attentive ces prochaines années à ce que nos autorités cantonales agissent dans le strict respect de l’esprit comme de la lettre de la LAMal. Cela évitera d’ailleurs aux médecins comme aux contribuables vaudois de coûteuses procédures devant les tribunaux découlant d’interprétations hardies de la LAMal et de la jurisprudence. Il s’agit aussi d’une condition importante pour que le dialogue prôné de toutes parts puisse se dérouler dans de bonnes conditions et porter les fruits attendus par toutes et tous. Les défis de santé publique à venir sont importants et méritent un climat de confiance et une dynamique positive entre L’Etat et tous les acteurs privés concernés. On espère donc pour le moins percevoir un changement d’attitude dans le programme de législature qui sera présenté à l’automne 2022.

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